Comme souvent en matière de terrorisme, le projet de texte est avant tout réactif. Il vise à adapter la législation aux nouvelles menaces, c'est à dire aux nouvelles formes que prend le terrorisme, notamment celui issu de l'Islam le plus radical. Parmi les dispositions de ce projet, trois mesures particulièrement importantes, et médiatisées, illustrent cette démarche.
L'entreprise individuelle de terrorisme
Pendant bien longtemps, les systèmes juridiques occidentaux se sont battus contre des nébuleuses terroristes, des petits groupes se revendiquant souvent de différentes mouvances, d'Action Directe à Al Qaida. A l'époque, le droit avait d'ailleurs créé le délit d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, délit codifié dans l'
article 421-2-1 du code pénal. Ce délit a rendu de grands services en permettant l'arrestation des individus concernés avant qu'ils aient commis un acte irrémédiable, c'est à dire au moment de sa préparation.
Aujourd'hui, la menace terroriste peut aussi prendre la forme de l'agression d'un individu isolé comme Mohamed Mérah ou Mehdi Nemmouche. Le projet de loi, dans son article 5, prévoit la création d'un nouvel article 421-2-6 du code pénal ainsi rédigé : "Constitue également un acte de terrorisme, lorsqu'il est intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, le fait de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui (...)". Cette notion d'"entreprise individuelle" permet donc, comme en matière d'association de malfaiteurs, d'interrompre le processus de préparation de l'acte de terrorisme.
Cette disposition est sans doute la moins contestée du projet de loi, d'autant que son champ d'application demeure limité aux cas les plus graves. Sont ainsi visés l'achat ou la fabrication d'armes et de substances toxiques ou explosives, c'est à dire des démarches très concrètes manifestant un commencement d'exécution d'un projet terroriste. En revanche, le fait de fréquenter des sites radicaux sur internet ou même de récolter des fonds n'entre pas dans cette "entreprise individuelle".
OSS 117. Le Caire, nid d'espions. Michel Hazanavicius 2006
Jean Dujardin
L'interdiction de sortie du territoire
Le terrorisme islamique a aujourd'hui un certain nombre de sanctuaires territoriaux, en particulier en Syrie. Le ministère de l'intérieur évalue ainsi à 950 le nombre de jeunes Français partis dans ce pays pour participer aux combats et se former aux méthodes terroristes. La menace est double car ces combattants non seulement vont grossir les rangs d'une armée djihadiste mais risquent aussi de revenir dans notre pays parfaitement formés pour y développer une action terroriste.
Le projet de loi s'efforce de lutter contre ces départs en instaurant une interdiction de sortie du territoire. Elle sera appliquée par une simple décision administrative "dès lors qu'il existe des raisons sérieuses de croire" que la personne visée "projette des déplacements à l'étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes ou "sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes".
Cette mesure est davantage discutée que la précédente. Sa durée tout d'abord suscite des débats à l'Assemblée, les parlementaires UMP souhaitant que l'interdiction soit prononcée pour une durée d'un an alors que le projet ne prévoit qu'une durée de six mois, éventuellement renouvelable. Surtout, une partie de la droite souhaite l'adoption d'un dispositif existant déjà au Royaume-Uni, permettant de déchoir de leur nationalité française les binationaux. Les amendements en ce sens ont cependant bien peu de chances d'être votés.
La propagande terroriste sur internet
La dernière caractéristique des mouvements terroristes d'aujourd'hui réside dans le fait qu'ils maîtrisent parfaitement les instruments de communication, et notamment internet. Le réseau constitue à la fois un instrument de recrutement et de formation.
Sur ce point, le projet de loi confère à l'autorité administrative compétence pour exiger le blocage des sites internet faisant l'apologie du terrorisme, selon un dispositif largement inspiré de ce qui existe pour les sites pédopornographiques. Concrètement, l'administration demandera à l'hébergeur le retrait du contenu illicite, retrait qui devra intervenir dans les 24 heures.
Cette disposition est sans doute la plus contestée du projet de loi. Les professionnels d'internet tout d'abord ont trouvé quelques relais au Parlement pour faire connaître leur opposition. Ils y voient le retour du délit de consultation habituelle de sites internet faisant l'apologie du terrorisme, délit que
Nicolas Sarkozy avait annoncé vouloir introduire dans le code pénal, après l'affaire Mérah. Il n'en est rien pourtant car ce n'est pas celui qui consulte qui est visé mais seulement les responsables du site. Les opposants à cette disposition insistent aussi sur son inefficacité et il est vrai qu'un site bloqué peut immédiatement créer des sites miroirs qui demeurent consultables. Au demeurant, la procédure risque d'être très difficile à mettre en oeuvre lorsque le site est hébergé à l'étranger.
La critique essentielle formulée à l'égard de cette disposition est cependant de nature juridique et porte sur la place importante attribuée à l'autorité administrative, au détriment du juge. Certes, le juge administratif peut être saisi a posteriori d'un recours contestant la légalité de la mesure prise, voire d'une demande de référé pour en obtenir la suspension. Mais la décision elle même demeure purement administrative alors qu'il s'agit toujours de porter atteinte à une liberté publique, liberté de circulation pour l'interdiction de sortie du territoire, liberté d'expression pour le contrôle d'internet. De telles mesures peuvent être prises, et sans doute doivent l'être, mais l'article 66 de la Constitution énonce que l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle. Ne conviendrait-il pas de restituer au juge judiciaire la compétence qui est la sienne ? Puisque la France a fait le choix de se doter de juges spécialisés dans la lutte contre le terrorisme, il serait sans doute possible de leur attribuer des compétences qui complètent logiquement celles dont ils disposent déjà.
Ce qui est particulièrement alarmant du point de vue des libertés publiques est la circonstance que, depuis quelques années , (et qu'il s'agisse de la droite ou de la gauche), le "court-circuitage" du juge est systématiquement envisagé...
RépondreSupprimerQuelques réflexions qu'inspire votre présentation.
RépondreSupprimer- La quadrature du cercle. La lutte contre le terrorisme international illustre à merveille la contradiction que doit surmonter tout pouvoir dans une démocratie digne de ce nom : protéger l'Etat tout en ne portant pas atteinte aux droits élémentaires des citoyens. L'exercice n'est pas simple !
- L'inflation normative. En France,, tout commence et finit par des lois. Sur ce sujet, 16 lois ont été adoptées par le Parlement depuis 1986 (Cf. "Le jeu des 16 terreurs", Le Canard enchaîné, 17 septembre 2014, page 8). Toujours le même scenario : attentat, passion, précipitation, communication, législation... Souvent, bonjour les dégâts en termes de libertés publiques.
- L'ignorance des causes. Couper la mauvaise herbe n'empêche pas qu'elle repousse rapidement. Se penche-t-on sur les multiples causes du terrorisme : politiques (autisme des élites), sociales (panne de l'ascenceur social, grippage du modèle de l'intégration à la Française), économiques (prolongation de la crise économique et montée du chômage), religieuses (prégnance du phénomène religieux dans les relations internationales)... ? "A menace globale, réponse globale" déclare le président de la République. Nous en sommes encore loin.
- La fragilisation du citoyen (Cf. commentaire précédent). Dans ce contexte, le citoyen apparait comme le dindon de la farce. Celui qui sera lésé par la mise en oeuvre de cette norme devra effectuer le parcours du combattant : recours au juge national (instance, appel, cassation), en distinguant entre le juge judiciaire et administratif, pour épuiser les voies de recours internes avant de pouvoir se tourner vers la Cour européenne des droits de l'Homme qui prend environ trois ans pour statuer si elle estime la requête recevable. Pendant ce temps, le mal est fait (Cf. vos analyses des arrêts récents de la CDEH condamnant la Pologne et la Belgique).
On l'aura compris, la protection des libertés s'apparente à la quête du bonheur.
N'aurait-il pas été plus intelligent, au lieu de les empêcher de partir, de les déchoir de la nationalité (le cas échéant) et de les empêcher de revenir ?
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