« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 24 juin 2024

Les contentieux de la dissolution.


La dissolution de l'Assemblée nationale, décidée par le Président de la République à la suite des élections européennes suscite un double contentieux. Dans un premier temps, une dizaine de recours ont été déposés contre le décret du 9 juin 2024 portant convocation des électeurs pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale. Ces requêtes ont été rejetées par le Conseil constitutionnel dans une décision du 20 juin 2024. Ensuite, le décret de dissolution lui-même, daté du 9 juin 2024, a lui-même été déféré au Conseil qui, sur ce point, n'a pas encore statué, mais les chances de succès sont extrêmement modestes.

 

Les recours contre le décret de convocation des électeurs


Aux termes de l'article 59 de la constitution, "le Conseil constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs". Le plus souvent, le contentieux se déroule a posteriori, lorsqu'un candidat malheureux conteste l'élection de son concurrent dans la circonscription. Mais le Conseil, dans une décision du 7 juin 2012, se déclare compétent pour juger d'un recours mettant en cause la régularité d’élections à venir. Encore est-il nécessaire que l'irrecevabilité éventuelle qui pourrait être opposée à ces requêtes risque de compromettre gravement l'efficacité de son contrôle, de vicier le déroulement des opérations électorales ou de porter atteinte au  fonctionnement normal des pouvoirs publics. Dans le cas présent, le Conseil affirme, sans beaucoup de précision, que "ces conditions sont remplies". On peut penser en effet, qu'une convocation irrégulière des électeurs pourrait vicier le déroulement des opérations électorales.

Au fond, les requérants se fondent sur les délais entre la dissolution et la convocation des électeurs. L'article 12 de la Constitution énonce : "Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution". En l'espèce, le Président de la République a choisi la voie la plus courte. Le décret du 9 juin fixe les élections au 30 juin, soit exactement 20 jours après la dissolution. Sur ce point, le Conseil fait observer que le décret de dissolution est entré en vigueur dès sa publication au Journal officiel et que les élections peuvent donc intervenir le 20e jour après la dissolution. Il calcule donc en jours calendaires et non en jours francs, ce qui d'ailleurs n'était pas nécessairement acquis. On imagine mal toutefois, le Conseil rendant impossible la tenue des élections, pour un motif quelque peu futile.

Le Conseil écarte ainsi le moyen reposant sur l'incompatibilité de ce délai avec l'article L 157 du code électoral, selon lequel "les déclarations de candidatures doivent être déposées, en double exemplaire, à la préfecture au plus tard à 18 heures le quatrième vendredi précédant le jour du scrutin". Il écarte en même temps le moyen fondé sur l'incompatibilité du décret avec les délais dans lesquels le tribunal administratif peut être appelé à se prononcer sur les candidatures, délais prévus aux articles L 159 et L 160 du code électoral. Dans tous les cas, il est évident que l'article 12 de la Constitution est supérieur aux dispositions législatives du code électoral. Le délai de 20 jours pour organiser les élections, délai autorisé par la Constitution, s'impose donc. Une application des délais du code électoral reviendrait, en effet, à vider de son contenu la norme constitutionnelle.

D'une manière générale, le Conseil écarte différents moyens fondés sur l'idée que la brièveté de la campagne porterait atteinte à la sincérité du scrutin. Ceux de La France Insoumise contestent ainsi le gel des listes électorales qui, selon eux, entraverait l'exercice du droit de suffrage. Le Conseil répond logiquement que ce gel est indispensable pour l'organisation concrète du scrutin, et que pourront voter les électeurs ayant atteint l'âge de dix-huit ans ou acquis la nationalité française plus de dix jours avant la consultation électorale. Les conséquences de ce gel sont donc très modestes.


Il suffit d'une dissolution. Les Goguettes. 22 juin 2024

Les recours contre le décret de dissolution


Le Conseil ne s'est pas encore prononcé sur ces requêtes dirigées directement contre le décret de dissolution du 9 juin, mais, avouons-le, elles n'ont que fort peu de chances de prospérer.

Le Conseil s'est déjà prononcé à deux reprises sur des décrets de dissolution, et, à chaque fois, il s'est déclaré incompétent. Dans sa décision du 4 juin 1988 Minvielle de Guilhem de la Taillade, comme dans celle du 10 juillet 1997 M. Abraham, il déclare  qu’"aucune disposition de la Constitution ne donne compétence au Conseil constitutionnel pour statuer sur la requête susvisée".

On ne voit par pour quel motif le Conseil constitutionnel modifierait une jurisprudence qui, sans la nommer, reste totalement inspirée par la théorie des actes de gouvernement. Certes, les actes de gouvernement, donc insusceptibles de recours, ont vu leur champ d'application se réduire depuis le XIXe siècle, époque où le Conseil d'État s'estimait incompétent pour apprécier toute décision dont le gouvernement estimait qu'elle touchait une "question politique". Aujourd'hui ne subsistent de l'acte de gouvernement que les décisions non détachables des relations internationales et celles qui concernent "les rapports entre les pouvoirs publics".

Précisément, dans un arrêt Allain du 20 février 1989, le Conseil d'État affirme clairement qu'il ne lui appartient pas "de se prononcer sur la légalité des actes relatifs aux rapports entre le Président de la République et l'Assemblée Nationale". Il se déclare donc incompétent pour connaître d'un recours dirigé contre un décret de dissolution. Certes, le Conseil constitutionnel, statuant en matière électorale,  n'est pas le Conseil d'État. Il n'en demeure pas moins qu'il semble s'être approprié la théorie de l'acte de gouvernement.

L'irrecevabilité semble évident, mais elle pose néanmoins problème, car le décret de dissolution n'est finalement soumis à aucun contrôle. C'est fâcheux si l'on considère que l'article 12 de la Constitution affirme certes le pouvoir discrétionnaire du Président de la République pour prononcer la dissolution, mais encadre cette décision d'une procédure consultative obligatoire.

Ainsi est-il précisé que le décret de dissolution ne peut intervenir qu'"après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées". Or, dans l'état actuel du droit, aucun contrôle ne peut être exercé sur le respect de cette procédure consultative. Il ne s'agit évidemment que d'inscrétions de journalistes, mais on a appris que l'ancienne présidente de l'Assemblée nationale a dû demander au Président que cette consultation se déroule à huis-clos. De même a-t-il été mentionné que Gabriel Attal, Premier ministre, n'avait guère été consulté, à moins qu'il l'ait été tardivement. Il semble en effet que le journaliste de CNews Pascal Praud ait été informé de la dissolution, avant le Premier ministre.

Ragots, indiscrétions ? Peut-être, mais le problème ne disparaît pour autant. La procédure ne fait l'objet d'aucun contrôle contentieux. Bien entendu, dans une dissolution, le contrôle appartient d'abord au corps électoral. Et s'il n'est pas très intéressé par le respect des procédures, il se prononcera au moins sur le respect des promesses électorales.




4 commentaires:

  1. Stéphane HAUCHEMAILLE24 juin 2024 à 20:02

    Irrecevabilité évidente s'agissant du décret de dissolution, écrivez-vous. Déjà c'est plutôt une question de compétence et cf ma contribution extérieure ci-jointe adressée au Conseil constitutionnel la semaine dernière : "Vous avez été saisis ce jour par M. Frantz GRAVA dʼun recours contre le décret de dissolution de lʼAssemblée nationale pris par le Président de la République le 9 juin dernier./ Vous vous déclarerez compétents pour statuer sur cette requête.
    En effet, suite à votre décision ABRAHAM du 10 juillet 1997, est intevenue votre décision HAUCHEMAILLE I du 25 juillet 2000 dans laquelle vous vous êtes reconnus compétents pour vous prononcer sur la régularité dʼun décret préparatoire à un scrutin national dont la survenance a été provoquée par une décision du Chef de lʼEtat et qui ne concerne pas un RDV régulier de notre vie électorale./ Cette décision, le décret de convocation dʼun référendum de lʼart. 89 de la Constitution (solution confirmée en 2005 avec lʼart. 11), était, comme un décret de dissolution de la chambre basse du Parlement, jusquʼalors à la fois considérée comme un acte de Gouvernement (dans lʼordre interne) par le Conseil dʼEtat et également insusceptible de recours devant vous et vous lui avez donné un juge. Vous en ferez de même à lʼoccasion de la requête n° 2024-42 ELEC sʼagissant du decret de dissolution./ A tout le moins, vous rejetterez les moyens, sans doute peu sérieux (vu que le Président de la République a bien procédé aux consultations exigées par lʼart. 12 de la Constittuion et respecté le dernier alinéa de cet article), de M. GRAVA en considérant que les griefs quʼil a présentés sont, en tout état de cause, mal fondés./ Vous vous conserverez ainsi la possibilité de sanctionner un jour de telles irrégularités, tel que vous lʼavez toujours envisagé lors de vos précédentes délibérations dont les PV publiés sur votre site en témoignent ainsi que le choix par vous de la rédaction “aucune disposition de la Constitution ne donne compétence au Conseil constitutionne pour statuer sur la requête susvisée” et non “(...) ne donne compétence (...) pour statuer sur une requête dirigée contre un décret de dissolution”.

    RépondreSupprimer
  2. Effectivement, cette dissolution de l'Assemblée nationale, à la suite du scrutin pour le Parlement européen, soulève plus de problèmes politiques que juridiques.

    Nous sommes d'abord au coeur de la problématique du fait du Prince qui n'a cure du droit et de la Constitution qui explique l'agacement d'un corps électoral lassé des frasques d'un président électron libre.

    Nous sommes ensuite au coeur du problème de la composition du Conseil constitutionnel qui, de notre point de vue, le disqualifie en tant que juge indépendant et impartial. Quand voudra-t-on bien le réformer afin d'en faire une véritable Cour constitutionnelle à l'allemande.

    En définitive, c'est toute la démocratie française qui est un grand corps malade. A cet égard, Dominique Schnapper vient de publier un ouvrage intitulé : "Les désillusions de la démocratie" qui en dit long sur le fonctionnement de notre patrie des droits de l'homme et autres plaisanteries du même acabit. Jupiter porte une lourde responsabilité dans cette situation qui a tout d'une farce, d'un mauvais vaudeville.

    RépondreSupprimer
  3. Si intéressante que soit l'approche juridique de ce problème, elle est partielle tant sa nature profonde est politique. Cessons de penser que le droit peut régler tous les maux d'une société aussi malade qu'est la France macronienne ! Retablissons un minimum de confiance entre le peuple et ses représentants et notre pays évitera une "guerre civile".

    RépondreSupprimer
  4. Si tant est que ce commentaire soit pris en compte, force est de constater que le problème de la dissolution est plus de nature politique que juridique. Le président de la République s'est-il fourvoyé dans une impasse en procédant de la sorte ? A-t-il pris en compte l'intérêt général ou ses propres fantasmes ? Notre pays sortira t-il renforcé ou affaibli sur les plans intérieur et extérieur après les scrutins des 30 juin et 7 juillet 2024 ? Les subtilités juridiques relèvent plus de l'accessoire que du principal dans le cas de figure.

    "Les lois ne doivent point être subtiles: elles sont faites pour des gens de médiocre entendement" (Montesquieu)

    RépondreSupprimer