Après le rejet d'un référé en juillet 2015, un jugement du tribunal administratif de Dijon, intervenu le 28 août 2017, prononce l'annulation de la décision en se fondant sur l'intérêt supérieur de l'enfant. Encore le tribunal fait-il preuve d'une grande prudence, précisant qu'il se prononce, "sans prendre aucune position de principe à caractère général, au regard du seul cas particulier des cantines scolaires de Chalon-sur-Saône". Le recours de la commune était attendu, et même espéré par les juges du fond, sans doute désireux de pouvoir se référer, enfin, à une jurisprudence claire.
L'Amicus curiae
Le tribunal administratif de Dijon s'appuyait sur la convention sur les droits de l'enfant de 1989. Son article 3 énonce que l'intérêt supérieur de l'enfant doit guider toute décision le concernant, qu'elle soit prise par un juge ou par les autorités publiques. Supprimer le menu de substituer peut en effet conduire certains enfants à ne pas se nourrir ou à se nourrir moins bien pour ne pas consommer de produits proscrits par leur religion.
Le moyen est donc intéressant et de nature à fonder une décision. Le problème est qu'il n'a pas été développé par l'association requérante mais par un Amicus curiae, en l'espèce, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). L'article R 625-3 du code de la justice administrative (cja) autorise en effet la formation chargée de l'instruction à "inviter toute personne, dont la compétence ou les connaissances seraient de nature à l'éclairer utilement sur la solution à donner à un litige, à produire des observations d'ordre général sur les points qu'elle détermine". En l'espèce, le Défenseur des droits et la CNCDH avaient été sollicités sur ce fondement.
Mais l'Amicus curiae n'est pas une partie à l'instance, même pas un "intervenant" au sens juridique du terme car il n'a aucun intérêt à promouvoir. Il ne peut donc produire que des observations de nature générale, à l'exclusion de tout élément portant sur les pièces du dossier, ce qui lui interdit de développer des moyens. En invoquant comme moyen l'intérêt supérieur de l'enfant, la CNCDH est donc sortie de son rôle. On lui pardonnera aisément si l'on considère qu'elle pratique finalement très peu le droit positif. En revanche, la CAA ne pardonne pas au Tribunal de Dijon d'avoir fondé sa décision sur un moyen qui n'était pas développé par une partie. C'est donc sur ce fondement que le jugement du tribunal est annulé, ce qui ne résout rien sur le fond.
Une décision fondée sur les faits
Sur le fond, la décision de la CAA ne pose aucune règle, aucun principe général portant sur la conformité ou non des menus de substitution au principe de laïcité. La Cour préfère en effet, s'appuyer sur le principe de mutabilité ou d'adaptabilité du service public. Pour René Chapus, il signifie que le régime des services publics "doit pouvoir être adapté, chaque fois qu'il le faut, à l'évolution des besoins collectifs et aux exigences de l'intérêt général". Cette adaptation se fait sous le contrôle du juge qui apprécie si les modifications intervenues sont justifiées par les faits invoqués par l'administration.
En l'espèce, il est clair que les conditions d'exécution du service public sont modifiées, non par l'ajout d'une prestation mais par son retrait, puisque les menus de substitution sont supprimés. La mairie affirme ainsi répondre à des considérations d'intérêt général liées au principe de laïcité, mais, rappelons-le, l'unique circulaire existante se borne à laisser aux élus le soin de poser les règles en la matière. La CAA peut donc affirmer que les principes de laïcité et de neutralité auxquels est soumis le service public ne font pas obstacle à ce que des menus alternatifs soient proposés aux enfants, leur permettant de prendre un repas équilibré sans être contraints de consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses.
Ils ne s'opposent pas davantage à ce que ces menus de substitution soient supprimés, précisément si cette adaptation du service public est justifiée par des circonstances locales. La Cour fait observer qu'en l'espèce ces menus de substitution sont proposés dans les cantines de Chalon depuis 31 ans au moment où la mairie décide de les supprimer. Ils n'ont provoqué aucun trouble à l'ordre public, ni aucune difficulté de gestion des restaurants scolaires. Dans ce cas, leur suppression est donc illégale car l'adaptation du service n'est pas justifiée par des considérations locales. Par cette formulation, la Cour indique indirectement aux élus les éventuels motifs susceptibles de justifier une telle suppression, par exemple l'existence d'une forte demande en ce sens suscitant des débats plus ou moins violents, ou encore l'impossibilité pour les cuisines de préparer deux menus distincts.
Un droit mou
Cette jurisprudence ressemble ainsi étrangement à celle sur le burkini, dans laquelle le Conseil d'Etat estime que l'interdiction de ce vêtement sur les plages d'une commune peut être justifiée si son port cause des troubles à l'ordre public, mais pas dans les autres cas. Il appartient ainsi au juge administratif d'apprécier si les circonstances de fait permettent de déduire, ou non, l'existence de ces troubles. La jurisprudence sur les crèches n'est guère différente, qui décide qu'une crèche de Noël érigée dans un bâtiment public est en principe illicite, sauf si des éléments de fait permettent d'attribuer à l'installation un objet "culturel, artistique ou festif". Là encore, des considérations de fait vont conditionner la solution, et le juge administratif apprécie le contexte dans lequel s'inscrit l'opération.
Les principes de laïcité et de neutralité vont ainsi s'appliquer de manière différente selon les communes, au gré des interprétations données par les juges administratifs. In fine, le Conseil d'Etat définit seul leurs contours, en l'absence de toute intervention législative. Le fait que la CNCDH se soit crue autorisée à proposer ses propres motifs au juge administratif, et le fait que celui-ci les ait repris fidèlement, sans se poser de question, démontrent clairement l'absence de norme juridique suffisamment claire pour garantir le respect du principe d'égalité devant la loi. Alors que le principe de laïcité exige des règles précises, connues de tous, et définies par le législateur, on voit ainsi se développer un droit mou, mis en oeuvre par des collectivités locales incertaines et soumises à tous les lobbies.