Le droit au repos hebdomadaire est-il synonyme de droit au repos dominical ? Cette question revient dans l'actualité juridique. D'un côté, une décision du Conseil d'Etat valide le dispositif mis en place par la loi de 2009, qui prévoit de multiples possibilités de déroger au repos dominical. De l'autre, une proposition de loi veut consacrer un droit au repos dominical susceptible d'aucune dérogation.
Ce débat peut sembler un peu désuet, alors que les statistiques de 2009 montrent que 28 % des salariés travaillent le dimanche. Ce chiffre n'est guère surprenant à une époque où chacun considère que certaines activités doivent s'exercer sans interruption, notamment dans les domaines de la sécurité, de la santé, des transports, voire dans l'hôtellerie et la restauration.
Le débat sur l'ouverture des commerces le dimanche relance pourtant la discussion et la campagne électorale n'y est pas étrangère. Certains estiment que les activités commerciales sont d'abord soumises à la loi du marché, et l'ouverture du dimanche apparaît comme un moyen de répondre aux besoins d'une clientèle qui n'a plus le temps de faire ses courses durant la semaine, et de salariés qui veulent "travailler plus pour gagner plus". D'autres insistent sur le maintien du dimanche comme jour du repos hebdomadaire, principe considéré comme un "acquis social", produit de la lutte des travailleurs. Dans une perspective historiques, cette revendication est d'ailleurs passée de la droite à la gauche.
Un débat qui se déplace de droite à gauche
Durant la période révolutionnaire, le dimanche a tout simplement disparu pour céder la place au "décadi", réduisant le nombre de jours chômés de 52 à 36. La semaine de dix jours imposée par le calendrier révolutionnaire a cependant disparu dès 1806 et l'Empire, conformément aux principes définis dans le Concordat, a rétabli le calendrier grégorien. Avec la Restauration, l'ordonnance publiée le 7 juin 1814 par Louis XVIII interdit "de travailler ou de faire travailler, d'ouvrir les boutiques ou d'étaler les marchandises le jour du Seigneur". A l'époque, l'objet est d'affirmer le retour de la religion catholique comme religion d'Etat. Il est vrai que ce succès reste purement symbolique car l'ordonnance de 1814, pourtant reprise dans bon nombre de textes, n'a jamais été vraiment appliquée. Avec l'industrialisation, le travail du dimanche se développe considérablement et une loi du 12 juillet 1880 finit par supprimer purement et simplement le repos dominical, à l'exception de celui accordé aux fonctionnaires.
Peu à peu cependant, la revendication est reprise par la gauche de l'époque, et différents textes dérogatoires étendent le repos dominical aux enfants, aux femmes, puis aux salariés. Plus tard, à la suite de la catastrophe des mines de Courrières, le principe général du repos dominical est consacré par la loi du 13 juillet 1906, votée par une Chambre laïque et anticléricale, celle-là même qui un an plus tôt avait voté la séparation de l'Eglise et de l'Etat. A partir de cette date, le repos dominical se détache de tout ancrage religieux et s'exerce au nom du droit au repos et à la vie familiale. C'est sous cet angle que l'envisage le Front populaire qui adopte le principe du samedi chômé.
C'est également son fondement actuel, dès lors que le Conseil Constitutionnel estime qu'il constitue l'une des garanties du "droit au repos" figurant dans le Préambule de 1946. L'article L 3132-3 du code du travail précise ainsi que "dans l'intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche".
|
Un dimanche à la campagne. Bertrand Tavernier. 1984
Sabine Azéma et Louis Ducreux |
La décision du Conseil d'Etat : le repos hebdomadaire
L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 2 décembre 2011 rejette le recours déposé par la CFTC contre la circulaire d'application de l
a loi du 10 août 2009 sur le travail dominical. Depuis la décision Duvignères du 18 décembre 2002, on sait que le recours contre une circulaire est recevable lorsque ses dispositions présentent un caractère impératif pour les fonctionnaires ou les administrés qui en sont les destinataires.
La CFTC estime que la loi de 2009 n'est pas conforme à la
Convention n° 106 de l'OIT, qui énonce que le repos hebdomadaire doit être donné "
autant que possible" le jour de la semaine "
reconnu comme jour de repos dans la tradition ou les usages du pays ou de la région". Cette convention de 1957 prévoit cependant des possibilités de dérogation à ce principe pour certaines catégories de personnes et d'établissements "
compte tenu de toute considération sociale et économique pertinente".
S'appuyant sur la souplesse de cette convention, le Conseil d'Etat valide les exceptions prévues par la loi de 2009 au repos dominical, en montrant qu'elles sont justifiées par des "considérations sociales et économiques pertinentes". Pour les communes et les zones touristiques, il s'agit de satisfaire les besoins d'une population supplémentaire importante à certaines époques de l'année. Pour les "périmètres d'usage de consommation exceptionnel" (Puce) existant dans des villes de plus d'un million d'habitants, c'est l'importance du bassin de population qui justifie l'ouverture des magasins le dimanche. Enfin, les commerces des zones frontalières doivent pouvoir ouvrir le dimanche, afin de ne pas souffrir de l'éventuelle concurrence de ceux de l'Etat frontalier, s'ils ne sont pas contraints à la fermeture dominicale.
Le Conseil d'Etat observe par ailleurs que les salariés contraints de travailler le dimanche ne sont pas victimes d'une discrimination. Les dérogations au repos dominical sont accordées par autorisation préfectorale dès qu'il existe un accord collectif ou, à défaut, une décision de l'employeur prise après consultation des représentants des salariés et approuvée par référendum par le personnel concerné. Dans tous les cas, des contreparties doivent être prévues. La loi impose ainsi une rémunération au moins égale au double de celle normalement due pour une durée équivalente, ainsi qu'un repos compensateur équivalent en temps.
La décision du Conseil d'Etat ne diffère en rien de celle rendue par le
Conseil constitutionnel le 6 août 2009. Ce dernier a en effet validé l'ensemble de la loi, à l'exception des dispositions relatives aux zones touristiques de la ville de Paris, qui doivent être créées à l'initiative du maire, comme dans toutes les autres communes. Il est vrai que cette précision a eu des conséquences pratiques non négligeables, puisque le maire de Paris a refusé le classement du boulevard Haussmann en zone touristique, interdisant de fait aux grands magasins d'ouvrir le dimanche.
La proposition de loi : le repos dominical
La proposition de loi déposée par madame Annie David, sénatrice et présidente de la commission des affaires sociales de la Haute assemblée (groupe communiste, républicain et citoyen) considère le repos du dimanche comme un acquis social qui doit être réaffirmé. Son objet est de permettre à chacun de "préserver du temps pour la vie de famille, la vie spirituelle, la vie associative et militante et pour les activités sportives, culturelles et de loisir".
Pour assurer la mise en oeuvre de ces principes, les signataires de la proposition veulent ajouter un second alinéa à l'article L 3132-3 du code du travail, précisant qu'"aucune dérogation n'est possible" au droit au repos dominical, "à moins que la nature du travail à accomplir, la nature du service fourni par l'établissement ou l'importance de la population à desservir ne le justifie". Il s'agit donc de restreindre les possibilités de dérogations à la règle du repos dominical, sans toutefois les éliminer complètement.
Dans les zones touristiques par exemple, le travail du dimanche serait limité à la saison touristique dont le calendrier serait précisé par le préfet et réservé aux entreprises chargées de l'accueil de la clientèle touristiques, pour son hébergement et ses loisirs. Dans les "périmètres d'usage de consommation exceptionnel" des grandes villes, le principe serait tout simplement d'interdire d'accorder des autorisations nouvelles. Ces autorisations, qui ont une durée limitées, seraient alors en voie d'extinction, à un horizon de quelques années.
La proposition de loi s'efforce enfin de rendre la procédure d'obtention des dérogations si contraignante qu'elle devient dissuasive. C'est ainsi qu'elle impose un accord collectif, supprimant la possibilité offerte à l'employeur de décider le travail du dimanche après référendum auprès de ses employés. Cette contrainte peut surprendre, car il n'existe pas de procédure plus,démocratique qu'un référendum auprès des premiers intéressés. Elle ne peut guère s'expliquer que par la crainte de voir ces consultations donner des résultats très favorables au travail du dimanche.
La proposition de loi déposée par madame David se heurte, hélas, au principe de réalité. Le travail du dimanche ne répond pas seulement à une volonté des employeurs, mais aussi, le plus souvent, au désir des employés. On en trouve l'écho dans le rapport même rédigé par la sénatrice David (p. 11) : "En raison de la faiblesse des salaires dans le secteur du commerce, une majoration égale à 100 % du SMIC équivaut, certes, à un doublement du salaire pour la majorité des salariés". Tout est dit. Qu'on le veuille ou non, dès lors que la crise ne permet guère d'envisager un accroissement sensible des minima sociaux, le travail du dimanche reste l'un des rares instruments permettant à ceux qui ont les revenus les plus bas d'améliorer leurs revenus.
Dans son arrêt, le Conseil d'Etat rend inopérant le moyen tiré de la méconnaissance, par la loi, des consultations prévues par la convention n°6 de l'OIT, ce qui tend à stériliser ce moyen, puisque le Conseil Constitutionnel, lui-même, n'est pas compétent pour examiner la compatibilité d'une loi avec la conventions internationales, même dans le cadre d'une QPC.
RépondreSupprimerToutefois, la formulation de la Haute juridiction ne laisse pas de surprendre :
"Considérant, toutefois, que, si une circulaire impérative peut être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir au motif que l'interprétation qu'elle prescrit d'adopter réitère une règle contenue dans une loi contraire à une norme juridique supérieure, le syndicat requérant, qui ne soutient pas que la circulaire attaquée aurait elle-même été édictée en méconnaissance de ces stipulations, ne peut en tout état de cause utilement soulever, à l'encontre de cette circulaire, le moyen tiré de ce que l'adoption de la loi dont elle entend donner une interprétation n'aurait pas été précédée des mesures de consultation des organisations représentatives d'employeurs et de salariés prévues par la convention n° 106 ;"
C'est difficile à comprendre. Est-ce à dire que pour que le moyen soit opérant, il aurait fallu que le syndicat requérant soutienne que la circulaire avait été adopté sans la consultations requises par la convention ? Nous ne le pensons pas. Tout d'abord, il est absurde de précéder l'adoption d'une circulaire qui ne fait que "réitérer" des dispositions normatives de consultations. Ensuite, le "en tout état de cause" vient nous indiquer soit que la loi avait en réalité été précédée des consultations, soit que ce pur moyen de procédure ne peut de toute façon pas prospérer contre une circulaire...
Merci pour ce commentaire éclairant. Vous avez absolument raison..
RépondreSupprimer