La loi "séparatisme", ou plus exactement la loi "confortant le respect des principes de la République" est globalement déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. La décision du 13 août 2021 se limite en effet à censurer deux dispositions du texte, et ce ne sont pas les plus essentielles. Elle formule également deux réserves d'interprétation qui ne bouleversent en rien son équilibre général. Sur le fond, la décision ne bouleverse guère la jurisprudence, mais elle présente de l'intérêt par les sujets évoqués, tous essentiels en matière de libertés publiques.
Associations et subventions
Le texte réalise une réforme d'ampleur du droit des associations. Elles devront désormais signer un "contrat d'engagement républicain", préalable indispensable à l'obtention de subventions publiques. Au coeur de ce contrat figure évidemment le respect du principe de laïcité. Ce contrat n'est pas jugé inconstitutionnel, car il ne remet pas en cause la liberté d'association, particulièrement protégée par le Conseil depuis la célèbre décision du 31 juillet 1971. Le Conseil fait justement observer que ce contrat d'engagement républicain n'a pas pour effet d'encadrer les conditions de constitution d'une association ou la manière dont elle exerce son activité. Libre à elle d'ailleurs de ne solliciter aucune subvention pour échapper à ce contrat.
En revanche, le Conseil s'intéresse davantage à la sanction du non-respect de ce contrat. Dans cas, la subvention publique est retirée, par décision motivée à l'issue d'une procédure contradictoire. L'association dispose alors d'un délai de six mois pour restituer l'argent qui lui a été versé. Dans une réserve d'interprétation, le Conseil précise toutefois que ce retrait de la subvention ne saurait avoir pour conséquence d'imposer la restitution de sommes versées antérieurement au contrat d'engagement républicain. Cette réserve était-elle utile. Il s'agit en effet d'une simple mise en oeuvre du principe de non rétroactive qui s'applique aussi bien aux sanctions pénales qu'aux sanctions administratives. Dans une décision du 30 décembre 1982, le Conseil rattachait déjà le principe de non-rétroactivité à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen de 1789. Il ajoutait qu'il "ne concerne pas seulement les peines appliquées par les juridictions répressives, mais s'étend nécessairement à toute sanction ayant le caractère d'une punition (...)".
Suspension des associations
Le Conseil examine aussi la procédure de dissolution administrative des associations. Celle-ci existe depuis la célèbre loi du 10 janvier 1936, votée après les émeutes du 6 février 1934, et dont les éléments essentiels figurent toujours dans le code de la sécurité intérieure (csi). Aux motifs de dissolution déjà énoncés dans l'article L212-1 csi, organisation de manifestations armées, volonté de porter atteinte à l'intégrité du territoire ou à la forme républicaine du gouvernement, agissements en vue de susciter des actes de terrorisme, provocation à la discrimination ou à la haine et à la violence raciales, la loi "séparatisme" ajoute un motif nouveau consistant à "la provocation à des agissements violents à l'encontre des personnes et des biens". Il s'agit en effet de pouvoir sanctionner des comportements, tels que ceux qui ont été observés lorsque certaines associations n'ont pas hésité à relayer des messages de violence à l'égard de Samuel Paty.
Ce nouveau cas de dissolution n'est pas contesté par le Conseil constitutionnel qui affirme qu'il poursuit "l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public", lui-même consacré depuis la décision du 28 juillet 1989. Il observe de plus que cette disposition n'impute aux associations les agissements de leurs dirigeants que si ces derniers ont agi au nom du groupement.
En revanche, le Conseil constitutionnel censure en partie la procédure préalable à la dissolution. Certes, elle s'accompagne du respect des droits de la défense et peut donner lieu à un recours, ce qui n'est pas contesté ni contestable. En revanche, le législateur avait cru bon d'autoriser la suspension immédiate des activités d'une association faisant l'objet d'une procédure de dissolution, suspension d'une durée de trois mois renouvelable une fois. Il s'agissait concrètement de permettre à l'administration d'instruire le dossier de dissolution. Aux yeux du Conseil, une telle suspension, d'une durée aussi longue, porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'association. De la rédaction employée par le Conseil, on doit déduire que ce n'est pas la suspension en soi qui est sanctionnée, mais bien davantage sa durée. Il est vrai que la décision de dissoudre une association dont les activités sont dangereuses pour l'ordre public pourrait sans doute être instruite plus rapidement.
La République nous appelle. Le Chant du départ. Méhul. 1794
Georges Till.
Octroi ou renouvellement d'un titre de séjour
Le Conseil constitutionnel censure également l'article 26 de la loi,
prévoyant que la délivrance ou le renouvellement de tout titre de séjour
peut être refusé à un étranger ou qu'un titre de séjour peut lui être
retiré s'il est établi qu'il a "manifesté un rejet des principes de la
République". Cette fois, c'est la mauvaise rédaction de la loi qui est sanctionnée, trop imprécise sur les comportements justifiant le refus ou le retrait du titre de séjour.
Pour obtenir la validation d'une telle procédure, cette disposition devra donc être réécrite et revotée. Pour éviter une telle mésaventure constitutionnelle, le législateur aurait sans doute pu s'inspirer du "contrat d'intégration républicaine" que les étrangers qui sollicitent un visa de longue durée doivent signer. Il impose une connaissance minimum des institutions mais aussi un engagement sur les valeurs de la République, et notamment l'égalité entre les hommes et les femmes. Il ne serait donc pas très difficile de mettre noir sur blanc quels sont les "principes de la République" dont la violation pourrait fonder un refus de titre de séjour ou un non-renouvellement.
L'instruction à domicile
A ces éléments essentiels s'ajoute une dernière réserve d'interprétation portant sur l'instruction à domicile. On se souvient que le projet de loi envisageait, à l'origine, d'imposer l'instruction obligatoire dès l'âge de trois ans et d'interdire qu'elle soit dispensée au sein de la famille. Il s'agissait concrètement de lutter contre une pratique consistant à choisir l'enseignement à domicile et à confier en réalité l'éducation des enfants à des religieux radicalisés, dépourvus de tout diplôme d'enseignant délivré par les autorités françaises.
Divers lobbies se opposés à une telle mesure et, sur ce point, on a vu se développer une sorte d'alliance des intégrismes religieux, de toutes confessions. Elle a obtenu satisfaction. La loi prévoit donc un principe d'instruction obligatoire dans les établissements d'enseignement publics ou privés mais autorise une dérogation en faveur de l'instruction en famille. On reste ainsi dans le cadre posé par la loi du 28 mars 1882 qui affirme que l'enseignement primaire peut être assuré soit dans les établissements d'enseignement, "soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu'il aura choisie".
Le Conseil constitutionnel réduit toutefois considérablement la portée de cette victoire des lobbies. La saisine des sénateurs, signée de Bruno Retailleau, affirmait en effet que la liberté de l'enseignement est un "principe fondamental reconnu par les lois de la République" (PFLR). C'est parfaitement exact, depuis la décision du 23 novembre 1977. Mais la saisine en déduisait, sans davantage d'explication, que l'enseignement à domicile relevait de ce principe fondamental. Hélas, la tentative a échoué et le Conseil constitutionnel n'a pas été dupe de ce bluff constitutionnel. Il affirme clairement que la loi de 1882 n'a fait de l'instruction en famille qu'une "modalité de mise en œuvre de l'instruction obligatoire". Ce n'est donc pas "une composante du principe fondamental reconnu par les lois de la République de la liberté de l'enseignement".
L'instruction en famille n'a donc qu'une valeur législative, et ce n'est pas un droit. L'article 49 de la loi contrôlée par le Conseil prend d'ailleurs soin d'énumérer les motifs pour lesquels elle peut être accordée, à titre dérogatoire, "soit en raison de l'état de santé de l'enfant ou de son handicap, soit en raison de la pratique d'activités sportives ou artistiques intensives, soit en raison de l'itinérance de la famille en France ou de l'éloignement géographique de tout établissement scolaire public". A ces motifs, a été ajoutée "l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif", formulation suffisamment imprécise pour autoriser un choix purement religieux.
Mais le Conseil prend soin de préciser, et c'est précisément l'objet de la réserve d'interprétation, que le pouvoir réglementaire devra déterminer avec précision les modalités de délivrance de l'autorisation et les conditions du contrôle. L'administration devra ainsi s'assurer très concrètement de la "capacité d'instruire" de la personne en charge de l'enfant, et notamment de son aptitude à dispenser le socle de connaissances exigé par le code de l'éducation. Elle devra aussi contrôler l'existence de la "situation propre à l'enfant" justifiant un tel choix. Le Conseil exige ainsi une véritable "mise sous tutelle" de l'instruction en famille, dans l'intérêt supérieur de l'enfant.
Deux réserves et deux annulations, somme toute secondaires. La décision du Conseil conforte ainsi la loi "séparatisme" dont la constitutionnalité avait pourtant été largement contestée devant les médias, avec des moyens parfois quelque peu fantaisistes. Mais les opposants à ce texte peuvent continuer le combat. Sept articles sur 103 ont été déférés au Conseil, ce qui signifie que des questions prioritaires de constitutionnalité pourront être posées sur toutes les dispositions qui n'ont pas clairement été déclarées constitutionnelles, dès que la loi sera appliquée. Il faut donc s'attendre à une avalanche de QPC et les opposants au texte pourront reprendre à leur compte la célèbre maxime du Taciturne : "Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer".
Sur la liberté d'association : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 12, section 2, § 1.