La procédure d'urgence
Sur le plan procédural, les autorités britanniques sollicitent ainsi une extension du mandat d'arrêt à d'autres poursuites, pour d'autres infractions. Une telle procédure est autorisée par l'article 27 de la décision-cadre du 13 juin 2002. Elle suppose néanmoins le consentement de l'Etat requis, en l'espèce les autorités françaises. Mettant en oeuvre cette décision-cadre, l'article L 695-46 al. 4 du code de procédure pénale (cpp) énonce que la Chambre de l'instruction se prononce sur ce consentement et "statue sans recours (...), dans le délai de trente jours à compter de la réception de la demande".
Absence de recours
C'est précisément cette absence de recours que conteste le requérant, auteur de la QPC. Il y voit une atteinte au droit au procès équitable et à l'égalité devant la loi, dès lors que l'absence de recours en cassation entrave l'unité d'interprétation des textes.
Il faut bien reconnaîtte que Jeremy F. n'est pas sans arguments de fond. En effet, le mandat d'arrêt européen impose la règle de la double incrimination, qui signifie simplement que le comportement reproché à l'intéressé doit être illicite dans les deux pays, le demandeur et le requis. Or, la majorité sexuelle, c'est à dire l'âge auquel un mineur peut entretenir des relations sexuelles avec un adulte, est fixée à quinze ans en France et à seize en Grande Bretagne. Cette différence d'une année a des conséquences considérables, puisque la jeune fille séduite par son professeur de maths a précisément quinze ans et demi. L'article L 695-23 cpp énonce cependant que le contrôle de la double incrimination peut être écarté lorsque les agissements incriminés concernent "l'exploitation sexuelle des enfants et la pornographie infantile". Jeremy F. estime, quant à lui, que son cas ne concerne pas la pornographie infantile, et que le contrôle de la double incrimination doit conduire à exclure l'extension du mandat d'arrêt à une infraction dont il n'est pas coupable, en droit français. Il lui semble donc naturel de pouvoir contester devant le juge français l'extension du mandat d'arrêt européen qui le concerne.
La Polka des menottes. Raoul André. 1956 |
Les deux interprétations successives
Pour répondre à la QPC, le Conseil constitutionnel doit interpréter l'article 88-2 de la Constitution qui habilite le législateur à fixer "les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l'Union européenne". Autrement dit, le législateur applique les règles fixées par la décision-cadre du 13 juin 2002 de l'Union européenne, mais sur une habilitation donnée par l'article 88-2 de la Constitution. L'article 88-2 permet ainsi de couvrir les cas d'inconstitutionnalité ouverts par le droit de l'Union.
Mais pour interpréter l'article 88-2 de la Constitution, le Conseil constitutionnel doit, au préalable, obtenir une interprétation authentique de l'article 27 de la décision cadre de l'Union européenne. Celui-ci ne prévoit pas expressément l'interdiction du recours en matière d'extension du mandat d'arrêt européen. Il se borne à imposer aux autorités de l'Etat requis de statuer dans un délai de trente jours après réception de la demande d'extension. Ces dispositions interdisent-elles tout recours qui empêcherait que la décision soit acquise dans un délai de trente jours ou imposent-elle seulement qu'une décision soit prise dans ce délai, sans interdire un éventuel recours ultérieur ?
Un recours laissé à la compétence des Etats
La CJUE, dans sa réponse, observe que la décision-cadre est tout simplement muette sur la question du recours : "la décision-cadre ne réglemente pas la possibilité pour les Etats membres de prévoir un recours juridictionnel suspensif" contre les décisions concernant le mandat d'arrêt européen. De ce silence, la Cour déduit logiquement qu'"une telle absence de réglementation ne signifie pas que la décision-cadre empêche les Etats de prévoir de prévoir un tel recours ou leur impose de l'instituer". Les Etats demeurent donc totalement libres d'organiser, ou non, un recours, selon les exigences de leur système juridique. La seule condition est, recours ou non, que la décision d'extension du mandat d'arrêt intervienne dans les délais fixés par la décision-cadre, c'est à dire dans les trente jours, délai extrêmement bref.
Dans ces conditions, on ne voit pas ce qui pourrait faire obstacle à l'examen, par le Conseil constitutionnel, de la conformité de l'article L 695-46-4 cpp aux principes constitutionnels que sont le droit au juste procès ou l'égalité devant la loi. On ne voit pas davantage sur quel fondement le Conseil pourrait déclarer qu'une décision dépourvue de tout recours est conforme à la Constitution. Pour avoir la réponse définitive, il est cependant indispensable d'attendre la décision du Conseil constitutionnel.