La rétention de sûreté est présentée comme l'une des réformes marquant le quinquennat. Il s'agit de maintenir enfermés, à l'issue de leur peine, des criminels présentant un risque très élevé de récidive, en raison notamment de leur état psychiatrique. Elle se distingue donc de la "
période de sûreté" qui peut être associée à l'emprisonnement à perpétuité et qui empêche le condamné d'obtenir un aménagement de peine pendant une durée fixée par le jury d'assises.
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la loi du 25 février 2008, la rétention de sûreté s'applique aux personnes condamnées à un emprisonnement d'une durée égale ou supérieure à quinze ans, pour des crimes particulièrement odieux, ceux qui sont commis sur une victime mineure, mais aussi l'assassinat ou le meurtre, les actes de torture ou de barbarie, l'enlèvement ou la séquestration.
Dans un contexte marqué par un certain nombre de faits divers dans lesquels de dangereux récidivistes avaient commis des crimes particulièrement atroces, la réforme a été accueillie de manière positive par l'opinion publique. N'est-elle pas un moyen de lutter efficacement contre le risque de récidive ? Le Conseil constitutionnel lui-même n'a-t-il pas validé ses dispositions, se bornant à sanctionner le caractère rétroactif du dispositif ?
L'impossible critique
Quelques voix discordantes se sont cependant élevées, dont celle de Robert Badinter dénonçant "une justice de sûreté basée sur la dangerosité diagnostiquée de l'auteur potentiel d'un crime virtuel" ou encore la Commission nationale consultative des droits de l'homme, que le gouvernement s'était bien gardé de saisir sur le projet, qui a publié une note rappelant "que le système judiciaire français se base sur un fait prouvé et non pas sur la prédiction aléatoire d'un comportement futur". Ces critiques sont évidemment demeurées confidentielles et isolées, leurs auteurs risquant d'être considérés comme les complices des pédophiles. Les problèmes juridiques posés par la rétention de sûreté ont été écartés et oubliés, comme la poussière sous un tapis.
Intervention de la Cour européenne des droits de l'homme
Aujourd'hui ces questions prennent une acuité nouvelle avec un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme
O.H. c. Allemagne du 24 novembre 2011. Un citoyen allemand a été poursuivi pour deux tentatives de meurtre devant le tribunal régional de Münich en 1987. Les experts ont alors estimé qu'il souffrait de différents troubles de la personnalité, mais qu'ils ne pouvaient être considérés comme pathologiques au point d'atténuer sa responsabilité. Il a donc été condamné à neuf ans d'emprisonnement et a purgé l'intégralité de sa peine. A son issue, en 1996, il a été placé en rétention de sûreté dans un hôpital psychiatrique, par une décision du tribunal. Comme il refusait de se soumettre au traitement médical, il a été décidé, en 1999, qu'il effectuerait désormais sa rétention de sûreté dans un établissement pénitentiaire. En 2006, le juge a ensuite ordonné le maintien de l'intéressé en détention, au motif que les risques de récidive étaient importants s'il était libéré.
Après épuisement des recours internes, M. O.H. a donc saisi la Cour européenne, en invoquant l'irrégularité de sa détention au regard
des articles 7 § 1 et 5 § 1 de la Convention. Dans les deux cas, les solutions apportées par la Cour sanctionnent le droit allemand, et font peser une grave menace sur la loi française de 2008.
La rétention de sûreté est une peine
La Cour européenne estime que la prorogation de la rétention de M. O.H., intervenue en 2006, emporte violation de l'article 7 § 1 qui garantit le principe de non rétroactivité en matière pénale. La décision du Tribunal de Münich a en effet été prise pour des faits antérieurs à la modification de la loi intervenue en 1998. C'est à partir de cette date, en effet, que le droit allemand a autorisé cet internement pour une durée dépassant dix années. M. O.H. aurait donc dû être libéré en 2006, à l'issue de ces dix années de rétention.
Pour parvenir à cette conclusion, en soi guère surprenante, la Cour est obligée de s'interroger sur la nature juridique de la décision du Tribunal. Elle observe à ce propos qu'en dépit de quelques différences dans le régime de détention, la rétention de sûreté emporte privation de la liberté et ne présente pas de différence substantielle par rapport à un emprisonnement, d'autant qu'elle est, en l'espèce, effectuée dans un établissement pénitentiaire. La Cour estime donc qu'il s'agit d'une "peine" au sens pénal du terme, et que le principe de non rétroactivité est applicable.
Cette analyse s'oppose à celle du droit français, qui s'efforce de marquer une différence de substance entre l'emprisonnement et la rétention de sûreté. Très récemment, dans un
arrêt du 21 octobre 2011, le Conseil d'Etat, saisi par la section française de l'observatoire international des prisons, a ainsi annulé pour incompétence le règlement intérieur du "
centre socio-médico-judiciaire" de Fresnes qui alignait le régime des personnes retenues sur celui des prisonniers, en particulier au regard du contrôle des correspondances et des limitations du droit de visite. Pour le juge administratif, ce règlement intérieur est entaché d'incompétence, car il impose aux droits des intéressés des contraintes qui ne figurent pas dans la loi du 27 février 2008.
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Vol au dessus d'un nid de coucou. Milos Forman. 1976
Jack Nicholson, Dany de Vito, Brad Dourif |
Liens de causalité
Pour apprécier la conformité de la rétention de M. O.H. à l'article 5 de la Convention, la Cour examine deux liens de causalité successifs.
L'article 5 § 1 (e) de la Convention européenne autorise la détention d'un "aliéné"pour que des soins lui soient dispensés. La Cour européenne se penche donc sur le lien de causalité entre les troubles de la personnalité attestés par les experts psychiatres lors du procès pénal et la décision d'internement. Constatant qu'un délai de plus de dix ans s'est écoulé entre le jugement et la décision de prorogation de la rétention, la Cour estime que le lien de causalité n'est plus établi. Sur ce point, elle ne fait qu'appliquer sa jurisprudence
M. c. Allemagne du 17 décembre 2009.
Dès lors que la loi précise que cette rétention ne peut reposer que sur un motif psychiatrique, la Cour déduit que celle-ci ne peut avoir lieu que dans un service hospitalier. Le fait que le requérant ait refusé les soins qui lui étaient prodigués lorsqu'un traitement lui avait effectivement été proposé dans un établissement spécialisé n'a pas pour effet de lever la contrainte qui pèse sur les autorités. Pour la Cour, une prison n'est pas un milieu thérapeutique qui permette le traitement d'une personne atteinte de troubles psychiatriques si graves qu'il est impossible de le réintégrer dans la société, une fois sa peine purgée. Sur ce plan, la décision des juges allemands viole l'article 5 (e) de la Convention qui autorise la détention d'un "aliéné", à la condition évidemment qu'il fasse l'objet d'un traitement médical.
Un second lien de causalité est également étudié par la Cour, celui qui fait reposer la décision de rétention sur un second motif : le risque de récidive. Sur ce point, elle souligne que la Convention européenne n'autorise par les Etats à protéger les victimes potentielles d'infractions graves par des mesures qui, en elles-mêmes, violent les droits de leur auteur putatif. Autrement dit, une décision privant complètement une personne de sa liberté ne peut reposer sur des motifs hypothétiques pour écarter un risque tout aussi hypothétique. C'est évidemment ce dernier point qui condamne, à terme, la loi française, dès lors que cette dernière se veut, avant tout, un instrument de lutter contre la récidive.
La décision O.H. c. Allemagne se présente donc comme une sorte de bombe à retardement pour le droit français. Il n'y a plus qu'à attendre qu'une personne détenue en rétention de sûreté ait épuisé les voies de recours internes.
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