D'abord, il faut le reconnaître, le texte a obtenu une très large majorité : 438 députés ont voté pour, 86 contre, et 42 se sont abstenus. Si l'opposition au texte a investi l'espace médiatique avec l'intervention de bon nombre d'ONG et d'experts, l'espace politique, lui, est demeuré globalement favorable au texte.
Ensuite, le vote a montré que les divergences passent à l'intérieur des partis politiques. Entre les "frondeurs" du PS qui ont voté contre ou se sont abstenus (10 votes contre et 17 abstentions) et les 143 députés UMP qui se sont prononcés pour le texte, l'habituelle bipolarisation de notre vie politique semble quelque peu malmenée. Il n'en demeure pas moins que la classe politique, dans son ensemble, semble plutôt favorable au texte.
Une politique publique du renseignement
Un champ d'application extrêmement large
Ce cadre juridique se caractérise cependant par une volonté de laisser à ces services une large autonomie dans leur activité.
Le champ des activités de renseignement est ainsi défini à travers les finalités poursuivies. Le nouvel article 811-3 du code de la sécurité intérieure (csi) y intègre à la fois ce qui touche à la défense et à la sécurité, aux intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs, à la prévention du terrorisme, à celle des atteintes à la forme républicaine des institutions, sans oublier la criminalité organisée et de la prolifération des armes de destruction massive. La référence aux "violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique" a néanmoins été supprimée durant le débat parlementaire, en raison de son imprécision.
Au regard des services concernés, la loi vise les services de renseignement traditionnellement identifiés comme tels : Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), Direction du renseignement militaire (DRM), Direction de la protection de la sécurité et de la défense (DPSD). On y trouve aussi les services douaniers (Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières) et Tracfin, chargé de lutter contre les circuits financiers clandestins. En soi, ce n'est pas anormal car la notion de défense englobe aussi bien la sécurité extérieure et intérieure que les intérêts économiques fondamentaux.
Les données accessibles aux services de renseignement sont également largement définies, englobant finalement toutes les données échangées par les utilisateurs connectés et toutes celles susceptibles de les identifier ou de les repérer. Le support utilisé importe peu, ce qui peut aussi être expliqué car la loi doit pouvoir s'adapter aux évolutions technologiques.
Cette recherche d'un fondement et d'un encadrement juridiques est évidemment positive. Le problème est qu'elle ne doit pas se réduire à l'octroi d'un blanc-seing permettant aux services de s'affranchir des procédures les plus élémentaires de l'Etat de droit.
Un débat technique
Le juge judiciaire, écarté de la protection des libertés
L'article 66 de la Constitution énonce que l'autorité judiciaire est "gardienne de la liberté individuelle". On pouvait donc espérer que le législateur, soucieux de la protection des libertés prévoie l'intervention du juge judiciaire pour autoriser l'accès aux données personnelles. Mais il a préféré, hélas, prévoir des modalités de contrôle qui ont comme caractéristique de l'exclure de l'ensemble du dispositif.
Pour encadrer les pratiques des services de renseignement, le projet prévoit la création d'une nouvelle autorité administrative indépendante : la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Elle doit remplacer l'actuelle Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) créée par la loi du 10 juillet 1991. Elle est composée de treize membres, dont six parlementaires, trois membres du Conseil d'Etat, trois magistrats de la Cour de cassation et une personnalité qualifiée. Les trois magistrats de l'ordre judiciaire sont donc des membres comme les autres d'une autorité administrative.
La CNCTR, autorité administrative
En tout état de cause, le pouvoir de décision de la CNCTR est pour les moins limité. Certes, l'accès aux données personnelles fait désormais l'objet d'une procédure d'autorisation sensiblement identique à celle mise en oeuvre par la loi de 1991 dans le cas des écoutes téléphoniques. Cette autorisation est donnée par le Premier ministre et la CNCTR donne seulement un avis préalable. Il s'agit donc d'une procédure consultative ordinaire et le Premier ministre peut suivre, ou cet avis. Lorsque la procédure est marquée par l'urgence, la CNCTR n'est même pas saisie pour avis mais informée a posteriori. Quoi qu'il en soit, si elle n'est pas d'accord avec une autorisation, elle peut toujours faire au Premier ministre une "recommandation".
Le recours devant le Conseil d'Etat
Et si la "recommandation" n'est pas suivie ? Dans ce cas, la CNCTR peut saisir le Conseil d'Etat, seul habilité à exercer un contrôle contentieux dans ce domaine. Les recours seront traités par une formation spécialisée composée de membres habilités secret-défense. Dans l'hypothèse où une le recours pose une question de droit d'un intérêt particulier, il sera possible néanmoins de saisir la section du contentieux.
Pour la personne qui se pense surveillée, la saisine du Conseil d'Etat ne présente qu'un intérêt symbolique. Comme en matière d'accès aux fichiers de sécurité publique, elle ne dispose que d'un "droit d'accès indirect", notion sans doute inventée par un humoriste, puisque la procédure ne donne aucun accès, ni direct ni indirect, aux données recueillies sur son compte. L'intéressé peut seulement obtenir que des "vérifications" soient effectuées. A l'issue de la procédure, il sait que lesdites "vérifications" ont été effectuées, mais il ne sait toujours pas s'il est surveillé, ou pas.
Le législateur a donc choisi de privilégier un contrôle par le juge administratif plutôt que respecter la lettre de l'Article 66 de la Constitution. Depuis la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 23 janvier 1987, il est entendu qu'un tel choix peut être réalisé, à la condition qu'il soit justifié par une préoccupation de "bonne administration de la justice". Reste à se demander si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République de la loi sur le renseignement, estimera que la compétence du juge administratif en matière de renseignement répond à une telle préoccupation. Ce choix revient en fait à affirmer que le renseignement relève de la puissance publique et doit, à ce titre, échapper au juge judiciaire.
L'effet d'aubaine du terrorisme
Le rapport de J.J. Urvoas précise que le texte "n'est pas un texte antiterroriste", rappelant qu'il s'agit de définir un cadre juridique à l'ensemble des activités de renseignement. Sans doute, mais cela n'empêche pas le Premier ministre, sur son site, de le présenter comme un élément de la lutte contre le terrorisme, article illustré par une belle photo des militaires de Vigipirate patrouillant sous la Tour Eiffel. Soyons clairs : la loi n'a pas pour objet de lutter contre le terrorisme, mais la menace terroriste permet de "faire passer le texte" dans l'opinion. C'est l'effet d'aubaine du terrorisme, formule aujourd'hui largement employée, et dont l'origine se trouve dans un article paru dans l'Annuaire français des relations internationales, en 2008.
Le projet de loi ne concerne que marginalement la lutte contre le terrorisme. Celui-ci est utilisé comme élément de langage, pour conférer une légitimité à l'action des services de renseignement sans avoir à susciter le débat, tant le terrorisme apparaît comme une justification indiscutable. Au nom du terrorisme, on fait accepter les fichages, les investigations dans la vie privée, les instruments de repérage, la vidéo-surveillance rebaptisée en vidéo-protection, biométrie etc etc..
Elint vs Humint (Electronic Intelligence vs Human Intelligence)
Sur ce plan, le projet de loi est aussi le constat d'un échec. La réforme des services de renseignement réalisée en 2008 à l'initiative de Nicolas Sarkozy a plus ou moins détruit le renseignement humain (Humint) qui constituait le socle de notre système de renseignement. La fusion de la DST (Direction de la surveillance du territoire) et des RG (Renseignements généraux) s'est traduite par un affaiblissement du renseignement sur le territoire. Il n'y avait plus alors d'autre solution que de se tourner vers Elint (renseignement électronique), en mettant en oeuvre un système de surveillance généralisée des réseaux, inspiré du modèle américain. Le projet de loi s'inscrit évidemment dans ce projet visant désormais à privilégier Elint sur Humint.
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