La
lettre envoyée aux parents d'élèves par Najat Valaut-Belkacem, ministre de l'Education nationale, à l'occasion de la rentrée 2015 pourrait être analysée comme un simple exercice de langue de bois. On y retrouve les
"valeurs républicaines" ainsi que les "
valeurs fondatrices de notre destin collectif", sans oublier cette "
valeur fondamentale qu'est la laïcité". Rien de bien nouveau derrière cette accumulation de valeurs en tous genres. Si ce n'est que la laïcité n'est pas seulement une valeur, c'est aussi et surtout la loi de la République.
Or voilà que cette même lettre informe les parents qu'ils seront "invités à signer la Charte de la laïcité à l'Ecole". La loi de la République deviendrait-elle contractuelle ? La question mérite d'être posée.
Un rappel du droit existant
Observons d'emblée que la
Charte de la laïcité est dépourvue de valeur juridique. Il s'agit d'un texte rédigé par l'Observatoire de la laïcité, commission créée par un décret du 27 mars 2007, dont la mission est d'"
assister le Gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité dans les services publics". A cette fin, il peut mener "
des études permettant d'éclairer les pouvoirs publics" et même faire des propositions pour assurer une meilleure information des agents et des usagers.
Deux mois après le décret de 2007, Nicolas Sarkozy était élu Président de la République... Mais il préférait le curé à l'instituteur, ce qui explique que les membres de l'Observatoire aient été nommés par un arrêté du Premier ministre du 5 avril 2013. C'est à ce moment qu'il lui a été demandé de rédiger une Charte de la laïcité, dont le contenu se borne à reprendre le droit positif, en particulier les dispositions de la
loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des églises et de l'Etat et les règles relatives au principe de neutralité dans les services publics.
Cette Charte a été rendue publique par Vincent Peillon, ministre de l'Education nationale de l'époque, le 9 septembre 2013, lors d'une cérémonie organisée dans un lycée de La Ferté-sous-Jouarre. Selon le ministre, la Charte a pour objet de "rappeler les règles qui nous permettent de vivre ensemble dans l'espace scolaire" et de permettre à chacun de s'approprier le principe de laïcité. Il s'agit donc d'un "rappel" du droit positif, d'une information et d'un support pédagogique.
Cette interprétation est confirmée par le seul texte juridique mentionnant la Charte de la laïcité. C'est une
circulaire du 6 septembre 2013 du ministre de l'Education imposant l'affichage de la Charte dans tous les établissements scolaires publics, primaires et secondaires. Ce même texte demande en même temps à tous les établissements, y compris cette fois les établissements privés sous contrat, de s'assurer de la mise en oeuvre de
l'article L 111-1-11 du code de l'éducation. Il impose que la devise de la République, le drapeau tricolore et le drapeau européen soient apposés sur la façade et que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 soit affichée de manière visible dans les locaux. De toute évidence, la circulaire du 6 septembre 2013 vise seulement à l'affichage d'un texte qui constitue que le "rappel" du droit existant.
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Pancho. La Charte de la laïcité à l'école. 2013. |
Donner un levier aux groupes religieux
Aujourd'hui, Najat Valaut-Belkacem "invite" les parents à signer un texte qui se borne à énoncer le droit positif. Il est clair que certains refuseront de signer. Sur ce plan, la lettre constitue un élément essentiel sur lequel s'appuieront des actions militantes visant à autoriser les manifestations de la religion dans les établissements d'enseignement. Nul doute que certains groupes religieux inciteront leurs membres à ne pas signer, d'autant que cette attitude de refus ne présente aucun danger. La lettre envoyée par la ministre ne prévoit aucune sanction en cas de refus de signature. Elle ne le peut d'ailleurs pas, car la lettre elle-même n'est pas un acte juridique, et ne peut donc imposer aucune sanction, ni pénale, ni disciplinaire.
La mesure ainsi annoncée a donc comme premier effet d'offrir un levier au prosélytisme religieux, d'où qu'il vienne. Mais il y a plus grave, car cette initiative vient aussi fragiliser le principe de laïcité, qui n'avait vraiment pas besoin de ce mauvais coup.
Remettre en débat le principe de laïcité
La Charte a pour fonction de rappeler le droit positif. En "invitant" les parents à la signer, c'est donc le droit positif qui est présenté comme ayant, en quelque sorte, une nature contractuelle. Car les destinataires de cette lettre comprendront qu'ils peuvent consentir au respect du principe de laïcité, ou ne pas y consentir. La laïcité devient une simple "valeur" à laquelle on peut adhérer, ou pas. En affirmant vouloir consolider le principe de laïcité, on l'affaiblit.
A la loi républicaine, on préfère le "droit mou", l'affichage, au sens propre dans le cas présent, de "valeurs" en quelque sorte détachées de leur fondement législatif. On préfère communiquer plutôt qu'appliquer. On affaiblit par ricochet la loi républicaine dans son ensemble. Car ceux qui ne signeront pas estimeront que la loi ne leur est pas applicable. Et ils rêveront d'un système juridique à la carte, dans lequel on ne se soumet qu'aux lois auxquelles chacun a individuellement consenti. A ce moment, ce ne serait plus la loi républicaine qui serait menacée mais la République elle-même.
Sur la laïcité dans l'enseignement public : Chapitre 11 section 1 du
manuel de libertés publiques
"C'est peut-être ça la politique, le compromis perpétuel : entre compromis et compromission". Cabu, entretien sur ITV en 2001.
RépondreSupprimerExcellente analyse.
RépondreSupprimerIl existait pourtant un moyen simple : rappeler les termes de la loi dans les règlements intérieurs dont les parents doivent prendre connaissance
2/2
RépondreSupprimer------ « En "invitant" les parents à la signer, c'est donc le droit positif qui est présenté comme ayant, en quelque sorte, une nature contractuelle. Car les destinataires de cette lettre comprendront qu'ils peuvent consentir au respect du principe de laïcité, ou ne pas y consentir. La laïcité devient une simple "valeur" à laquelle on peut adhérer, ou pas. »
------« Car ceux qui ne signeront pas estimeront que la loi ne leur est pas applicable. Et ils rêveront d'un système juridique à la carte, dans lequel on ne se soumet qu'aux lois auxquelles chacun a individuellement consenti. A ce moment, ce ne serait plus la loi républicaine qui serait menacée mais la République elle-même. »
Et d’ordinaire, si quelques-uns venaient à refuser de signer et contestaient dans les faits le contenu de la Charte, les textes normatifs pertinents (Constitution, code de l’éducation, loi de 1905 etc) ne pourraient-ils pas être opposés par l’établissement scolaire ?
Et si des manquements manifestes à des prescriptions légales - relayées notamment par le règlement intérieur - étaient relevés, le droit disciplinaire de l’établissement ne rentrerait-il pas en application à des fins de sanction?
La réponse est à chaque fois positive.
Les parents-destinataires de la Charte peuvent alors « comprendre » ou « rêver » ce que bon leur semble de la Charte. Ils jouissent de leur liberté d’opinion et leur avis ne changera, dans l’immédiat, rien au droit positif.
A travers l’exigence d’une telle signature, ce n’est ainsi ni « le principe de laïcité », ni « la loi républicaine », ni « la République elle-même » qui est « menacée ».
C’est à ce stade que l’on vient, à mon sens, au fond du débat : car ce n’est pas tant l’exigence de signature par les parents qui doit faire l’objet de discussions mais davantage le principe-même de la Charte, son contenu-opportunité et la façon de « l’enseigner ».
Je ne serai pas long. Jean Baubérot a beaucoup écrit à ce sujet*. L’enjeu autour de l’enseignement de cette Charte et plus généralement autour du « nouvel » Enseignement Civique et Morale réside davantage dans la capacité des équipes pédagogiques à permettre de transmettre un certain nombre de valeurs, idéaux ou encore principes de la République et de la vie en société tout en autorisant ou en incitant à la réflexivité critique des élèves par rapport à cette Charte et à son contenu, par rapport à l’Ecole qu’ils fréquentent et de façon générale par rapport à la Société toute entière, dont il aspire à être des composantes autonomes. Le défi que pose ce genre de texte à l’institution, c’est par exemple celui de l’égalité dans les chances de réussite (art. 1, 4, 7) ou encore celui de la lutte contre les discriminations de toute sorte (art. 8, 9).
* Quelques références d’article :
Jean Baubérot, Charte de la laïcité : vive l’école laïque (09 septembre 2013)
http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-bauberot/090913/charte-de-la-laicite-vive-l-ecole-laique
Jean Baubérot, Dix pistes sur la laïcité et l’école (17 février 2015)
http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-bauberot/170215/dix-pistes-sur-la-laicite-et-l-ecole
Jean Baubérot, L’enseignement moral et civique (31 août 2015)
http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-bauberot/310815/l-enseignement-moral-et-civique
Selim Degirmenci
[PS : la Charte n’est, à ma connaissance, pas une initiative de l’Observatoire de la laïcité, mais du ministère de l’Education nationale, soutenue en ce sens par l’Observatoire. Cf. http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2014/07/diffusion-charte-laicite-ecole.pdf
PS²: un billet reprenant en partie les observations faites ici: http://acceptions-croisees.blogspot.com/2015/09/billet-rentree-2015-charte-de-la.html]
Le commentaire déposé par Selim Degrimenci le 2 septembre a été supprimé par erreur. Avec mes excuses, je le reproduis ci dessous :
RépondreSupprimerCher Professeur,
D'accord avec vous lorsque vous écrivez que la laïcité est la "loi" de la République; je dirais même elle est "avant tout" un "principe" de la République [expression que vous employez également].
Là où je me sépare de vos considérations, c'est lorsque vous voyez, dans l'invitation [à signer la Charte de la laïcité à l'école] adressée aux parents, une potentialité pouvant sérieusement conduire "certains groupes religieux" à remettre en question "la loi républicaine".
------ « Sur ce plan, la lettre constitue un élément essentiel sur lequel s'appuieront des actions militantes visant à autoriser les manifestations de la religion dans les établissements d'enseignement. Nul doute que certains groupes religieux inciteront leurs membres à ne pas signer, [...] »
------ « La mesure ainsi annoncée a donc comme premier effet d'offrir un levier au prosélytisme religieux, d'où qu'il vienne. Mais il y a plus grave, car cette initiative vient aussi fragiliser le principe de laïcité, qui n'avait vraiment pas besoin de ce mauvais coup. »
On peut discuter de l’opportunité de soumettre cette Charte à la signature des parents. Mais, voir dans une telle exigence, une occasion offerte à « certains groupes religieux » de se livrer à du prosélytisme religieux sous prétexte d’un refus de signature, n’est pas crédible.
En effet, si cette signature est recommandée, on ne pourra naturellement pas l’imposer comme vous le relevez justement ; cette mesure visant uniquement à « s’assurer » de la prise de connaissance de celle-ci. Peut-être l’Education nationale imposera-t-elle à termes l’adjonction de la formule « Lue et approuvée » ?
Soit, l’exigence de « signature » peut donner l’apparence éphémère d’une « contractualisation » de la Charte. Mais je ne vois pas comment le refus de signer un document à visée purement informationnelle - reprenant pour une grande partie le droit positif comme vous le relevez encore - pourrait sérieusement constituer un « levier » au profit de groupes religieux.
Je vous remercie pour la place que vous accordez au débat au sein de votre blog.
RépondreSupprimerVoici la 2nde partie manquante de mon commentaire :
------ « En "invitant" les parents à la signer, c'est donc le droit positif qui est présenté comme ayant, en quelque sorte, une nature contractuelle. Car les destinataires de cette lettre comprendront qu'ils peuvent consentir au respect du principe de laïcité, ou ne pas y consentir. La laïcité devient une simple "valeur" à laquelle on peut adhérer, ou pas. »
------« Car ceux qui ne signeront pas estimeront que la loi ne leur est pas applicable. Et ils rêveront d'un système juridique à la carte, dans lequel on ne se soumet qu'aux lois auxquelles chacun a individuellement consenti. A ce moment, ce ne serait plus la loi républicaine qui serait menacée mais la République elle-même. »
Et d’ordinaire, si quelques-uns venaient à refuser de signer et contestaient dans les faits le contenu de la Charte, les textes normatifs pertinents (Constitution, code de l’éducation, loi de 1905 etc) ne pourraient-ils pas être opposés par l’établissement scolaire ?
Et si des manquements manifestes à des prescriptions légales - relayées notamment par le règlement intérieur - étaient relevés, le droit disciplinaire de l’établissement ne rentrerait-il pas en application à des fins de sanction?
La réponse est à chaque fois positive.
Les parents-destinataires de la Charte peuvent alors « comprendre » ou « rêver » ce que bon leur semble de la Charte. Ils jouissent de leur liberté d’opinion et leur avis ne changera, dans l’immédiat, rien au droit positif.
A travers l’exigence d’une telle signature, ce n’est ainsi ni « le principe de laïcité », ni « la loi républicaine », ni « la République elle-même » qui est « menacée ».
C’est à ce stade que l’on vient, à mon sens, au fond du débat : car ce n’est pas tant l’exigence de signature par les parents qui doit faire l’objet de discussions mais davantage le principe-même de la Charte, son contenu-opportunité et la façon de « l’enseigner ».
Je ne serai pas long. Jean Baubérot a beaucoup écrit à ce sujet*. L’enjeu autour de l’enseignement de cette Charte et plus généralement autour du « nouvel » Enseignement Civique et Morale réside davantage dans la capacité des équipes pédagogiques à permettre de transmettre un certain nombre de valeurs, idéaux ou encore principes de la République et de la vie en société tout en autorisant ou en incitant à la réflexivité critique des élèves par rapport à cette Charte et à son contenu, par rapport à l’Ecole qu’ils fréquentent et de façon générale par rapport à la Société toute entière, dont il aspire à être des composantes autonomes. Le défi que pose ce genre de texte à l’institution, c’est par exemple celui de l’égalité dans les chances de réussite (art. 1, 4, 7) ou encore celui de la lutte contre les discriminations de toute sorte (art. 8, 9).
* Quelques références d’articles :
*Jean Baubérot, Charte de la laïcité : vive l’école laïque (9 septembre 2013)
http://blogs.mediapart.fr/.../charte-de-la-laicite-vive-l...
*Jean Baubérot, Dix pistes sur la laïcité et l’école (17 février 2015)
http://blogs.mediapart.fr/.../dix-pistes-sur-la-laicite...
*Jean Baubérot, L’enseignement moral et civique (31 août 2015)
http://blogs.mediapart.fr/.../l-enseignement-moral-et...
Selim Degirmenci
[PS : la Charte n’est, à ma connaissance, pas une initiative de l’Observatoire de la laïcité, mais du ministère de l’Education nationale, soutenue en ce sens par l’Observatoire. Cf. http://www.gouvernement.fr/.../diffusion-charte-laicite...
PS²: un billet reprenant en partie les observations venant d’être faîtes : http://acceptions-croisees.blogspot.com/2015/09/billet-rentree-2015-charte-de-la.html]