Le juge des référés ordonne aux fournisseurs d'accès de bloquer le site CopWatch. Cette décision rendue le 14 octobre 2011 à la demande du ministre de l'intérieur a évidemment pour effet immédiat de faire une publicité très grande à ce site militant, se donnant pour objet de dénoncer toutes les formes de violences policières. Dans ce but, il publie des témoignages, des photographies souvent accompagnées de commentaires, et même de l'identité des membres des forces de l'ordre.
Rappelons d'emblée qu'il ne s'agit que d'une mesure provisoire prononcée jusqu'à ce que la plainte du ministre soit jugée au fond. Cette mesure va néanmoins au-delà de la demande du ministre, qui ne demandait que le blocage de 11 pages de ce site, celles qui précisément contenaient des propos considérés comme injurieux ou diffamatoires envers les forces de police. Les fournisseurs d'accès ont cependant fait savoir à l'audience qu'il leur était techniquement difficile de faire un tri entre les pages d'un même site. Le juge a donc choisi le blocage de l'ensemble du site, en attendant la décision au fond.
Droit de la presse ou droit de la sécurité
Une semaine après la
décision de la Cour de cassation du 6 octobre 2011 soumettant l'activité des bloggeurs au droit de la presse, la position du juge des référés ne saurait réellement surprendre. Nul n'ignore que la liberté d'expression s'exerce en France dans le cadre des lois qui l'organisent, et notamment de la célèbre loi du 29 juillet 1881 sur la presse. Il serait donc bien difficile de se réjouir de cette soumission au droit de la presse lorsqu'il s'agit de bloquer un site tenant des propos racistes ou antisémites... et de le déplorer lorsque le ministre de l'intérieur l'invoque au profit des forces de l'ordre.
La législation française est, à cet égard, beaucoup plus restrictive que le droit américain. Pour ce dernier, la liberté d'expression est garantie par le 1er Amendement, et s'étend à toutes les opinions, quel que soit leur contenu, considéré ou non comme scandaleux, quelle que soit aussi la forme que prend l'expression. C'est ainsi que le fait de brûler le drapeau national, y compris
de manière virtuelle sur internet, relève du "
Symbolic Speech" et doit être garanti par le 1er Amendement. Les sites militants de type "CopWatch" peuvent donc se multiplier aux Etats Unis, à l'abri du 1er Amendement, à la condition toutefois de ne pas violer des secrets protégés par la loi, et de ne pas engager la responsabilité civile de ses responsables.
Le ministre aurait pu se placer sur un autre fondement, celui de l'atteinte à la sécurité des personnes ainsi mises à l'index par CopWatch. Les membres des forces de l'ordre doivent en effet exercer une partie de leurs missions dans la discrétion, sans être reconnus par les délinquants qu'ils poursuivent. La diffusion de leur photo, voire de leur identité, risque à l'évidence de les mettre en danger, comme d'ailleurs la mission qu'ils remplissent.
Le juge se place de manière implicite sur ce terrain, lorsqu'il demande au ministre de l'intérieur d'indemniser les fournisseurs d'accès. Cette décision s'inscrit de toute évidence dans une jurisprudence qui reconnaît ce droit à indemnisation pour les personnes privées qui prêtent leur concours à une activité de police. Dans sa
décision du 10 mars 2011 sur la Loppsi 2, le Conseil constitutionnel a estimé que les surcoûts imposés aux opérateurs par les nécessités de la lutte contre la pédopornographie, et notamment la communication d'adresses URL des contrevenants, devaient être indemnisés. Il est en donc de même pour les surcoûts causés par le blocage d'un site.
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Les Incorruptibles. Série américaine de Quin Martin. 1959-1963 |
Quand la contrainte technique pose un problème constitutionnel
Reste à s'interroger sur un problème technique, qui n'est pas sans conséquence juridique. En décidant le blocage du site, et non pas des seules pages considérées comme injurieuses ou diffamatoires, le juge a suivi l'argumentaire technique des fournisseurs d'accès qui déclaraient ne pas pouvoir réaliser un tel tri. Ils ajoutaient d'ailleurs, non sans saveur, que les seuls à disposer des moyens techniques pour le faire (les Deep Packet Inspections) étaient... les Chinois.
Ce problème technique engendre pourtant une question juridique. Dans sa
décision Hadopi 1 du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel énonce très clairement que la liberté d'accéder aux services de communication sur internet est une modalité de la liberté d'expression. Exerçant son contrôle de proportionnalité, il affirme en conséquence que les juges du fond ne peuvent lui porter atteinte que par "
les mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause". En prononçant le blocage de l'ensemble du site CopWatch, le juge ne se livre pas à cette appréciation, et accepte l'interdiction de pages qui ne portaient atteinte aux droits des tiers. Ces impératifs techniques font obstacle à la diffusion de certaines pages du site... mais aussi à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Bien entendu, la décision du juge des référés a d'abord pour conséquence de faire une formidable publicité à CopWatch, déjà repris dans une bonne vingtaine de sites miroirs.
La simple existence de l'affaire CopWatch doit cependant inciter à une réflexion sur l'Etat de droit. Le développement de ce type de site témoigne à l'évidence d'une sorte de crise de confiance. Des policiers sont emprisonnés pour leurs liens avec la grande délinquance, ou des réseaux de prostitution, des enquêtes judiciaires sont interrompues par un parquet soumis à l'Exécutif... tous ces éléments conduisent certains citoyens à penser que les procédures de contrôle institutionnelles et judiciaires sont bloquées et inefficaces. Ils investissent alors leur énergie dans des sites de "dénonciation" qui offrent encore moins de garanties...
A cet égard, CopWatch n'est que l'illustration du manque de confiance des citoyens dans le système policier et judiciaire.
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