« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 26 septembre 2015

Le travail en prison : l'appel au législateur

Dans une décision Johny M. du 25 septembre 2015, le Conseil constitutionnel se prononce sur le droit au travail des personnes détenues. Le recours a été initiée par l'une d'entre elles, qui conteste le retrait par l'administration pénitentiaire de son autorisation de travailler en prison. Il porte sur la conformité à la Constitution de l'article 33 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qui subordonne l'activité professionnelle des détenus à un acte d'engagement pris par l'administration pénitentiaire. Signé à la fois par le chef d'établissement et par l'intéressé, il définit les droits et obligations professionnelles, les conditions de travail, et la rémunération. En d'autres termes, cet acte se présente comme un substitut au contrat de travail, mais il s'agit bel et bien d'une décision administrative.

Mais précisément, puisque les détenus peuvent travailler, pourquoi n'auraient-ils pas droit à un contrat de travail ? C'est précisément la question posée par le requérant, question à laquelle le Conseil donne une réponse négative. Il affirme en effet que l'acte d'engagement prévu par l'article 33 de la loi de 2009 est conforme à la Constitution. Le contenu du droit au travail des détenus n'est donc pas identique à celui dont bénéficie l'ensemble des travailleurs.

Le précédent de 2013


La solution n'a rien de surprenant, car le Conseil constitutionnel s'était déjà prononcé par une décision du 14 juin 2013 Yacine T. Dans cette première affaire, il était saisi de l'article 717-3 du code de procédure pénale qui énonce que "les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail ». A l'époque, le Conseil avait simplement affirmé qu'il appartient au législateur d'organiser juridiquement le travail des détenus. Le refus de leur accorder un contrat de travail, et donc de les intégrer dans le droit commun du travail, ne constitue pas, en soi, une violation du Préambule de 1946 qui se borne à des formulations d'ordre très général sur le droit au travail. Il n'emporte pas davantage une atteinte au principe d'égalité dès lors que les personnes détenues ne sont pas dans une situation identique à celle des salariés du droit commun, des contraintes de sécurité particulières pesant sur les établissements pénitentiaires.

Un système juridique dérogatoire

Après ce premier échec, la QPC de M. Johny M. aborde le problème dans l'autre sens. Au lieu de contester l'absence de contrat de travail, il conteste l'acte d'engagement lui-même. Ce dernier s'inscrit d'ailleurs dans un système entièrement dérogatoire, puisqu'une personne détenue doit d'abord obtenir une première décision administrative (le "classement") qui s'analyse comme une autorisation de travailler au sein de l'établissement pénitentiaire. 

La puissance publique intervient ainsi à toutes les étapes, et seules peuvent travailler les personnes qui en ont les capacités physiques et intellectuelles et dont on estime que le travail peut les aider pour leur future réinsertion dans la vie professionnelle. Cette appréciation relève de l'administration pénitentiaire, et la suspension de l'autorisation de travailler constitue d'ailleurs une sanction susceptible d'être infligée à un détenu.


Bernard Lavilliers. Les mains d'or (Travailler encore)
Concert de soutien aux ouvriers d'Arcelor Mittal, 6 avril 2012

L'incompétence négative


Le requérant invoque essentiellement l'incompétence négative, c'est-à-dire la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa propre compétence. Depuis une décision du 18 juin 2010 SNC Kimberly Clark, il est acquis que l'incompétence négative ne peut être invoquée lors d'une QPC que "dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit".

Ces droits ou libertés ainsi violés figurent, à ses yeux, dans le Préambule de 1946. Il invoque ainsi la sauvegarde de la dignité de la personne, dont la valeur constitutionnelle a été réaffirmée par la décision du Conseil constitutionnel rendue le 27 juillet 1994, ainsi que les alinéas 5 à 8 qui déclinent les différents liés au travail : droit à l'emploi, non-discrimination dans le travail, droit à l'action syndicale, droit de grève, droit à la détermination collective des conditions de travail. Est en outre invoquée une violation de la liberté contractuelle que le Conseil constitutionnel fonde, depuis sa décision du 19 décembre 2000, sur l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. celui-là même qui affirme que la "liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui".

L'incompétence négative pourrait donc être sanctionnée si le législateur avait renvoyé au pouvoir réglementaire la définition et l'organisation du travail des personnes détenues. Le requérant espère évidemment beaucoup du précédent que constitue la décision QPC du 25 avril 2014, par laquelle le Conseil avait admis l'incompétence négative, le législateur ayant renvoyé au pouvoir réglementaire l'organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires.

La situation est cependant très différente, et la décision du 25 septembre 2015 refuse de sanctionner une incompétence négative. Reprenant sa jurisprudence de 2013, il fait observer que chacun des droits invoqués par le requérant s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. Or, le cadre juridique du travail en prison est définit par la loi. Celle-ci ne renvoie pas au pouvoir réglementaire le soin de définir son organisation, mais se borne à confier à l'administration pénitentiaire le soin de prendre des décisions individuelles l'autorisant ou l'interdisant à tel ou tel détenu. Le législateur prend d'ailleurs soin d'affirmer que ces actes doivent définir avec précision les conditions de travail et la rémunération de l'intéressé.

L'appel au législateur


Le rejet de la requête ne faisait guère de doute. Si le régime juridique du travail en prison n'est pas inconstitutionnel, on ne doit pas nécessairement en déduire qu'il est satisfaisant. Certes, on ne doit sans doute pas rêver à une stricte égalité entre les détenus et les salariés de droit commun, ne serait-ce que parce que la détention impose des conditions de sécurité plus grandes. Le travail en prison ne doit cependant s'analyser comme l'exploitation, par certaines entreprises, d'une main d'oeuvre bon marché et qui n'a pas le droit de se plaindre.

Le Conseil constitutionnel affirme d'ailleurs clairement que le système n'est pas satisfaisant. Il énonce ainsi qu'il "est loisible au législateur de modifier les dispositions relatives au travail des personnes incarcérées afin de renforcer la protection de leurs droits". Sur ce point, la décision se présente comme un appel au législateur qui devrait sans doute engager une réflexion sur cette question. 



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