Le 9 janvier 2012, le ministre de l'intérieur, Claude Guéant, a procédé officiellement à l'installation du CNAPS, acronyme désignant le tout nouveau "Conseil national des activités privées de sécurité". Alain Bauer, "criminologue" officiel, candidat à toutes les présidences de toutes les structures créées dans le domaine de la politique sécuritaire, par ailleurs créateur d'une
entreprise privée d'audit et de consultation dans ce domaine, a, comme il se doit, été élu Président de cette nouvelle instance. Il sera assisté d'un directeur, le préfet Jean-Yves Latournerie, désigné par le décret du 26 décembre 2011.
Une communication réussie
Le CNAPS trouve son origine dans la loi du 14 mars 2011 sur la sécurité intérieure, dite
Loppsi 2, ou plus exactement dans un
amendement gouvernemental déposé devant le Sénat. Selon les éléments de langage diffusés par la presse, cet amendement trouve son origine dans le rapport remis au ministre de l'intérieur le 7 juin 2010 rédigé conjointement par l'inspection générale de l'administration et les inspections générales de la police (IGPN) et de la gendarmerie (IGGN). Ce rapport Blot, du nom de son rapporteur, aurait en effet préconisé la création d'une telle structure, afin d'organiser le contrôle de l'Etat sur ses entreprises privées de sécurité. Le conditionnel s'impose cependant, car le rapport Blot n'est pas publié et reste introuvable sur le site de ministère de l'intérieur, qui affecte pourtant une
page spéciale au téléchargement des rapports des inspections générales.
On trouve en revanche beaucoup de documents témoignant du désir des professionnels privés du secteur de bénéficier d'un tel encadrement. Le Président du syndicat national des entreprises de sécurité (SNES) déclarait ainsi, dans une
interview, : "
Nous sommes pour l'instauration, enfin !, d'un interlocuteur unique pour la profession, que le SNES attend et réclame depuis des années. C'est là une avancée considérable dont nous nous félicitons". Ce point de vue, que l'on retrouve à peu près dans les mêmes termes, à l'Union des entreprises de sécurité privées
(USP), n'a rien à voir avec la langue de bois d'usage dans ce type de situation. Il reflète au contraire parfaitement la position des professionnels du secteur, qui perçoivent le CNAPS comme un instrument d'organisation, indispensable dès lors que ces entreprises emploient environ 165 000 personnes.
La communication, parfaitement réussie, du ministère de l'Intérieur a donc pour objet de laisser croire que la création du CNAPS est seulement un instrument au service de l'Etat, alors qu'elle est aussi l'instrument de la privatisation de la sécurité.
Un instrument au service de l'Etat
Le nom de la nouvelle structure laisserait volontiers entendre qu'il s'agit d'une autorité indépendante, d'autant que l'organe délibérant est pompeusement qualifié de "collège". En réalité, le CNAPS n'est rien d'autre qu'un établissement public administratif, et le fameux "collège" ressemble fort à un conseil d'administration.
La mission du Conseil, si l'on en croit la communication officielle, est de "faire le ménage", c'est à dire d'octroyer un agrément aux entreprises de sécurité, afin de "moraliser" un secteur qui comprend aussi bien les détectives privés que les gardiens d'immeuble en passant par les convoyeurs de fond et les agents de surveillance ou de vidéosurveillance. Pour effectuer cette mission de police administrative, le CNAPS disposera de 215 experts répartis sur l'ensemble du territoire, et qui auront pour mission de traquer les officines douteuses, celles qui ne respectent pas les règles organisant le secteur.
Cette mission n'a rien de nouveau cependant, et depuis la loi du 12 juillet 1983, les activités privées de sécurité font l'objet d'une réglementation qui se traduit par l'octroi d'un agrément, matérialisé par une carte professionnelle (
décret du 9 février 2009). La réforme actuelle se borne donc à transférer cette activité de police administrative des préfectures au CNAPS.
De la même manière, le Conseil pourra être saisi par n'importe quel citoyen désirant se plaindre des agissements illégaux ou contraires à la déontologie d'une entreprise de sécurité privée, et, le cas échéant, prononcer des sanctions. Là encore, la défunte Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), créée 2000, exerçait cette mission avec une indépendance plus large, puisqu'il s'agissait d'une autorité administrative indépendante et non pas d'un établissement public. On peut s'interroger sur l'intérêt d'une telle fonction, car la CNDS avait été saisie de quatre plaintes portant sur des entreprises de sécurité privée entre 2000 et 2010, soit environ une tous les deux ans.
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Morris et René Gosciny. Lucky Luke contre Joss Jamon. 1958 |
Un instrument au service de la privatisation de la sécurité
On le voit, le CNAPS est sans doute un instrument au service de l'Etat, mais ses missions ne sont guère innovantes. On constate en revanche que les principales bénéficiaires de la création de ce nouveau établissement public sont les entreprises privées elles mêmes.
L'affirmation peut surprendre, et pourtant... Sur le plan structurel, on observe que les professionnels du secteur ont obtenu une très large représentation au sein du conseil d'administration. On y trouve en effet 8 représentants des professionnels du secteurs, 13 de l'Etat, et quatre "personnalités qualifiées' (dont Alain Bauer). S'ils sont minoritaires sur le papier, les professionnels constituent une minorité suffisamment puissante pour pouvoir tirer parti de tous les soutiens dont elle disposera, et ils sont nombreux, parmi les "personnalités qualifiées" et les représentants des autorités publiques.
De même, l'
article 19 de la loi de finances rectificative pour 2011 prévoit que l'institution nouvelle sera financée par une taxe de 0,5 % des ventes de prestation de service d'activité de sécurité privée. Le budget annuel, fixé à environ 13 millions €, sera donc largement le produit de l'activité du secteur privé de la sécurité. Autant dire que le contrôle de ces entreprises est financé par elles-mêmes, ce qui leur confère évidemment un poids non négligeable dans la nouvelle institution.
D'un côté, le gouvernement actuel a besoin des entreprises privées pour assurer des missions de sécurité que les forces et de gendarmerie ne peuvent plus assumer, faute des moyens nécessaires. La privatisation de la sécurité lui paraît la solution idéale pour vendre du sentiment de sécurité aux citoyens, sans pour autant investir dans la sécurité. De l'autre côté, celui des entreprises, le CNAPS permet une organisation en lobbying et une légitimité toute neuve, dans le cadre d'une institution entièrement tournée vers la privatisation de la sécurité. Ces petits arrangements entre amis apporteront sans doute des bénéfices substantiels à ceux qui considèrent la sécurité, non pas comme un service public, mais comme un marché.
Bravo pour votre article!
RépondreSupprimerA l'heure où le mot "conflit d'intérêts" est sur toutes les langues (même le JCP G en fait un numéro spécial et chacun brandit ce nouvel étendard), il serait peut être bon que le conseil d'état renforce son contrôle sur les nominations des AAI!
J'adore votre blog. Il est passionnant. On y trouve des informations que l'on ne trouve nulle part ailleurs et de très intéressantes réflexions juridiques. Le problème c'est qu'à chaque fois que je vous lis, j'angoisse. J'angoisse devant l'absence de lutte coordonnée, de masse, contre tout cet arsenal de contrôle et répressif. En tout cas, grand merci à vous pour tout ce travail.
RépondreSupprimerVotre point de vue est tout à fait défendable. Cependant le CNAPS apporte (enfin!) une autorité de régulation permettant aux professionnels de la sécurité d'accéder à un marché plus vaste. Et ça n'est pas négligeable du point de vue des professionnels.
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