« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 28 septembre 2015

Nadine Morano : la race, le racisme et la lutte contre le racisme



Nadine Morano a a déclaré le 26 septembre 2015, sur la plateau de l'émission de télévision On n'est pas couché : " Il faut garder un équilibre dans le pays, c'est-à-dire sa majorité culturelle. Nous sommes un pays judéo-chrétien, le général de Gaulle le disait, de race blanche, qui accueille des personnes étrangères. (...) Je n'ai pas envie que la France devienne musulmane". La formule ressemble à son auteur, dépourvue de subtilité et visant tout à la fois à séduire les électeurs du Front National et à attirer l'attention des médias. Nadine Morano est donc un excellent produit d'appel pour les responsables d'une émission dont l'unique but est de susciter la polémique pour faire gonfler l'audimat.

Sur ce plan, l'émission est un succès. Les réseaux sociaux d'abord, car ils fonctionnent le dimanche, la presse et le monde politique dès lundi, ont repris et commenté les propos de Nadine Morano. Tout le monde, ou presque, a fait observer que le mot "race" entendu comme une "catégorie de classement de l'espèce humaine" repose sur une analyse scientifique parfaitement obsolète. Les progrès de la génétique ont en effet montré qu'il n'existe qu'une seule race humaine. Il est donc absurde d'opérer des classifications raciales entre les humains. Sur le plan scientifique, les propos de Nadine Morano relèvent donc du bêtisier...

Sans doute, mais il arrive que les auteurs de contresens soulèvent, à leur insu, une question intéressante. Car si le mot "race" relève aujourd'hui d'une analyse scientifique dépassée, pourquoi figure-t-il toujours dans notre système juridique ? Tout simplement parce que, sur le plan juridique, il est aujourd'hui exclusivement utilisé dans le cadre de la lutte contre le racisme.

L’ambiguïté de la notion


Historiquement, la notion de race a pu être utilisée pour fonder des régimes discriminatoires. Le texte le plus célèbre en ce domaine est sans doute la loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs. Elle affirme qu'est "regardé comme juif pour l'application de la présente loi toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif".


De nos jours, la référence à la race permet surtout de fonder des législations anti-racistes. C'est même dans ce but qu'apparaît la première occurrence du mot "race", dans le décret Marchandeau du 21 avril 1939 qui réprimait la diffamation commise par voie de presse envers « un groupe de personnes appartenant, par leur origine, à une race ou à une religion déterminée ». 

La notion de "race" peut donc aussi bien fonder des comportements discriminatoires que participer à la lutte contre ces mêmes comportements. Cette seconde démarche est aujourd'hui, et heureusement, la seule consacrée par le droit positif. Elle figure dans l'article 1er de la Constitution  qui affirme que "la France (...) assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion". L'article 55 de la Charte des Nations Unies énonce, quant à lui, que les Etats membres de l'Organisation "favoriseront (...) le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race (...)". Enfin, l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme déclare que "la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée sur le sexe, la race, (etc..)."

Des références identiques existent dans la loi. C'est ainsi que la loi du 1er juillet 1972, premier grand texte destiné à lutter contre le diffusion de propos racistes modifie la loi du 19 juillet 1881. Son article 24 permet désormais de sanctionner "la provocation à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance (...) à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée". De manière plus générale, un rapport parlementaire de 2013 a comptabilisé 59 articles faisant référence au mot "race" et à ses dérivés dans des dispositions législatives figurant dans 9 codes différents et 13 lois non codifiées. Il est probable que ce mouvement va encore s'amplifier, Christiane Taubira ayant annoncé, en janvier 2015, sa volonté de modifier les textes pour généraliser la circonstance aggravante de racisme.

Qu'on le veuille ou non, le dispositif juridique mis en place pour lutter contre le racisme s'appuie sur le mot "race". Qu'il soit génétiquement erroné n'y change rien, du moins pour le moment.

 
Niki de Saint Phalle. Pink Nana et Black Man. 1999

Les tentatives de modification de la Constitution


De nombreuses propositions de suppression du mot "race" de notre Constitution ou de notre législation ont déjà été formulées, sans succès. Un amendement en ce sens a été déposé, dès 2002, par Victorin Lurel en ce sens lors de l'examen du projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République. Cet amendement fut rejeté, sans doute parce qu'il n'avait qu'un lointain rapport avec la révision en cours. En novembre 2004, une proposition de loi constitutionnelle également signée de Victorin Lurel reprend la même idée. Elle n'a pas davantage de succès, puisqu'elle n'a jamais été débattue

En 2008, la révision initiée par Nicolas Sarkozy et dont l'objet était pourtant de "moderniser" la Constitution ne traite pas de cette question. Le rapport préparatoire du Comité Balladur ne la mentionne même pas. De nouveau, deux amendements en ce sens, dont l'un défendu par Jean-Jacques Urvoas, sont repoussés par la majorité de l'époque. Elle explique alors que le mot "race" permet de fonder l'ensemble de la législation anti-raciste.

En 2012, François Hollande, candidat à la présidence de la République, s'était engagé à réviser la Constitution dans ce sens. On sait cependant que les conditions de majorité imposées par l'article 89 de la Constitution ont rendu pratiquement impossible toute révision de la Constitution. 

Les tentatives de modification législatives


La suppression du mot "race" de la Constitution étant exclue, au moins pour le moment, ses partisans se sont orientés vers une autre stratégie. L'idée est alors de modifier la loi avant la Constitution, idée quelque peu audacieuse car la conformité de la loi à la norme suprême risque alors de ne plus être assurée.

Quoi qu'il en soit, la démarche n'a pas davantage eu de succès. Le 16 mai 2013, une proposition de loi visant à supprimer toute référence à la race dans notre législation, initiée par différents membres du Front de Gauche, a été votée en première lecture. Depuis mai 2013, la proposition n'a jamais été débattue au Sénat et elle ne semble pas devoir être inscrite prochainement à l'ordre du jour.

L'analyse de ces différentes propositions révèle un parlement pour le moins partagé entre deux attitudes contradictoires. D'un côté, une volonté d'affirmer haut et fort son refus de la notion de "race", dans la mesure où elle est susceptible de conduire à des discriminations. De l'autre côté, une répugnance à remettre en cause un système juridique de lutte contre le racisme qui a le mérite de fonctionner. 

Cet antagonisme repose sans doute sur une méprise. Certes, le mot race ne renvoie pas à une réalité génétique et est donc dépourvu de fondement scientifique. Mais une démonstration scientifique ne suffit pas pour supprimer le racisme qui est une réalité humaine et sociale, dépourvu de contenu rationnel. Bref, si les races n'existent pas, le racisme existe.


7 commentaires:

  1. Bonjour,

    On a en réalité affaire à des pressions d'ordre idéologique qui finit, au final, par agacer. C'est ce "terrorisme" intellectuel qui fait le jeu du Front National.

    Car, en réalité, il s'agit de nier toute différence ou toute distinction au sein même de l'espèce humaine, ce qui est pour le moins déraisonnable. Qu'il y ait des gens à peau noire et d'autres à peau blanche est un fait que chacun peut constater.

    Dans ce cadre, peu importe au fond que le mot "race" soit pertinent ou non au plan scientifique. Si le mot n'existait pas ou n'était pas ou plus utilisé, c'est le mot "ethnie" qui serait visé...

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    1. Ceci dit, le mot 'race' a une définition différente en taxonomie et en génétique. Étant donné l’ambiguïté du mot, il ne convient plus aux taxonomistes qui exigent des termes précis. Maintenant le mot 'race' est éjecté de la taxonomie au profit du mot 'type' qui était un ensemble inférieur (ou intérieur) à la race. puisque l'on parle maintenant de 'types' de chiens et non plus de 'races' de chiens, il serait inconvenant de garder le mot pour la seule espèce humaine. Ceci dit, le mot 'type' est aussi utilisé en taxonomie pour diviser l'espèce humaine ( type caucasien subsaharien, asiatique...) mais cela n'a rien à voir avec la génétique qui conçoit toute division des espèces animales comme impossible. Si l'on ne divise pas les espèces en 'types', l'espèce est le dernier 'taxon'. On a le choix ;soit, on divise, soit on ne divise pas et cela n'a pas d'importance puisqu' il n'y a pas d'interférence politique dans le domaine de la taxonomie.

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  2. Bonjour Roseline,

    C'est très bien de souligner l’ambiguïté du terme, mais il ne faudrait pas tomber dans cette soupe médiatique, que tu dénonces avec tant de brio et de pertinence, faite d'approximations, de confusion intellectuelle,d'absence de hauteur et de recul devant le moment.

    Pourtant :
    - supprimer le mot pluie ne fera pas cesser la pluie;
    - "race" n'est qu'un outil de taxinomie, sans fondement génétique prouvé, fondé sur l'apparence des membres de l'espèce, à l'aide de critères plus intuitifs (blancs, noirs, ..) que scientifiquement rigoureux, au sens des sciences dures,
    - race ne prétend pas rendre compte des coutumes, cultures, aptitudes, caractères : c'est classer en valeur les races, qui est justement un acte de racisme
    - nier le mot race permet aux idéologues de masquer leur combat imbécile (hiérarchiser les races) sous l'apparences du bon sens (bien sûr qu'il y a des noirs !) : c'est donc parfaitement contre-productif !

    Bref, je ne fais que répéter le commentaire précédent...

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  3. « Il faut se souvenir que tout ne se dit pas, les mots sont dangereux de nos jours, ils nous reviennent à la figure, les gens les entendent à l’envers, ils voient des amalgames et des phobies là où tout est simple et juste réalité " : Boualem Sansal, écrivain algérien auteur de 2084 : la fin du monde, Gallimard, 2015.

    Quoi de plus à ajouter au pays d'une longue tradition de l'irrévérence où tout devient interdit, dérapage, transgression... ! La liberté d'expression n'est-elle pas sacrée surtout pour ceux qui ne partagent pas nos idées ?

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    1. Plus le terrorisme intellectuel va s'intensifier de la part du microcosme politico-médiatique , plus il y aura de provocations, non pas parce que l'on pense ce que l'on dit, mais tout simplement par esprit de résistance et de défi.

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  4. Bonjour,

    J'ai lu à plusieurs reprises dans la presse que "depuis 2013, le mot race avait été supprimé de la législation française". A la lecture de votre article, j'apprends donc que cette information est erronée, puisque la proposition de loi de 2013 en est restée au stade de proposition.
    Ainsi il existe bien, outre dans la Constitution, des lois françaises qui contiennent le mot "race" ?

    Merci de vos articles, comme toujours très instructifs.

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  5. Le problème, c'est que le mot 'race' était un terme utilisé en taxonomie mais que la génétique lui a donné un second sens uniquement pour l'espèce humaine. les généticiens n'ayant aucune raison politique de prouver l'absence de races chez les autres espèces animales. Le mot est évacué de la taxonomie et remplacé par 'type' comme taxon inférieur à l'espèce. Types de chiens, de chats etc... Si il n'y a pas de races à l'intérieur de l'espèce humaine et que le mot n'est plus utilisé pour les autres espèces, il n'a plus de raison d' exister 'officiellement' mais on ne peut pas empêcher les gens de l'utiliser dans un sens populaire ,non scientifique. les éleveurs utiliseront longtemps encore le mot 'race' ainsi que ceux qui m'utiliseront pour l'espèce humaine dans un sens non scientifique.

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