« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 20 août 2020

Ce que nous apprennent les recours contre les arrêtés imposant le port du masque

Un habitant de Montpellier saisit le juge des référés du tribunal administratif pour demander la suspension de l'arrêté municipal imposant le port du masque en extérieur dans cette ville. Père de cinq enfants, il invoque le coût qu'il juge excessif d'une protection qui doit être portée par sept personnes dans sa famille. Surtout, il considère que le port du masque constitue une atteinte disproportionnée à sa liberté. Ses chances de succès sont modestes, et même très modestes. Sa démarche révèle toutefois la survivance d'une conception ancienne qui définit la liberté comme l'absence de toute contrainte, oubliant au passage l'idée même de responsabilité

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L'article 4 de la Déclaration de 1789

 

Formellement, ce type de recours s'appuie d'abord sur l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui affirme que "la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui". De nombreux précédents ont déjà été observés, pour contester par exemple l'obligation de porter une ceinture de sécurité en voiture, tant pour le conducteur que pour les passagers. 

Dans un arrêt du 20 mars 1980, la chambre criminelle affirme ainsi que cette obligation "ne saurait être regardée, eu égard à l'objet de sécurité publique qu'elle poursuit, comme portant atteinte aux dispositions de valeur constitutionnelle de l'article 4 de la Déclaration (...)". Elle sanctionne donc la décision d'une Cour d'appel qui avait écarté les poursuites engagées contre un conducteur car, en l'espèce, le port de la ceinture était sans influence sur les dommages subis par les tiers lors d'un accident de la circulation.

Il ne fait guère de doute que l'obligation de porter un masque fera l'objet d'une jurisprudence identique. Là aussi, le but de "sécurité publique" poursuivi par la mesure interdit de s'appuyer sur l'article 4 de la Déclaration de 1789. S'il est vrai qu'il affirme que "la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui", il convient aussi de lire la suite : "L'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi". Le Conseil constitutionnel, depuis sa décision du 22 juillet 1980, considère "la sécurité des personnes et des biens" comme un "principe de valeur constitutionnelle", justifiant donc que des "bornes" soient posées à la liberté de chacun.


La liberté de circulation



D'autres requérants, toujours pour contester le port de la ceinture de sécurité, se sont appuyés sur l'article 2 du Protocole n° 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui consacre la liberté de circulation. La Cour de cassation, dans une décision du 25 novembre 1998 a écarté sèchement le pourvoi, faisant observer que le port de la ceinture de sécurité n'a jamais empêché personne de circuler en voiture. 

Le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg s'est prononcé le 23 mai 2020 sur un recours demandant la suspension d'un arrêté du maire de cette même ville, imposant le port du masque dans "la zone de la Grande Ile, les ponts et les voies adjacentes". Là encore, les requérants faisaient valoir que cette obligation portait une atteinte grave et immédiate à leur liberté d'aller et de venir. Dans son ordonnance rejetant leur demande, le juge note qu'ils "ne démontrent pas en quoi la seule obligation du port du masque de 10 heures à 20 heures ne leur permettrait pas de se déplacer librement" dans ce quartier. En bref, le fait de porter un masque n'a jamais empêché qui que ce soit de marcher à pied.


Le pouvoir de police


Le requérant pourrait-il alors se fonder sur le fait que l'arrêté obligeant à porter le masque à Montpellier a valeur réglementaire, alors que l'article 4 de la Déclaration de 1789 énonce que les bornes de la liberté "ne peuvent être déterminées que par la Loi" ? On ignore si l'arrêté montpelliérain a été adopté par le maire ou par le préfet, mais c'est sans importance, car ces deux autorités sont dotées du pouvoir de police générale qu'elles exercent pour assurer l'ordre public, et donc l'hygiène publique qui en est partie intégrante. 

Le pouvoir de police du maire repose sur un fondement législatif, l'article L 2212-2 du code des collectivités territoriales. Il précise qu'il implique le "soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux". Autant dire que la prévention d'une épidémie relève effectivement de ses compétences.

Celles du préfet ont été précisées par les lois de décentralisations. Il demeure le "dépositaire de l'autorité de l'Etat dans le département" et il est donc également responsable de l'ordre public, comme représentant du Premier ministre et de chaque ministre dans le dépa

rtement. Le décret du 10 juillet 2020, modifié le 30 juillet 2020, fait de lui une autorité de substitution du ma


ire dans le cas précis du port du masque : "Dans les cas où le port du masque n'est pas prescrit par le présent décret, le préfet de département est habilité à le rendre obligatoire, sauf dans les locaux d'habitation, lorsque les circonstances locales l'exigent ». 

 

Le caractère fluctuant de la jurisprudence administrative



Le requérant montpelliérain aura donc bien des difficultés à démontrer l'incompétence du maire ou du préfet et n'obtiendra pas davantage que cette obligation de porter le masque soit considérée comme une atteinte à une liberté fondamentale, justifiant une mesure d'urgence. Mais cette analyse concerne le droit actuel, pas celui en vigueur il y a trois,  mois.

A l'époque, en effet, la jurisprudence administrative était bien différente : lorsque les masques faisaient cruellement défaut, les juges n'hésitaient pas à suspendre les arrêtés municipaux imposant leur port. 

Le maire de Sceaux en a fait l'amère expérience. Le juge des référés du tribunal administratif de Cergy, le 17 avril 2020, a pris une ordonnance suspendant un arrêté imposant le port du masque dans cette ville. Il invoquait des "circonstances particulières" liées, d'une part à la démographie de sa commune, d'autre part à la concentration des commerces de première nécessité dans une zone très étroite. Mais le juge a estimé que ces circonstances ne constituaient pas des "raisons impérieuses" justifiant le port du masque. Au contraire, il a affirmé que cette initiative locale était susceptible de nuire à la cohérence de la politique sanitaire. A l'époque, le port du masque était présenté comme inutile, tout simplement parce qu'il était impossible de s'en procurer. Aujourd'hui, l'arrêté du maire de Sceaux serait considéré comme parfaitement légal et adapté à la menace sanitaire. 

Quoi qu'il en soit, la simple existence de recours contre le port du masque conduit à s'interroger sur la perception de la liberté qu'ils impliquent. Une contrainte visant à se protéger soi-même mais aussi à protéger autrui est perçue comme disproportionnée et insupportable. On refuse le port du masque comme on refuse la vaccination de ses enfants, en invoquant la liberté individuel

le, et en ignorant superbement que notre liberté s'arrête là où commence celle d'autrui. La revendication de la liberté individuelle s'analyse alors comme un égoïsme absolu, un refus d'accepter les contraintes de la vie en société, un rejet de toute responsabilité. 



Calvin & Hobbes. Bill Watterson


3 commentaires:

  1. Dabord, le fait que l'arrêté émane du préfet ou du maire a, contrairement à ce qui est affirmé dans cet article, une importance : le maire n'a toujours pas - malgré la sortie de l'état d'urgence sanitaire -, sauf raisons impérieuses liées à des circonstances locales, le pouvoir d'intervenir dans la police spéciale de sortie de l'état d'urgence jusqu'au 30 octobre, puisque la loi du 9 juillet 2020 et le décretdu lendemain confie aux seuls préfets le soin d'interdire le masque en extérieur. La jurisprudence Commune de Sceux du 17 avril garde ici sa pertinence sur ce point. Dès lors, empiétant illégalement sur le pouvoir de police spéciale du préfet, l'arrêté du maire non confirmé par le préfet serait entaché d'excès de pouvoir. Ensuite, je ne serais pas aussi catégorique que vous sur la légalité de l'obligation de porter le masque à l'extérieur, puisque son utilité sanitaire est très discutée (voir notamment les déclarations, entre autres, du professeur Martin Blachier - et il s'agit d'une obligation qui tend de plus en plus vers une obligation générale et absolue. Dès lors, l'inutilit du port du masque à l'extérieur pourrait être de nature à obtenir une annulation en tant que cet arrêté s'applique au-delà des lieux clos.
    Pour un raisonnement a contrario voir CE, 21 juillet 2020, req. n° 441964 :
    ""Eu égard au caractère ainsi circonscrit de l'obligation en cause, aux aménagements qu'elle comporte, à la contrainte mesurée qu'elle représente, et alors qu'il résulte du point de situation du 17 juillet 2020 publié par le ministre des solidarités et de la santé qu'à ce jour, la circulation du virus responsable de la maladie covid-19 est en augmentation modérée, avec un taux de reproduction supérieur dans la plupart des régions au seuil critique de 1, correspondant à une épidémie active, avec une proportion insuffisante de patients présentant des symptômes réalisant un test virologique, l'exécution des dispositions en litige, correspondant à la doctrine du Haut conseil de la santé publique rappelée dans son avis du 18 juin 2020 et aux préconisations du conseil scientifique depuis son avis du 2 juin 2020, ne caractérise manifestement pas, à la date de la présente décision et en l'état de l'instruction, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale." L'ordonnance est consultable ici :
    https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000042168722&fastReqId=60962543&fastPos=7&oldAction=rechJuriAdmin
    A contrario, donc, le port du masque à l'extérieur étant médicalement peu utile et l'obligation de port du masque pouvant paraître trop contraignante pour le bénéfice sanitaire qu'elle représente, sa proportionnalité est pour le moins à interoger. Quant au port du masque en lieux fermés, le consensus scientifique sur son utilité étant mieux établi, sa proportionnalité pourrait être mieux garantie ou, en tout cas, défendue avec plus de certitude que le port à l'extérieur. Quant au port du masque envisagé à Cannes dans les parties communes, je m'interroge sur sa constitutionnalité puisque le CC a dit que les obligations sanitaires adoptées ne s'appliquaient pas dans les lieux d'habitation.

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  2. Face a une opinion,fusse elle des scientifique, l'opinion soutenue aussi par des scientifiques est étouffée par l'autorité d'un Prefet de Departement ou un Maire de ccommune.
    Voila la place que nous donnons à notre liberté de decider sur nous memes et notre famille.
    Ttoute distature ou tyranie impose une opinion est sanctionne toute idee ou opinion differente.
    Nous y sommes avec li port obligatoire du masque et notament dans l'espace publique exterieur.
    La liberté de dispiser de son corp, la liberte4de refuser un soin, la liberté d'eduquer nos enfants selon nos valeue et credos sont grandement atteinte.

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  3. Lorsque le préfet agit pour imposer le port du masque, il ne le fait pas au titre de son pouvoir de police générale mais de son pouvoir de police spéciale issue de la loi de sortie de l'état d'urgence sanitaire du 9 juillet et du décret du 10 juillet portant mesures générales covid19. Et cette police spéciale demeure exclusive, ce qui a pour effet d'interdire au maire de prendre des mesures autonomes sauf circonstances locales particulières. Commune de Sceaux est toujours valable sur ce point, c'est d'ailleurs pour cela que les maires cherchent souvent - mais pas toujours - à faire reprendre leur texte par le préfet -. Par ailleurs la proportionalité des obligations de porter le masque à l'extérieur est plus discutable que celle concernant les lieux fermés, car le risque sanitaire n'est pas le même : à l'extérieur le pouvoir réglementaire est dans une logique de précaution et de prévention de sa responsabilité pénale, alors qu'à l'intérieur on est dans une véritable nécessité sanitaire (voir ce que dit à ce sujet le docteur Martin Blachier).

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