Dans moins d'un mois va se dérouler dans notre pays la coupe d'Europe de football, l'Euro 2016. L'aspect sportif ne concerne évidemment que ceux qui connaissent la différence entre un corner et un pénalty. L'aspect juridique, en revanche, concerne potentiellement tout le monde. Car le football est désormais l'objet d'une véritable police administrative destinée à assurer l'ordre public durant les rencontres sportives.
La
loi du 10 mai 2016 renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme constitue la dernière pierre apportée à un édifice juridique relativement complexe. Bien entendu, ce sont les supporters en général qui sont visés et pas spécifiquement ceux de football. Le législateur ne pouvait stigmatiser un sport en particulier, mais il est néanmoins très clair que le phénomène du hooliganisme concerne très largement le football. Ce constat fait l'objet d'un consensus politique, et on note que la loi du 10 mai 2016 trouve son origine dans une proposition formulée par Guillaume Larrivé (
Les Républicains. Yonne).
La répression pénale
Observons que la loi ne traite pas de la répression pénale du hooliganisme qui a déjà suscité un ensemble législatif figurant dans les
articles L 332-3 à L 332-8 du code du sport. Certaines infractions répriment ainsi des comportements particulièrement dangereux comme le fait d'introduire ou de lancer dans un stade des engins pyrotechniques. D'autres visent à sanctionner la provocation à la haine raciale ou à la violence, voire le simple fait d'être d'introduire de l'alcool dans un stade ou d'y être en état d'ébriété. Les peines prononcées peuvent être accompagnées d'une interdiction judiciaire de pénétrer dans une enceinte sportive ou même de circuler à proximité.
Si la répression pénale semble constituer un ensemble achevé et cohérent, il n'en est pas de même de l'approche administrative. Cette lacune est apparue clairement avec la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Les pouvoirs publics ont en effet prononcé des interdictions de déplacement de supporters en se fondant sur l'état d'urgence. Une telle mesure pouvait certes se justifier dans la mesure où les forces de police déjà fortement mobilisées par la lutte contre le terrorisme, n'avaient pas besoin d'un travail supplémentaire causé par le comportement de hooligans alcoolisés. Il n'empêche que ces mesures étaient, par définition, exceptionnelles. Il était donc indispensable d'envisager un dispositif plus pérenne.
La remise en cause du régime répressif
La loi du 10 mai 2016 s'inscrit dans un mouvement mettant en cause le régime libéral d'aménagement des libertés publiques. Qualifié de régime "répressif", il repose sur le libre arbitre de l'individu : chacun exerce librement sa liberté, en l'espèce la liberté de circulation, sauf à rendre compte des abus de cette liberté devant le juge pénal. Dans le cas particulier des supporters de football, il est en effet possible d'entraver leur circulation avant qu'interviennent d'éventuelles infractions, précisément dans le but de les prévenir. La liberté d'aller et venir est donc restreinte par une simple décision de l'autorité administrative.
Le législateur était déjà intervenu sur ce point en prévoyant l'interdiction administrative de pénétrer dans un stade avec la
loi du 23 janvier 2006. Observons néanmoins que la mesure prise était purement individuelle, ce qui explique l'intervention de textes plus généraux avec l'état d'urgence, interdisant cette fois la circulation de groupes entiers de supporters lors de certains matchs. Le dispositif a été complété par la possibilité de dissolution administrative des groupements de supporters racistes ou violents avec la loi du
5 juillet 2006.
Le problème est que le dispositif n'associait que marginalement les premiers intéressés, c'est-à-dire les organisateurs des manifestations sportives ainsi que les associations de supporters. C'est précisément l'objet de la loi de 2016. Elle prévoit d'ailleurs la création d'une "instance nationale du supportérisme", destinée à promouvoir le dialogue et dont l'organisation sera précisée par décret.
Les Footballeurs. Nicolas de Staël. 1952
Les organisateurs
La loi affirme que les organisateurs peuvent "refuser l'accès aux personnes qui ont contrevenu ou contreviennent aux dispositions des conditions générales de vente ou du règlement intérieur relatives à la sécurité". Conformément au droit commun, les clubs sportifs, comme tous les organisateurs de spectacle, ont une obligation de sécurité des personnes et des biens.
En revanche, ils n'ont pas toujours les instruments nécessaires pour remplir efficacement cette mission. Avant la loi de 2016, ils ne disposaient que de la liste des interdits de stade (qu'il s'agisse d'une interdiction administrative ou judiciaire) transmise par le préfet. Ils pouvaient donc refuser de vendre des billets à ces personnes, mais seulement à elle. Dans sa
délibération du 30 janvier 2014, la CNIL avait ajouté d'autres motifs comme l'existence d'un impayé, la fraude dans l'utilisation d'un abonnement ou encore le développement d'une activité commerciale illicite dans le stade. Autrement dit, les organisateurs ne pouvaient interdire l'accès du stade à une personne ou à un groupe de personnes pour des seuls motifs tirés de la sécurité.
Désormais, il leur est donc possible de refuser l'accès à des personnes qui contreviennent aux conditions de vente ou qui violent les dispositions du règlement intérieur en matière de sécurité. En réalité, les deux motifs de refus sont intimement liés. Certains clubs interdisent la vente de billets en gros ou l'échange des billets pour éviter les regroupements de supporters. D'autres pratiquent le "parcage" qui consiste à attribuer une tribune spécifique aux supporters visiteurs. Ceux-là sont confrontés au "contre-parcage" qui consiste, pour les visiteurs, à acheter leurs places auprès du club hôte, afin d'accéder aux tribunes occupées par les supporters de l'équipe adverse. Les conditions de vente des billets sont donc un élément essentiel de la sécurité, et les organisateurs doivent pouvoir exclure les supporters qui ne respectent pas les règles établies.
Le fichier automatisé
Pour rendre ce dispositif efficace, la loi autorise les organisateurs à créer un traitement automatisé de données à caractère personnel, portant précisément sur ce type de comportement. Il sera soumis à la procédure d'autorisation de la CNIL prévue par la loi du 6 janvier 1978 en matière de traitements de données personnelles.
L'intervention du législateur était, sur ce point, indispensable. Elle est imposée en effet par l'article 9 de la loi du 6 janvier 1978 énonce qu'une fichier portant sur des infractions, condamnations et mesures de sûreté ne peut être créé que par des entités agissant dans le cadre "
de leurs obligations légales". On observe que
l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 21 septembre 2015 a certes censuré partiellement le fichier STADE qui précisément permettait la transmission aux organisateurs de manifestations sportives du nom des personnes interdites de stade. Mais cette censure reposait sur le caractère général et indifférencié de cette transmission. Il n'est donc pas interdit d'envisager la création d'un fichier, à l'initiative des clubs sportifs eux-mêmes, et ne conservant que les données strictement nécessairement à l'exercice de leur mission de sécurité.
Un droit dérogatoire
Le dispositif anti-hooliganisme tend ainsi à s'enrichir, au prix de la création d'un droit de plus en plus dérogatoire au droit commun. A dire vrai, l'atteinte aux libertés reste modeste, dans la mesure où il suffit d'aimer le football de manière pacifique pour ne pas être visé par ses dispositions. C'est ainsi que l'a entendu la Cour européenne des droits de l'homme dans son
arrêt Ostendorf c. Allemagne du 7 mars 2014. Elle a alors estime que les violences commises lors de certains matchs peuvent justifier l'arrestation et même l'internement administratif d'un supporter, internement qui ne s'est, en l'espèce, achevé que quatre heures après la fin de la rencontre. L'atteinte au principe de sûreté n'est pas niée par la Cour, qui fait observer que l'intéressé est arrêté et interné non pas parce qu'il a commis une infraction mais pour empêcher qu'il en commette une. Cette mesure demeure néanmoins proportionnée à la menace que le supporter représente pour l'ordre public.
Le droit français semble donc être en ordre de bataille avant l'épreuve de l'Euro 2016. Il convient d'ajouter au dispositif les déjà célèbres "fan-zones" qui permettront de parquer les supporters dans des espaces aussi sécurisés que possibles. Elles présentent l'avantage de les protéger à la fois contre la menace terroriste et contre d'éventuelles rencontres avec les supporters de l'équipe adverse. Tout cet ensemble normatif donne une image détestable du football et de la violence qui l'entoure. Heureusement, beaucoup d'amateurs de foot resteront devant leur télévision, avec une cannette de bière et un paquet de chips. Ceux-là ne risquent rien, si ce n'est quelques kilos superflus.
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