Or ce délit a figuré dans l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 jusqu'en 2014. Il y avait été introduit par la loi du 12 décembre 1893, l'une des "lois scélérates" destinées à lutter contre les menées anarchistes. Cette réintégration dans la loi de 1881 constitue ainsi un élément de langage essentiel pour les députés LFI qui se répandent dans les médias pour endiguer le flot des critiques.
L'étrange rédaction de la proposition de loi
Certes, mais la rédaction de la proposition de loi manque pour le moins de clarté car elle ne mentionne aucunement une réintégration de l'infraction dans le droit de la presse. L'article 1er énonce clairement que "l'article 421-2-5 du code pénal est abrogé".
Ces dispositions, introduites dans le code par la loi Cazeneuve du 13 novembre 2014 répriment "le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publique l'apologie de ces actes". La peine de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende est portée à sept ans d'emprisonnement et 100 000 d'amende lorsque les faits sont commis sur internet. Enfin, le dernier paragraphe de cet article précise que les dispositions particulières du droit de la presse s'appliquent en ce qui concerne la détermination des personnes responsables, lorsque ces faits sont précisément commis par voie de presse ou de communication audiovisuelle.
La proposition LFI abroge pourtant l'ensemble de l'article 421-2-5 du code pénal, y compris son dernier paragraphe. Si les membres du groupe affirment vouloir réintégrer l'infraction dans la loi sur la presse, le texte de la proposition n'en laisse rien deviner. Il ne compte que trois articles, et les articles 2 et 3 se bornent à prévoir la remise de deux rapports du gouvernement au parlement, l'un dressant un bilan judiciaire du délit d'apologie du terrorisme, l'autre sur les infractions commises "en lien avec les attaques terroristes subies par Israël depuis le 7 octobre 2023".
Politiquement, ces dispositions permettent à LFI d'affirmer clairement le caractère terroriste des meurtres de masse commis le 7 octobre 2023. Juridiquement, ces dispositions surprennent. S'il est d'usage de rédiger de demander des rapports sur la mise en oeuvre des normes juridiques par les juges dans le but de les modifier par une proposition de loi, il est moins fréquent d'utiliser la loi modificatrice pour demander des rapports. On a un peu le sentiment que les parlementaires LFI font les choses à l'envers, d'autant que l'on peut se demander si le fait de demander un rapport au gouvernement sur la mise en oeuvre du droit pénal relève bien du domaine de la loi.
Cette proposition, mal rédigée, a donc bien peu de chances de prospérer, d'autant qu'elle ne risque guère d'avoir l'appui du Parti Socialiste, la loi de 2014 ayant été initiée par Bernard Cazeneuve.
Apologie du terrorisme
Tintin au pays de l'or noir. Hergé. 1950
Les questions restent posées
Cela ne signifie pas que cette proposition LFI ne soulève pas des questions intéressantes. En sortant le délit d'apologie du terrorisme du droit de la presse, la loi de 2014 l'a intégré dans le droit commun du code pénal. Les conséquences sont loin d'être négligeables.
Sur le plan très concret, les règles protectrices du droit de la presse sont désormais écartées. Il en est ainsi de la durée de prescription qui est de trois mois pour les délits de presse. La sortie de l'apologie du terrorisme du champ d'application de la loi de 1881 allonge ainsi la prescription à la durée de droit commun de six ans (article 8 du code de procédure pénale). De même devient-il possible de juger les personnes poursuivies en comparution immédiate, ou en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Enfin, la détention provisoire est possible. La chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 26 juillet 2023, reconnaît que le délit d'apologie du terrorisme entraine une ingérence dans la liberté d'expression. Elle rappelle ainsi que les juges du fond doivent apprécier la nécessité de la détention provisoire, notamment au regard de l'ordre public. La détention provisoire n'est donc pas exclue, si elle se révèle proportionnée.
Sur le fond, l'objet du transfert du droit de la presse au droit pénal général a été présentée comme une nécessité de la "réponse pénale", notion globalisante qui n'est pas sans danger pour les libertés. En effet, l'apologie du terrorisme est ainsi considérée comme un maillon de l'entreprise terroriste dont elle n'est pas dissociée. Cette position peut se défendre si l'on considère que le terrorisme emporte une menace directe contre l'État de droit, mais il n'empêche qu'un bilan serait effectivement nécessaire pour mesurer les conséquences de cette intégration de l'apologie du terrorisme dans le droit commun.
Le rôle des juges
D'une manière générale, cette intégration dans le droit commun a surtout eu pour conséquence de faciliter le dépôt de plaintes. On sait qu'il est particulièrement délicat en matière de presse, l'article 65 de la loi de 1881 précise en effet que la prescription de trois mois n'est interrompue que par des réquisitions aux fins d'enquête en bonne et due forme. Désormais, il suffit d'une plainte ordinaire que chacun peut déposer à sa guise.
Et l'on ne s'en prive pas, l'apologie de terrorisme devenant une modalité du débat politique. On dépose une plainte, on agite les médias, et cela suffit à faire considérer l'auteur des propos litigieux comme un délinquant. C'est d'autant plus vrai que le caractère public est un élément essentiel du délit d'apologie.
A y regarder de plus près, on constate cependant que la plupart de ces plaintes ne prospèrent pas. Les propos incriminés ne font généralement pas la moindre apologie, qu'il s'agisse du terrorisme ou d'une autre infraction. Car le problème trouve son origine dans la définition, quelque peu laborieuse, de ce délit.
Le code pénal donne une définition purement tautologique, l'apologie de terrorisme consistant à "faire publiquement l'apologie de ces actes". En voulant faire mieux, le Conseil constitutionnel, dans sa décision QPC du 16 octobre 2015, la définit comme "le fait de décrire, présenter ou commenter une infraction en invitant à porter sur elle un jugement moral favorable". Cette intrusion de la morale dans le droit n'a, à l'évidence, pas pour effet de clarifier l'incrimination.
De fait, les juges se montrent prudents et adoptent plutôt une définition étroite de la notion d'apologie. Ils exigent que les propos "manifestent une égale considération pour les victimes et les auteurs d'un acte de terrorisme" , principe formulé dans un arrêt de la Cour de cassation du 25 avril 2017 et qu'ils se livrent à des rapprochements "tendant à justifier le crime commis". On observe toutefois que les juges du fond se montrent moins prudents.
Le tribunal correctionnel de Lille, dans un jugement du 18 avril 2024, considère ainsi comme une apologie du terrorisme un tract d'un responsable de la CGT ainsi rédigé, trois jours après les attentats du 7 octobre : "les horreurs de l'occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi, elles reçoivent les réponses qu'elles ont provoquées (...) En France (...) la propagande médiatique, totalitaire, nous présente scandaleusement les conséquences comme des causes, les occupés comme terroristes, et l'occupant comme victime. Cette propagande indécente vise à empêcher toute expression contradictoire". Le tract déclarait "s'incliner devant toutes les victimes civiles". Si l'on peut en effet considérer le tract comme inopportun, son caractère apologétique ne semble pas clairement établi. L'auteur considère en effet que l'attentat du 7 octobre est "provoqué" par une situation politique, il ne s'y associe pas moralement. Il voit les évènements, conformément à une vision historique marxiste chère à la CGT, comme le produit de rapports de force. Certes, il ne condamne pas, mais se livre-t-il pour autant à une apologie ? On ne peut qu'attendre sur ce point la décision de la Cour d'appel.
Le délit d'apologie apparaît ainsi comme un outil utilisé pour instrumentaliser la justice en la plaçant au coeur des conflits politiques. Une simple plainte, relayée par les médias, suffit à condamner médiatiquement une personne. Sans doute, mais la proposition LFI n'apporte aucune solution au problème. De fait, LFI donne l'impression détestable d'agir dans son propre intérêt. Nous savons que Rima Hassan et Mathilde Panot sont actuellement poursuivies sur ce fondement. La suppression du délit mettrait fin aux poursuites, évidemment.
La liberté d'expression : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 9
Dans ce genre d'emballement médiatique, il est toujours nécessaire de revenir à ce que dit le droit et comment l'interprètent les magistrats. C'est à ce laborieux travail que vous vous livrez depuis de nombreuses années pour notre plus grand bien. Soyez-en remerciée !
RépondreSupprimerNous ne le répéterons jamais assez. Comprendre le droit est nécessaire mais pas toujours suffisant. Il est essentiel de le replacer dans son environnement politique. Selon nous , doit exister une certaine adéquation de la norme aux défis que notre Société doit relever, au titre desquels figure la lutte contre le terrorisme. Si tel n'est pas le cas, le droit ne joue plus son rôle d'amortisseur des désordres. Les citoyens le jugent comme un carcan dangereux. On sait ensuite vers quel parti nos citoyens se tournent lors des élections.
- Il est cocasse de voir que les membres de LFI, qui sont par nature irréprochables, soient contraints de vouloir changer la loi pour échapper aux poursuites dont ils sont l'objet pour violation de la loi. Que n'aurions-nous entendu si Marine Le Pen avait demandé de changer la loi pour échapper à une peine immédiatement applicable dans l'affaire des assistants parlementaires du RN ?
- Pour notre part, nous suivons avec intérêt les déclarations concordantes de LFI estimant que les mouvements considérés comme des groupes terroristes par les membres de l'Union européenne (et pas seulement) sont des mouvements de résistance. Des groupes qui ont tué au Bataclan, à Charlie Hebdo et ailleurs de paisibles citoyens français. Qu'en pensent les proches des victimes ?
- Le député à l'origine de cette loi, Ugo Benalicis se pavanait récemment à une réunion du Syndicat de la magistrature à Lille pour faire une déclaration d'amour à ce dernier dont il partageait l'approche générale de classe de la Justice. Quel étrange mélange de genres entre un représentant du pouvoir législatif et des représentants de l'autorité judiciaire dont l'indépendance et l'impartialité sont régulièrement questionnées (Cf. le dossier que lui consacre l'hebdomadaire "d'extrême droite" Valeurs actuelles) !
- Face à de graves et dangereuses menaces à la sécurité nationale et internationale comme le terrorisme, tout accommodement avec le droit - dans la mesure où il reste circonscrit à son unique objectif - nous parait la moins mauvaise solution. Et cela lorsque l'on met en balance le nombre de victimes d'actes de terrorisme comptabilisés en France dans les dernières décennies et une liberté prise avec le droit. Gouverner, c'est choisir les moins mauvaises solutions, les meilleures n'existant pas.
En un temps où tout ce qui était impossible est devenu réalité, et où nous observons l'horizon du désordre, il serait temps d'apprendre de nos erreurs passées pour éviter de les reproduire sous la pression d'irresponsables dont l'intérêt général de notre pays ne semble pas la préoccupation première.