Dans une
décision du 22 mai 2015, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) posées par la société Uber, entreprise gérant un parc de "voitures de tourisme avec chauffeur" (VTC). C'est évidemment un nouvel épisode du conflit opposant ce type de transport aux taxis, conflit déja marqué par une première QPC du
17 octobre 2014 initiée par la chambre syndicale des cochers chauffeurs de taxi CGT. Le Conseil constitutionnel avait alors admis la conformité à la Constitution de la
loi du 22 juillet 2009, organisant le régime juridique de l'exploitation des VTC et, par là-même, entériné l'existence d'une dualité des
professions chargées du transport particulier des personnes à titre
onéreux, d'un côté les taxis, de l'autre les VTC.
Aujourd'hui, c'est la principale entreprise de VTC qui est l'origine des QPC portant sur différentes dispositions législatives du code des transports. Elles établissent le régime juridique des deux professions. L'
article L 3120-2 du code des transports (c. transp.) distingue entre les taxis qui peuvent prendre en charge un client sur la voie publique et les VTC qui doivent faire l'objet d'une réservation préalable. Au regard des tarifs, les taxis facturent leur course a posteriori par rapport à la distance parcourue, alors que les VTC doivent, en principe, faire connaître au client le prix total de la prestation au moment de la réservation (
art. L 3122-2 c. transp.). Enfin,
l'article L 3122-9 c.transp. interdit au chauffeur de VTC de stationner sur la voie publique, et le contraint donc à rentrer dans le parking de son entreprise lorsqu'il n'est pas en course. D'une manière générale, la société Uber conteste ainsi tout ce qui différencie le régime juridique des VTC de celui des taxis.
A l'appui de ces recours, la société Uber s'appuie sur deux moyens essentiels, d'une part l'atteinte au principe d'égalité, d'autre part l'atteinte à la liberté d'entreprendre. Le Conseil constitutionnel se livre à une appréciation nuancée, admettant la différence de régimes juridiques en matière de "maraude" et de "retour à la base" mais sanctionnant l'atteinte à la liberté d'entreprendre des entreprises de VTC en matière de fixation du prix de la course.
La maraude
La
loi du 1er octobre 2014 rappelle l'interdiction faite à tous les transporteurs particuliers à titre onéreux de pratiquer la maraude sur la voie publique, y compris dans les gares et les aéroports. La maraude peut se définir simplement comme le fait de prendre des clients sur la voie publique, en dehors même des stations réservées aux taxis. La seule exception, mais elle est de taille, existe au profit des taxis circulant dans leur zone de rattachement.
Cette interdiction s'applique aussi, et c'est l'un des apports de la loi de 2014, à la maraude dite "électronique", le client appelant un VTC qui circule dans son quartier au moyen d'une application téléchargée sur son smartphone. Elle s'applique enfin aux "racoleurs", c'est-à-dire aux chauffeurs démarchant directement les clients à la descente du train ou de l'avion. Cette interdiction de la maraude est assortie d'une peine pénale d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende.
Dans sa décision rendue sur
QPC du 7 juin 2013, à propos cette fois des motos taxis, le Conseil constitutionnel avait déjà estimé que l'interdiction de stationner sur la chaussée en quête de clients imposée à ces véhicules ne portait pas une atteinte "
manifestement disproportionnée" aux libertés de circulation et d'entreprendre, "
eu égard aux objectifs (...) de police de la circulation (...)". De même, dans sa décision du 17 octobre 2014, déjà rendue à propos des VTC, le Conseil s'était borné à affirmer qu'en réservant aux taxis l'activité de maraude, "
le législateur n'a pas porté à la liberté d'entreprendre (...) une atteinte disproportionnée eu égard des objectifs d'ordre public poursuivis". La décision du 22 mai 2015 ne fait que reprendre une nouvelle fois cette jurisprudence, considérant que les nécessités de la police de la circulation justifient une telle mesure.
Les Tontons Flingueurs. Georges Lautner 1963. Lino Ventura et Charles Lavialle
Le "retour à la base"
L'obligation de "retour à la base" posée par l'article L 3122-9 c.transp. fait l'objet d'une analyse comparable. Pour le Conseil constitutionnel, cette obligation faite aux VTC de rentrer dans le parking de leur entreprise lorsqu'ils ne sont pas en course est la conséquence directe de l'interdiction de la maraude : c'est parce qu'il ne peuvent chercher le client sur la voie publique ni stationnement dans les espaces réservés aux taxis qu'ils doivent effectuer ce "retour à la base".
Cette fois, c'est sur le principe d'égalité que se fonde la société Uber pour contester cette disposition. Le Conseil constitutionnel écarte ce moyen, en affirmant que les taxis sont également soumis à cette règle qui s'applique non seulement aux VTC mais aussi aux taxis qui se trouvent en dehors de leur zone de rattachement. Autrement dit, hors de sa zone de maraude, le taxi est exactement dans la même situation juridique que le VTC. De cette situation, le Conseil constitutionnel déduit qu'il n'y a pas atteinte au principe d'égalité.
La fixation du prix
La décision du 22 mai 2015 marque cependant les limites de cette jurisprudence. S'il est possible de porter atteinte à la liberté d'entreprendre pour des motifs liés à la police de la circulation et donc à la sécurité publique, l'atteinte est moins justifiée lorsqu'il s'agit tout simplement de définir le prix d'une prestation. La société Uber conteste ainsi l'interdiction qui lui est faite de facturer ses clients à partir d'une tarification horokilométrique, semblable à celle appliquée au client d'un taxi.
Dans sa
décision du 23 mai 2013, le Conseil a été confronté à une loi imposant une majoration du prix de la prestation de transport de marchandises pour compte d'autrui, et il a considéré que cette mesure ne "
portait pas une atteinte disproportionnée" à la liberté d'entreprendre. Autant dire qu'une intervention de la loi dans les modalités de fixation d'un prix emporte bien une atteinte à cette liberté, même s'il appartient au Conseil constitutionnel d'en apprécier le bien-fondé. Dans ce domaine, le contrôle du Conseil est donc celui de la disproportion manifeste, dont on sait qu'il conduit rarement à la censure (par exemple :
décision du 13 janvier 2000).
La question ne manque pas de pertinence. Il y a effectivement atteinte à la liberté d'entreprendre dès lors que la société de VTC ne peut définir elle-même ses modalités de facturation. Et il faut bien reconnaître que le motif d'intérêt général sur lequel repose cette restriction demeure peu clair. Il ne s'agit pas de protéger le consommateur, car la prévisibilité du prix n'est pas différente de celle qui existe dans un taxi. Quant à la volonté de différencier le régime juridique des VTC de celui des taxis, elle existe sans doute mais ne repose pas sur un motif d'intérêt général clairement établi. On comprend bien qu'aux yeux de l'entreprise Uber, cette disposition vise seulement à protéger le marché des taxis en leur évitant la concurrence directe des VTC.
Sur ce point, le Conseil constitutionnel donne satisfaction à l'entreprise requérante en estimant que l'interdiction faite aux VTC de facturer ses clients en fonction de la distance parcourue porte une atteinte excessive à la liberté d'entreprendre.
Ce dernier épisode du conflit entre VTC et taxis s'achève donc par une décision nuancée qui entérine finalement la différence de régimes juridiques entre les deux secteurs. Il est probable que le conflit va désormais se déplacer, sans doute vers le droit de la concurrence ou vers le droit fiscal. Le premier devra résoudre la question de l'existence d'un marché unique du transport de voyageurs ou de deux marchés non substituables. Le second devra sans doute s'interroger sur le statut des entreprises de VTC généralement domiciliées à l'étranger et payant fort peu d'impôts dans notre pays. A suivre.
Quel duel et quel débat !! Merci pour cet article qui nous permet de mieux comprendre. Aujourd'hui je comprends que les taxis ne puisse pas baisser leurs tarifs à cause des charges qui leurs sont imposées. Et je comprends qu'ils soient en colère quand on voit les VTC qui en ont aucunes ! Mais peut être que tout le monde devrait se remettre en question pour que chacun puisse travailler en paix. Sachant que les taxis et les VTC n'ont pas du tout la même clientèle ! Pour ma part, j'ai testé dernièrement une voiture avec chauffeur bordeaux et j'en étais ravi ! Tout s'est super bien passé !
RépondreSupprimerActuellement on doit se dire qu'une cohabitation taxi bordeaux et vtc doit se faire dans les meilleures conditions.
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