C'est la fin des espoirs d'une veuve qui souhaitait bénéficier d'un parcours d'assistance médicale à la procréation (AMP) par l'implantation d'un embryon issu de ses gamètes et de celles de son mari. Confrontée à un refus du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen, elle a utilisé toutes les procédures et tous les recours possibles pour obtenir satisfaction. Mais, dans un arrêt du 28 novembre 2024, le Conseil d'État lui oppose un double refus, d'abord celui de bénéficier d'une AMP en France, ensuite celui d'exporter ses gamètes et celles de son époux défunt vers l'Espagne, pays dans lequel la procédure post mortem est licite, qu'il s'agisse de l'insémination ou de l'implantation d'embryons.
Peu d'espoir donc, mais le contentieux n'était pas tout-à-fait achevé car, à l'occasion de son recours devant le tribunal administratif de Caen, la requérante avait posé une QPC. Celle-ci portait sur la conformité à la Constitution de l'article L 2141-2 du code de la santé publique. Celui-ci affirme que "lorsqu'il s'agit d'un couple, font obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons : (...) Le décès d'un des membres du couple". Et le tribunal administratif avait jugé la question suffisamment sérieuse pour entre transmise au Conseil d'État.
L'échec était prévisible, car il était peu probable le Conseil d'État qui venait, deux mois plus tôt, de rejeter les requêtes au fond, accepte aujourd'hui de s'interroger sur la constitutionnalité de la règle qu'il a appliquée sans discuter. Il affirme donc que la QPC "qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux".
Lolita de Lempicka. 1924
La question "n'est pas nouvelle"
Il est vrai que le Conseil s'est déjà prononcé sur l'article L 2141-2 du code de la santé publique, à l'occasion de la décision rendue, le 17 mai 2013, sur la loi portant ouverture du mariage aux couples de même sexe. Les opposants au texte s'appuyaient sur l'article L 2141-2 du code de la santé publique pour contester l'union homosexuelle, l'AMP étant réservée aux couples formés d'un homme et d'une femme. Bien entendu, le moyen a été écarté, le Conseil affirmant que le principe d'égalité n'a jamais imposé de traiter de la même manière des couples en situations différentes. Le législateur pouvait donc décider de ne pas ouvrir l'AMP aux couples homosexuels.
Certes, mais cela c'était en 2013. Depuis cette date, la loi bioéthique du 2 août 2021 a bouleversé cet équilibre en ouvrant l'AMP aux femmes, seules ou en couples. Dès lors, la question du principe d'égalité se trouve posée en des termes nouveaux, non seulement pour les couples homosexuels masculins, mais aussi pour les veuves désirant bénéficier d'une AMP avec les gamètes de leur époux défunt.
Le Conseil d'État persiste pourtant à affirmer que "la question n'est pas nouvelle", sans d'ailleurs donner la moindre explication de cette position. Il serait pourtant intéressant de les connaître les motifs de son refus de considérer cette évolution législative de 2021 comme un changement de circonstances de droit susceptible de rouvrir une nouvelle QPC sur ces dispositions.
On sait que le changement de circonstances de droit n'intervient pas seulement dans l'hypothèse d'une modification des dispositions constitutionnelles. Il peut aussi consister dans une évolution législative. Dans sa QPC du 5 juillet 2013, le Conseil constitutionnel a ainsi été saisi du pouvoir de sanction détenu par l'Autorité des communications électroniques et des postes (Arcep). Il s'était déjà prononcé sur les dispositions en cause dans une décision de 1996, mais il a estimé que l'état du droit avait considérablement évolué depuis cette époque, tant dans le régime des sanctions désormais précédées d'une mise en demeure que dans le respect de la procédure contradictoire. Il s'autorise donc à réexaminer la constitutionnalité de ce pouvoir de sanction.
Le Conseil d'État, dans son arrêt du 25 février 2025, ne dit rien, mais vraiment rien. La "question n'est pas nouvelle", quand bien même le principe d'égalité se trouverait fortement malmené.
Le principe d'égalité
Le moyen reposant sur l'atteinte au principe d'égalité est écarté, au motif qu'il n'avait pas été soulevé devant le tribunal administratif. Il est exact que l'article 23- 5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 prévoit qu'en matière de QPC, un moyen ne peut être relevé d'office par le juge suprême de l'ordre administratif ou judiciaire auquel la question est transmise.
L'argument est imparable, et on doit regretter que les avocats qui accompagnent les requérants devant les juges du fond aient tendance à conseiller des QPC, sans réellement connaître le contentieux constitutionnel. Le manquement au principe d'égalité était en effet le moyen essentiel susceptible d'être développé, et il a été oublié en première instance.
C'est d'autant plus fâcheux que le moyen avait quelques chances de prospérer, pour deux raisons essentielles.
La première réside évidemment dans la loi bioéthique de 2021 qui ouvre l'AMP aux femmes seules ou en couple avec une autre femme. Elles peuvent se faire inséminer librement, en France, avec les gamètes d'un donneur anonyme. En revanche, une veuve dont le défunt mari a pris soin de faire congeler ses gamètes, ou qui a déjà des embryons disponibles pour une réimplantation, n'a pas le droit d'accéder à ses techniques, quand bien même le défunt aurait mentionné ce projet dans ses dispositions testamentaires.
La seconde raison qui pousse à considérer que le manquement au principe d'égalité pourrait être utilement soulevé réside dans la désinvolture avec laquelle le Conseil d'État lui-même l'a écarté dans sa décision du 28 novembre 2024. Il affirme ainsi qu'une femme seule a, dès l'origine de son projet parental, décidé que son enfant aurait une seule filiation maternelle. La veuve, quant à elle, avait un projet parental avec son époux qui avait donné son accord. Elle n'est donc pas dans la même situation. Hélas, le Conseil constitutionnel ne pourra pas se prononcer sur une question qui, au yeux du Conseil d'État, n'est pas sérieuse.
Ce jésuitisme juridique a quelque chose de parfaitement cynique. La requérante n'a certainement pas souhaité le décès de son époux, et il n'est pas douteux qu'elle aurait préféré que l'enfant ait une double filiation paternelle et maternelle. Le droit doit-il la punir pour cela, alors qu'il encourage une femme seule à mener à terme une grossesse ? C'est le message délivré par le Conseil d'État, et on doit en déduire tout simplement que sa décision repose sur son bon plaisir.
Analyse rafraichissante de cette décision du Conseil d'Etat qui interroge sur la substance et sur la procédure devant les juridictions administratives.
RépondreSupprimer- S'agissant de la substance, notre approche - subjective au demeurant - pourrait se résumer par la formule : quand on dépasse les bornes, il n'y a plus de limites. De compromis en compromis sur la conception post mortem, où va-t-on aller ? Dans un système où toute personne en âge de procréer serait fortement incitée à aller chez "Picard" du coin qui pour faire congeler ses ovocytes, qui pour faire congeler son sperme. Il faudrait alors que la personne souscrive une autorisation d'utiliser ses cellules post mortem en précisant avec quelle personne du sexe opposé ses ovocytes ou son sperme pourraient être utilisés le moment venu. On imagine la cacophonie à tous les sens du terme, y compris les procédures juridiques de contestation de toutes les étapes de la procédure. Bon courage pour les magistrats obligés de trancher dans le vif du sujet ...
- Pour ce qui est de la procédure devant les juridictions administratives, les juristes découvrent comment fonctionne le Conseil d'Etat. Nous ne le répéterons jamais assez dans les contentieux sensibles, la troïka" (vice-président, président de section et de chambre), qui n'a aucune existence légale, pose ex ante la conclusion à laquelle doit parvenir la plus haute juridiction administrative. Il appartient ensuite au petit rapporteur public de bâtir un raisonnement juridique plus ou moins tortueux pour parvenir au résultat souhaité. Ce qui explique le contorsionnisme juridique dont fait preuve le Conseil de la déraison d'Etat pour concilier l'inconciliable. Et, il faut reconnaître à cette juridiction une grande capacité créative. Comme disait feu le président Mitterrand, dans la justice, il y a le droit et le tordu. Et, c'est bien de cela dont il s'agit dans le cas d'espèce !
"Le fort fait ce qu'il peut faire et le faible subit ce qu'il doit subir" (l'historien grec Thucydide). Telle pourrait être la morale de l'histoire !