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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
jeudi 3 janvier 2019
Eric Drouet et les manifestations non déclarées
dimanche 30 décembre 2018
"Nique la France " et le débat d'intérêt général
Un second pourvoi
Le débat d'intérêt général
La Cour pose tout de même une limite à cette tolérance particulière dont bénéficient les artistes. Leur liberté d'expression ne saurait en effet aller jusqu'à "l'appel ou l'exhortation à la discrimination, la haine ou la violence contre quiconque", ce qui serait "excéder les limites" de la liberté d'expression. Autrement dit, le débat d'intérêt général peut permettre d'échapper à des poursuites pour atteinte à la vie privée, injure ou diffamation, mais pas aux infractions d'incitation à la discrimination.
Cette utilisation de la notion de débat d'intérêt général témoigne d'un véritable phénomène d'acculturation du droit européen dans le droit français. Celui-ci, sans doute influencé par le droit américain du Premier Amendement, repose sur un postulat libéral et une liberté d'expression aussi large que possible, les ingérences de l'État demeurant extrêmement réduites. Or, depuis une quarantaine d'années, le législateur français a choisi une voie totalement opposée, visant à multiplier les lois destinées à lutter contre les "discours de haine" ou toutes les formes de discrimination. De toute évidence, les contentieux vont se multiplier et le débat d'intérêt général sera invoqué dans le but de revenir à une vision libérale de la liberté d'expression, évidemment sous le contrôle du juge, mais pourquoi pas changer de juge et de procédure ? En matière de liberté d'expression en effet, de solides dommages et intérêts accordés lors d'une audience civile sont parfois bien plus efficaces que des amendes pénales fort modestes qui ne font que donner de la publicité aux propos dénoncés. Qui en effet se serait intéressé à la chanson "Nique la France" si elle n'avait pas fait l'objet de poursuites ?
jeudi 27 décembre 2018
La Cour européenne écarte la Charia
La Charia en Grèce
Le principe de non discrimination
Les traités de Sèvres et de Lausanne
Charia et ghetto juridique
samedi 22 décembre 2018
Fake News : les réserves du Conseil constitutionnel
Le nouveau référé
Il aurait pu s'appuyer sur le fait que le juge unique est appelé à se prononcer sur des notions au contenu incertain, puisqu'il doit apprécier la diffusion sur internet de "fausses informations" définies comme "des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d'un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir". Comment devra-t-il définir une "allégation" ou une "imputation" ? La fausse information sera-t-elle celle qui est totalement inexacte, ou seulement en partie ? Peut-elle être constituée lorsque les propos sont tenus par un humoriste sous forme de caricature ou de pastiche ? Surtout, et c'est sans doute la plus grande des incertitudes, le juge des référés est invité à se prononcer sur l'impact de ces fausses informations sur la sincérité d'un scrutin "à venir". Or la notion de sincérité du scrutin a toujours été appréciée a posteriori, sur un scrutin qui à eu lieu et dont le résultat est contesté. Et cette appréciation est toujours effectuée au regard de l'écart des voix entre les candidats. Or la loi ne donne aucune indication sur les critères que le juge des référés pourrait prendre en considération pour apprécier la sincérité d'un scrutin qui n'a pas eu lieu, l'écart des voix n'étant, par hypothèse, pas utilisable.
Le Conseil constitutionnel aurait donc pu annuler ces dispositions au motif qu'elles allaient à l'encontre du principe de clarté et de lisibilité de la loi. Dans sa décision du 10 mars 2011, il avait déjà sanctionné sur ce fondement un article de la Loppsi qui définissait l'activité d'intelligence économique comme celle aidant les entreprises à se protéger des risques pouvant menacer leur activité et à "favoriser leur activité en influant sur l'évolution des affaires ou leurs décisions". Le Conseil avait alors constaté l'imprécision tant dans la définition de ces activités que dans la finalité justifiant le régime d'autorisation. Or les notions employées par la loi sur la manipulation de l'information pour justifier l'intervention du juge des référés ne sont pas réellement plus précises.
Limitation du champ d'application
Le Conseil interprète le champ d'application de la procédure de référé de manière aussi étroite que possible, Il précise d'abord, ce qui ne figurait pas dans le texte législatif, qu'elle ne saurait être utilisée à l'encontre "d'opinions, de parodies, d'inexactitudes partielles ou d'exagérations". Sur ce point, le Conseil se situe dans la ligne de la Cour européenne des droits de l'homme qui rappelle que l'article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme "ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression dans le domaine du discours politique". (par exemple : CEDH, 9 janvier 2018, Damien Meslot c. France, § 40).
Le Conseil ajoute que seules sont susceptibles de donner lieu à référé les "allégations dont il est possible de démontrer la fausseté de manière objective". Cette fois, il se rattache à la jurisprudence des juges internes en matière de "fausse nouvelle", jurisprudence à laquelle le législateur souhaitait pourtant échapper en se référant à la "fausse information". La Cour d'appel de Paris, dans une décision du 7 janvier 1988, déclarait ainsi que la "fausse nouvelle" est celle "qui est mensongère, erronée ou inexacte dans la matérialité des faits". Autrement dit, la preuve de l'inexactitude doit être immédiate et facile. Cela peut sembler évident, mais on doit néanmoins se demander comment il sera possible d'apporter cette preuve. En matière pénale, il appartient au ministère public d'apporter la preuve de l'infraction. Mais devant le nouveau référé civil, le plaignant sera dans une situation délicate car il devra fournir des éléments de preuve purement négatifs. Comment prouver que l'on n'a pas de compte aux Bahamas ? Comment démontrer qu'il n'existe pas de cabinet noir chargé de détruire votre réputation ? Considérée sous cet angle, la décision du Conseil constitutionnel devrait inciter les victimes de Fake News à se tourner vers la bonne vieille action en diffamation, finalement plus efficace.
Enfin, le Conseil constitutionnel rappelle que la diffusion de la fausse information doit répondre aux trois conditions fixées par le législateur : être artificielle ou automatisée, massive et délibérée. Certes, la loi les mentionnait, mais il n'est pas inutile de préciser que ces conditions sont cumulatives, ce qui limite en pratique le champ d'application du texte aux fausses informations diffusées par des robots, c'est à dire à celles qui font l'objet d'un traitement de masse.
Le rôle du CSA
L'article 5 de la loi permet au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de s'opposer à la conclusion d'une convention de diffusion d'un service de radio ou de télévision s'il comporte "un risque grave d'atteinte à la dignité de la personne humaine, (...) à la sauvegarde de l'ordre public, aux besoins de la défense nationale ou aux intérêts fondamentaux de la Nation, dont le fonctionnement régulier de ses institutions". Le Conseil constitutionnel ne fait que mentionner cet article sans s'interroger sur sa constitutionnalité. La question aurait tout de même pu être posée de la compétence d'une autorité indépendante pour apprécier la notion d'intérêts fondamentaux de la Nation ou de fonctionnement régulier des institutions. Le dossier sera-t-il établi par les services du renseignement extérieur ? Si tel est le cas, nous sommes à l'évidence dans la théorie des actes du gouvernement, et il peut sembler surprenant que le domaine des relations extérieures de la France soit géré par le CSA.
L'article 6 suscite davantage l'intérêt du Conseil constitutionnel. Il attribue à ce même CSA le pouvoir de suspendre une convention existante de diffusion d'un service de radio ou de télévision "conclue avec une personne morale contrôlée par un État étranger ou placée sous l'influence de cet État" en cas de diffusion de fausses informations en période électorale. Là encore, le principe de clarté et de lisibilité de la loi aurait pu être utilisé, tant les notions employées semblent obscures. Avec le talent pour l'Understatement qui le caractérise, le Conseil d'Etat, dans son avis, avait estimé que la référence à l'influence exercée par un État sur un service constitue un critère "inédit et plus incertain dans ses contours". Il est vrai que ce même Conseil d'État déclarait que la décision du CSA serait placé sous son propre contrôle, ce qui signifie qu'il se débrouillerait bien pour trouver des "éléments concrets et convergents" prouvant que la personne morale est sous l'influence d'un Etat étranger. Le Conseil constitutionnel, toujours respectueux à l'égard du Conseil d'État a sans doute pensé la même chose..
Quoi qu'il en soit, le Conseil constitutionnel se borne finalement à poser une réserve identique à celle déjà mentionnée à propos de l'action en référé. Il précise que la décision de suspension ne peut intervenir que si le caractère inexact ou trompeur des informations diffusées est manifeste, de même que le risque d'altération de la sincérité du scrutin. On attend avec impatience de voir comment le CSA appréciera l'influence des informations diffusées par Russia Today ou Sputnik sur une élection qui n'a pas encore eu lieu.
Certains regretteront sans doute que le Conseil constitutionnel n'ait pas eu l'audace, ou simplement le courage, de déclarer inconstitutionnelles les dispositions les plus marquantes d'une loi mal écrite, simple produit du désir de régler quelques comptes après une campagne présidentielle de 2017 marquée par la multiplication des Fake News, visant en particulier, mais pas seulement, Emmanuel Macron. Agissant ainsi, il laisse subsister dans le droit positif des dispositions qui, si elles sont jamais appliquées, risquent fort d'être sanctionnées pour violation de différentes conventions internationales qui affirment que la liberté de l'information s'exerce "sans considération de frontières".
Mais le Conseil a choisi une voie plus discrète, moins susceptible de donner immédiatement lieu à des réactions politiques. Cette voie plus discrète est aussi efficace, car il s'agit de rendre la loi parfaitement inapplicable; de siphonner son contenu normatif pour en faire une sorte de coquille vide. Les contraintes liées au caractère "manifeste" de la fausse information et de l'altération à la sincérité du scrutin, sont en effet telles que ne seront désormais susceptibles d'être sanctionnées que les Fake News tellement énormes, qu'elles entreront immédiatement dans l'exception tirée de l'opinion purement politique ou du caractère parodique du propos. On se réjouit donc que le principal bénéficiaire de la décision du Conseil constitutionnel soit... le Gorafi.
lundi 17 décembre 2018
La vérité sur l'Affaire Blanquer
Des formulations... républicaines
L'exposé des motifs affirme ainsi vouloir "transmettre les savoirs fondamentaux à tous les élèves", savoir définis comme "lire, écrire, compter et respecter autrui". Nul ne conteste un tel objectif qui était déjà à la base de l'enseignement obligatoire mise en place par la loi Jules Ferry du 28 mars 1882, même si, à l'époque, il s'agissait de soustraire l'enseignement à l'emprise des congrégations. Le texte actuel précise ensuite que "ce projet s'inscrit dans la tradition républicaine des lois scolaires de la République". Et comme décidément, on aime beaucoup la République, on ajoute une référence à la "geste républicaine pour la liberté, l'égalité et la fraternité".
Derrière ces formulations que l'on pourrait qualifier de... républicaines, apparaissent des dispositions qui, il y a encore quelques années, auraient été regroupées dans une loi "portant diverses dispositions relatives à l'enseignement". La disposition la plus notable est sans doute celle qui impose l'obligation scolaire aux enfants, dès l'âge de trois ans. A cela s'ajoute un nouveau mécanisme d'évaluation de l'école qui s'incarnera dans une nouvelle institution : le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO). Le reste, sans doute pas inutile, se ramène à une série de dispositions techniques qui vont du contrôle de l'enseignement dispensé au sein de la famille à la création d'un rectorat à Mayotte, en passant par la modification des modalités de recrutement des directeurs d'école.
"Engagement et exemplarité"
Parmi cet ensemble un peu disparate, une disposition doit être remarquée, parce que, sous des dehors sympathiques, elle peut donner lieu à une utilisation pour le moins inquiétante. L'article 1er du projet introduit dans le code de l'éducation un article L 111-3-1 ainsi rédigé : "Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l'établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l'éducation (...)". A priori, la disposition semble totalement dépourvue de contenu juridique, ce qui n'est pas rare dans les projets de loi actuels. Une lecture un peu rapide laisse penser qu'il s'agit de flatter l'ego un peu meurtri des enseignants, de rendre hommage à leur "engagement" et à leur "exemplarité" dans leurs relations avec leurs élèves et leurs familles, ainsi qu'avec leur hiérarchie. C'est vrai qu'ils ont du mérite et on se réjouit que le législateur rende ainsi hommage à ceux qui sont précisément chargés de transmettre les "savoirs fondamentaux".
Le problème est qu'une formulation gratifiante peut aussi servir d'autres buts moins clairement avoués. Il est en effet absolument nécessaire de lire l'étude d'impact du texte pour mieux comprendre l'article 1er du projet de loi. Les termes "engagement et exemplarité" prennent en effet un tout autre sens. Il est en effet précisé que la confiance que doit inspirer la "communauté éducative" est "intimement liée à ses comportements". L'étude d'impact ajoute que les juridictions administratives ont eu l'occasion de souligner l'importance de ce lien de confiance qui doit unir les personnels du service public aux élèves et à leurs familles et "en ont tiré toutes les conséquences, notamment en matière disciplinaire".
L'usage à des fins disciplinaires
On comprend cette fois que l'article 1 n'a hélas pas pour objet de rendre hommage au travail difficile des professeurs mais a plutôt pour finalité de permettre d'engager à leur encontre des poursuites disciplinaires. Le projet de loi reprend en effet la formulation qui est celle du Conseil d'Etat dans un arrêt du 18 juillet 2018. A propos d'une sanction de mise à la retraite d'office infligée à un professeur de lycée, le juge s'appuie en effet sur "l'exigence d'exemplarité et d'irréprochabilité qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec les mineurs, y compris en dehors du service". Cette formule a déjà été reprise dans deux décisions, l'une de la Cour administrative d'appel de Marseille du 27 novembre 2018, l'autre de la Cour administrative d'appel de Douai du 18 novembre 2018. Certes, ces trois décisions ont pour point commun de porter sur des sanctions justifiées par des faits très graves, notamment des atteintes sexuelles sur mineur, mais l'intégration de ces notions dans la loi autorise un élargissement de leur champ d'application.
C'est d'ailleurs exactement ce que prévoit l'étude d'impact. Elle affirme que l'arrêt du 18 juillet 2018 portait sur des faits "portant atteinte à la réputation du service public", oubliant sans doute que les premières victimes étaient d'abord des mineurs victimes d'abus sexuels. Quoi qu'il en soit, la loi propose d'étendre les poursuites disciplinaires aux cas dans lesquels les personnels de l'éducation nationale "chercheront à dénigrer auprès du public par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et, de manière générale, l'institution scolaire". Comme tous les fonctionnaires, les enseignants sont soumis aux obligations de discrétion et de réserve. La discrétion figure dans l'article 25 du statut de la fonction publique. Elle impose la non-divulgation de faits, informations ou documents dont l'agent a connaissance dans l'exercice de ses fonctions. La réserve, quant à elle d'origine jurisprudentielle, impose une certaine retenue dans l'expression, et interdit d'utiliser ses fonctions pour d'autres finalités que celles qui lui sont attachées. L'obligation de réserve est ainsi intimement liée à l'obligation de neutralité du service public.
La lutte contre l'expression #Pasdevagues
Cette fois, on comprend mieux où les rédacteurs du projet de loi veulent en venir. En effet la nouvelle obligation d'"exemplarité" pourrait parfaitement être utilisée pour sanctionner les milliers d'enseignants qui ont réagi, en octobre 2018, sur les réseaux sociaux, après qu'un lycéen de Créteil a menacé une enseignante avec une arme, dont on a su ensuite qu'elle était factice. Sous le hashtag #Pasdevagues, ils se sont plaints de l'absence de soutien de leur hiérarchie dans des faits comparables, violences ou agressions verbales par leurs élèves ou les familles de leurs élèves. Le manquement à l'obligation de réserve ne pouvait pas leur être reproché car ils s'exprimaient en dehors de leurs fonctions. Quant à la discrétion, elle ne concerne que les informations non communicables dont l'agent a connaissance lors de son activité, c'est à dire la divulgation des secrets du service à des personnes non habilitées à en connaître. L'obligation de discrétion pèse ainsi essentiellement sur les magistrats, les militaires ou les policiers. Les enseignants, quant à eux, n'y sont soumis que pour des données particulières, par exemple les dossiers personnels des enfants.
L'obligation d'exemplarité est suffisamment imprécise pour permettre de contrôler l'expression des enseignants en dehors du service, pour renforcer le poids de la hiérarchie qui avait été accusée de ne pas suffisamment protéger ses agents lors de l'affaire de #Pasdevagues. Pour le moment, ces dispositions du projet de loi avancent masquées, derrière une formulation volontairement ambiguë, sans doute dans l'espoir qu'elles passeront inaperçues et que le vote sera, lui aussi, acquis "sans vagues". Il ne reste plus qu'à espérer que les parlementaires verront le piège et mettront la question sur la place publique.
vendredi 14 décembre 2018
Le référendum d'initiative citoyenne
Démocratie représentative et démocratie directe
Cette remise en cause radicale de l'effectivité de l'article 6, même si elle est dépourvue de tout fondement juridique, constitue tout de même un témoignage intéressant de la crise que traverse notre système démocratique. Certes des élections ont lieu, élections disputées et pluralistes, et ceux qui sont élus ne sont aucunement dépourvus de légitimité. Mais la loi elle-même est mise en cause. Pervertie par les lobbies, dénaturée par un Exécutif qui a tendance à l'utiliser à des fins de communication, la loi n'est plus perçue comme l'expression de la volonté générale. Le référendum d'initiative populaire apparaît alors comme une solution.
La nostalgie de 1793
Contrairement à ce qu'affirment certains de ses promoteurs, l'idée est loin d'être nouvelle. La Constitution montagnarde de l'an I comportait un article 59 qui énonçait que les lois votées par le Corps législatif n'entreraient en vigueur qu'à l'issue d'une période de quarante jours. Durant ce délai, il était possible à au moins 1/10e des assemblées primaires, dans la moitié des départements, de faire opposition pour qu'un référendum national soit organisé. Le peuple pouvait donc opposer un véritable veto à la loi votée.
Comme on le sait, la constitution de 1793, "suspendue jusqu'à la paix", ne fut jamais appliquée. Elle a disparu avec ses promoteurs, lors de la chute de la Montagne, le 9 Thermidor an II. Mais elle est demeurée une icône de la gauche et lors du débat constitutionnel de juillet 2018, les députés de France Insoumise suggéraient même d'inscrire la Déclaration des droits de l'homme de 1793 dans l'actuel bloc de constitutionnalité aux côtés de la Déclaration de 1789.
L'idée d'un référendum d'initiative citoyenne va évidemment bien au-delà du dispositif de 1793. Il s'agit cette fois de leur offrir à la fois l'initiative et le vote de la loi. Cette revendication s'inscrit aussi dans une histoire beaucoup plus récente,
Le référendum d'initiative partagée
La révision constitutionnelle initiée par Nicolas Sarkozy a conduit en effet à une modification de la rédaction de l'article 11, la disposition qui précisément a trait au référendum. A l'époque, le Président de la République avait annoncé vouloir "redonner la parole au peuple français", mais la procédure adoptée ne correspondait guère à la présentation qui en avait été faite.
L'article 11 était modifié par l'ajoute des dispositions suivantes : "Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an". Cette procédure ne peut intervenir que dans le champ de l'article 11, ce qui signifie que la consultation populaire ne peut concerner que l'organisation des pouvoirs publics, ou les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale.
Adoptées par la révision de 2008, ces dispositions sont demeurées lettre morte durant tout le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Une loi organique et une loi ordinaire destinées à assurer leur mise en oeuvre ont bien été votées en première lecture, en janvier 2012, soit quatre ans après la révision. Mais la procédure n'a été achevée qu'après l'alternance, durant le quinquennat de François Hollande. Les parlementaires ont alors adopté la loi organique et la loi ordinaire du 7 décembre 2013 sans aucun enthousiasme.
L'examen de la procédure ne peut que décevoir les partisans du RIC. L'initiative n'appartient pas aux électeurs mais au parlement dont 1/5è des membres doivent déposer une proposition de loi, dans les conditions du droit commun. Le peuple n'intervient qu'ensuite, pour appuyer l'initiative parlementaire par une sorte de droit de pétition modernisé. Pour qu'un référendum ait lieu, il faut en effet le soutien d'1/10e de l'électorat, soit environ 4 500 000 électeurs.
Mais cela n'est pas encore suffisant, car le parlement conserve le contrôle de la procédure. Si le nombre de 4 500 000 signatures est atteint, le Conseil constitutionnel publie au Journal officiel une décision mentionnant que l'initiative parlementaire a obtenu le soutien du 1/10e des électeurs. A l'issue d'un délai de six mois après cette publication, le Président de la République la soumet à référendum... sauf si le parlement en décide autrement. Cela peut sembler compliqué, mais c'est très simple. Le texte exige seulement que le parlement "examine" le texte une fois (art. 9 de la loi organique). Il n'a pas besoin de susciter un vote, mais doit seulement inscrire le texte à l'ordre du jour et susciter un unique débat dans chaque assemblée. Une fois cette procédure respectée, la proposition de référendum peut tranquillement être enterrée par le parlement, comme sont enterrés les espoirs de ceux qui auraient eu la naïveté de croire que cette réforme avait pour but de "redonner la parole au peuple".
Dans de telles conditions, la procédure n'a guère séduit. Elle est d'autant moins attractive que l'initiative ne peut intervenir hors du champ d'application du référendum de l'article 11, ce qui interdit toute intervention dans le domaine des libertés publiques. Il est en outre pratiquement impossible de réunir la signature d'1/10e des électeurs. On se souvient que les groupes hostiles au mariage des couples de même sexe, pourtant extrêmement mobilisés, ne sont parvenus qu'à 690 000 signatures, nombre bien éloigné des 4 500 000 exigées par le texte.
Le référendum d'initiative partagée est donc un leurre et les Français sont certainement conscients d'avoir été dupés. La revendication d'aujourd'hui témoigne de cette frustration et rend nécessaire une nouvelle réflexion sur le sujet. Il existe des pays comme la Suisse, où le référendum d'initiative populaire existe, dans une organisation pacifiée et consensuelle. Ce nouveau débat est d'autant plus urgent que ces thèmes ne doivent pas demeurer le monopole de mouvements politiques qui confondent la démocratie avec le pouvoir de la rue. Le Président Macron a, quant à lui, souhaité une révision constitutionnelle. Le débat sur ce projet a commencé à l'Assemblée, mais il a été interrompu il y a plusieurs mois après une première discussion désultoire et peu convaincante. Pourquoi ne pas reprendre la discussion en mettant à l'ordre du jour le référendum d'initiative citoyenne ? La réforme présenterait bien des avantages, muscler la révision existante, renforcer la démocratie et accessoirement donner satisfaction aux Gilets Jaunes sans aucune ponction budgétaire.