Dans une décision du 29 juillet 2021, le Conseil constitutionnel déclare conformes à la Constitution les dispositions de la loi bioéthique, qui devrait donc être très prochainement publiée au Journal officiel. La nouvelle vague de l'épidémie de Covid, avec les mesures qui lui sont associées, avait fait passer au second plan ce texte. Les parlementaires du groupe "Les Républicains" avaient pourtant déposé des milliers d'amendements pour ralentir son adoption, en espérant susciter une mobilisation contre la disposition autorisant l'accès des couples de femmes à l'assistance médicale à la procréation (AMP). Mais la mobilisation n'a pas eu lieu, et les parlementaires auteurs de la saisine semblent en prendre acte.
L'AMP des couples de femmes et des femmes non mariées
L'article 1er de la loi n'est en effet pas contesté devant le Conseil constitutionnel. Or c'est précisément lui qui affirme que "l'assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout coupe formé d'un homme et d'une femme ou de deux femmes, ou toute femme non mariée ont accès à l'assistance médicale à la procréation".
Ne sont pas davantage contestées les dispositions de l'article 6 qui prévoient l'établissement de la filiation par reconnaissance conjointe des deux membres du couple ou de la femme seule. Cette reconnaissance devant notaire permet ainsi d'établir la filiation de celle qui n'a pas accouché, et vaut également consentement à l'AMP. En s'abstenant de développer des moyens juridiques pour contester l'établissement de cette filiation, les auteurs de la saisine reconnaissent l'absence de fondement juridique de leurs protestations, pourtant très vives, à l'encontre d'un texte qui, selon eux, détruisait la famille en supprimant la filiation paternelle.
Le Conseil constitutionnel, quant à lui, prend soin d'affirmer qu'il "n'a soulevé d'office aucune question de conformité à la Constitution" et qu'il ne s'est pas prononcé sur les dispositions qui ne lui pas été déférées. Cette formulation valide "en creux" l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes non mariées.
Si le Conseil n'a pas été saisi de la disposition la plus controversée de la loi, quels sont éléments qui lui ont été soumis ?
Les recherches sur l'embryon humain
L'article 20 de la loi modifie le code de la santé publique, afin de réformer le régime juridique des recherches sur l'embryon humain et les cellules souches embryonnaires. Les recherches deviennent possibles jusqu'à 14 jours après la fécondation, en vue d'"améliorer la connaissance de la biologie humaine". Pour les auteurs de la saisine, ces dispositions étaient entachées d'incompétence négative, le législateur ayant omis de définir la notion d'embryon et n'ayant prévu aucune limite à la "connaissance de la biologie humaine". A leurs yeux, l'imprécision de cette formulation conduisait tout droit à l'eugénisme.
Ces arguments étaient déjà ceux soulevés lors de la saisine du Conseil constitutionnel qui avait accompagné la loi bioéthique du 7 juillet 2011, il y a dix ans. Celle-ci autorisait déjà la recherche fondamentale sur les embryons n'ayant pas fait l'objet d'un projet parental, avec la double autorisation des géniteurs et de l'Agence de biomédecine, chargée d'apprécier la pertinence de cette recherche. Par la suite, la loi du 6 août 2013 a précisé que cette rechercher était autorisée si "la finalité médicale" était avérée. La loi déférée au Conseil en 2021 ne fait donc qu'améliorer une rédaction qui était centrée sur la fonction directement curative de la recherche, ignorant en quelque sorte la recherche fondamentale.
Le Conseil écarte le moyen, en affirmant d'une part que la définition de l'embryon fait l'objet d'une définition médicale parfaitement connue et d'autre part que le législateur a entendu élargir les possibilité de recherche, y compris lorsqu'elles ne présentent pas d'intérêt médical immédiat. Il n'a donc pas méconnu sa compétence. Il n'a pas davantage méconnu le principe de dignité de la personne humaine, qui figure dans le Préambule de la Constitution de 1946 et qui constitue le fondement de l'interdiction de toute pratique eugénique. Sur ce point, le texte de la loi ne modifie en rien l'article 16-4 du code civil qui interdit "toute pratique eugénique". On observe d'ailleurs que le Conseil constitutionnel s'était référé pour la première au principe de dignité, précisément lors de sa décision sur la première loi bioéthique de 1994, et là encore on ne peut que constater que les saisines du Conseil se suivent, et se ressemblent.
Monstre chimérique créé par manipulation génétique
Maître Yoda. Star Wars. L'Empire contre-Attaque. George Lucas. 1980
La création d'embryons transgéniques ou chimériques
La même crainte d'une recherche scientifique non maitrisée s'exprime dans la contestation de l'article 23 de la loi. Il procède à la réécriture de l'article L 2151-2 du code de la santé publique qui énonçait que "la création d'embryons transgéniques ou chimériques est interdites". Rappelons que l'embryon transgénique est celui dont l'ADN a été modifié. Quant à l'embryon chimérique, il existerait par implantation de cellules humaines dans un embryon d'animal, ou le contraire. On imagine évidemment la création de monstres sortis tout droit de films d'épouvante. Le seul problème est que le moyen manque en fait : la loi maintient en effet l'interdiction d'ajouter à l'embryon humain des cellules provenant d'autres espèces.
La nouvelle rédaction de l'article L 2151-2 du code de la santé publique est en effet la suivante : « La modification d'un embryon humain par adjonction de cellules provenant d'autres espèces est interdite ». Pour les auteurs de la saisine, cette disposition autorise les embryons transgéniques, sans fixer d'objectifs ni de limites au procédé. En réalité, cette rédaction ne fait que prendre acte des progrès immenses de la médecine génétique, et permet à la recherche française de se développer dans ce domaine.
Information et examens prénataux
Le Conseil constitutionnel confirme également la constitutionnalité de l'article 25 de la loi qui subordonne à l'accord de la femme enceinte la communication à l'autre membre du couple, si il y en a un, des résultats des examens prénataux. Pour les députés requérants, une telle disposition méconnaît le principe d'égalité et porte atteinte au droit de mener une vie familiale normale et au droit au mariage.
Bien entendu, le mariage comme le droit à la vie familiale n'ont rien à voir dans l'affaire, et le Conseil se borne à écarter ces moyens, sans les commenter. Quant au principe d'égalité, il fait observer que la femme enceinte se trouve dans une situation juridiquement différente de celle de son conjoint ou de sa conjointe. En effet, l'éventuelle décision d'interrompre une grossesse à la suite des examens prénataux incombe à la femme enceinte, et à elle seule. Cette règle est contestée par les différents mouvements hostiles à l'IVG depuis bien longtemps et, dès sa décision du 27 juin 2001, le Conseil avait affirmé que la décision d'interrompre une grossesse relève de la liberté de la femme. Dans un arrêt du 20 mars 2007, la Cour européenne des droits de l'homme affirmait, de son côté, que "la décision d'une femme enceinte de poursuivre ou non sa grossesse relève de la sphère privée et de l'autonomie". Dès lors qu'elle peut décider seule d'interrompre la grossesse, il est parfaitement logique qu'elle soit la destinataire des résultats des examens prénataux. Rien ne lui interdit d'ailleurs de partager l'information, et la décision, avec son conjoint ou sa conjointe. Mais là encore, la décision lui appartient, et à elle seule.
Les arguments développés devant le Conseil constitutionnel laissent ainsi une impression de "déja vu", moyens affirmés et réaffirmés au fil des ans, depuis la célèbre décision IVG du 15 janvier 1975. Ils ne reposent pas vraiment sur une analyse juridique, d'autant qu'ils ont été écartés à maintes reprises par le Conseil. L'argumentaire est plutôt de nature idéologique, voire religieuse, comme s'il s'agissait d'affirmer son attachement à une définition très patriarcale de la famille qui a déjà disparu, comme s'il s'agissait aussi de manifester son refus de progrès scientifiques qui suscitent la crainte. Le Conseil constitutionnel joue alors un rôle de forum, lieu où l'on peut témoigner de son mécontentement, montrer que les valeurs les plus traditionnelles ont toujours des défenseurs, même très minoritaires. Mais, à dire vrai, le rôle du juge constitutionnel n'est pas uniquement de faire avancer la jurisprudence et il lui appartient aussi d'offrir aux courants minoritaires un espace de contestation pacifique.
Sur la bioéthique : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 7, section 2.
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