Le Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France (Syngof) a fait savoir
qu'il envisageait de faire la grève des interruptions volontaires de
grossesses pour obtenir un rendez-vous avec la ministre de la santé,
madame Agnès Buzyn. Leur revendication n'a officiellement rien à voir
avec leur éventuelle opposition à l'IVG en tant que telle, même si l'on
se souvient que le responsable de ce même syndicat a, tout récemment,
suscité quelque émoi en assimilant cette intervention à un "homicide".
Aujourd'hui, affirment ces médecins d'une même voix, il s'agit de
protester contre la condamnation à de lourds dommages et intérêts d'une
quinzaine de confrères pour erreur médicale.
Ils n'hésitent cependant pas à "prendre en otage"
selon les termes de la ministre, les femmes souhaitant interrompre
leur grossesse. L'IVG chirurgicale est enfermée en effet dans un délai
de douze semaines, et la grève des gynécologues peut donc empêcher
certaines d'entre elles d'en bénéficier. Si la grève se prolongeait, et
si elle était suivi par l'ensemble de la profession, les femmes se
verraient ainsi privées du droit à l'IVG.
Une liberté de la femme
Car l'IVG est un droit. Certes, elle n'était pas considérée comme tel dans la loi du 17 janvier 1975 et on se souvient que Simone Veil affirmait alors qu'elle devait "rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue".
L'IVG était alors perçue comme une tolérance, et surtout un moyen de
lutter contre les avortements illégaux qui mettaient en danger la vie
des femmes. Depuis cette époque, les choses ont bien changé, et le
Conseil constitutionnel, dans sa décision du 27 juin 2001, évoque "une liberté de la femme qui découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen".
Les médecins et le syndicat qui les représente peuvent-ils être poursuivis pour avoir entravé une liberté ?
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L'intervention. Fred Grivois. 2018 |
Les obligations légales et déontologiques
En l'état actuel du droit, un gynécologue peut refuser de pratiquer une IVG. Il lui suffit d'invoquer la "clause de conscience" qui figure dans les articles L 2212-8, et R 4127-18
du
Code de la santé publique. Il s'agit là d'une prérogative purement
individuelle, qui ne saurait donc reposer sur une directive d'ordre
général. La loi du 4 juillet 2001 a ainsi supprimé la prérogative dont
disposait tout chef de service d'un hôpital public de refuser que des
IVG soient pratiquées dans son service. Il peut certes faire le choix de
ne pas pratiquer lui-même l'intervention, mais il ne peut l'imposer aux
autres. Il semble donc exclu qu'un syndicat puisse invoquer une "clause
de conscience" collective, mais rien n'interdit à chacun de ses
membres, pris individuellement, de l'invoquer.
Mais
cette clause de conscience n'est pas suffisante dans le cas d'espèce,
car ces mêmes dispositions du code de la santé publiques impose au
gynécologue qui refuse de pratiquer une IVG d'informer "sans délai"
l'intéressée de son refus, et de " lui
communiquer immédiatement le nom de praticiens ou de sages-femmes
susceptibles de réaliser cette intervention (...)". Or le principe
même du mouvement initié par les membres du Syngof est d'empêcher que
les femmes puissent pratiquer une IVG, ce qui les oblige à s'abstenir de
cette obligation d'information. Agissant ainsi, les membres du syndicat
violent la loi. Il est probable qu'ils pourraient aussi être poursuivis
sur le fondement de l'article 47 du code de déontologie médicale, qui a valeur réglementaire et qui est d'ailleurs intégré dans le code de la santé publique. Celui-ci énonce un principe de "continuité des soins aux malades", qui semble mis à mal par une pratique visant précisément à interrompre l'accès des femmes à un acte médical.
Le délit d'entrave à IVG
La
question de savoir si les praticiens commettent un délit d'entrave à
IVG est plus délicate. Cette infraction est apparue avec la loi du 27 janvier 1993,
à une époque où l'IVG suscitait des actions violentes destinées à
empêcher sa mise en oeuvre. Certains militants s'enchaînaient aux tables
d'opérations, d'autres cherchaient à faire pression sur les femmes et
sur les médecins par différents procédés d'intimidation. Il s'agissait
alors d'une entrave physique à l'IVG et la loi punissait de
deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende, le fait de perturber " de quelque manière que ce soit l'accès
aux établissements (...) , la libre
circulation des personnes à l'intérieur de ces établissements ou les
conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux".
Plus
récemment, le délit d'entrave à été élargi à l'intimidation sur
internet, intégrant ainsi dans l'entrave la pratique de certains sites
de de
désinformation et de propagande hostile à l'IVG, souvent cachés sous
l'apparence de services plus ou moins rattachés au service public
hospitalier. Pour essayer d'empêcher cette utilisation partisane
d'internet, la loi du 20 mars 2017 a étendu le délit
d'entrave à l'IVG au fait de perturber l'accès des femmes à
l'information sur l'intervention. L'article L 2223-2 du code de la santé publique est désormais augmenté d'un nouvel alinéa qui punit de la même
peine le fait d'exercer "des pressions morales et psychologiques,
des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre (...) par tout
moyen de communication au public, y compris en diffusant ou en
transmettant, par voie électronique ou en ligne, des allégations ou
indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un
but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales
d'une interruption volontaire de grossesse". Ces dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution par une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 16 mars 2017.
Cette infraction est aujourd'hui punie, quelle que soit sa forme, d'une
peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende.
Cette
infraction est-elle applicable au cas des adhérents du syndicat de
gynécologues ? A priori, la règle de l'interprétation stricte de la loi
pénale semble l'interdire. Les dispositions en vigueur ne prévoient en
effet que deux types d'entraves, l'une qui interdit physiquement l'accès
aux services pratiquant des IVG, l'autre consistant en une intimidation
sur internet. Pour être claire, la loi ne prévoit pas la prise d'otage
des femmes en attente d'IVG.
Peut-être
serait-il utile de rédiger la loi autrement ? On pourrait ajouter un
troisième cas d'entrave, mais il serait sans doute plus judicieux de
simplifier la norme au lieu d'accroître sa complexité, en édictant tout
simplement une interdiction d'entraver l'accès à l'IVG. Le juge étant
alors en mesure d'interpréter cette règle avec davantage de liberté et
de l'adapter à l'imagination toujours en éveil des opposants à l'IVG.
Le droit au respect de la vie privée
Une telle évolution serait conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans un arrêt R.R. c. Pologne du 26 mai 2011,
elle sanctionne en effet une pratique des médecins polonais qui ont
rendu inopérante la loi sur l'IVG. Dans ce pays, la grossesse ne peut
être interrompue que pour motifs thérapeutiques, et les médecins avaient
choisi de s'opposer à tout dépistage d'une anomalie sur le foetus. De
fait, l'interruption de la grossesse devenait matériellement impossible.
Aux yeux de la Cour, une telle manoeuvre emporte une atteinte grave à
la vie privée de la personne dès lors qu'elle n'a pas pu bénéficier de
tests de dépistage auxquels elle aurait dû accéder. Cette décision
sanctionne ainsi une pratique très proche de celle que les gynécologues
du Syngof envisagent. Les juges français pourraient ainsi adapter cette
jurisprudence et considérer que les femmes éventuellement prises en
otage par le syndicat et empêchées de bénéficier d'une IVG dans les
délais légaux ont subi une atteinte au droit au respect de leur vie
privée, dès lors qu'elles n'ont pu exercer leur droit de ne pas avoir
d'enfant.
Les
voies de droit ne manquent donc pas pour sanctionner un comportement
qui n'a vraiment rien à voir avec l'obligation qui pèse sur le médecin
d'apporter à ses patients "son concours en toutes circonstances"
(art. 2 du code de déontologie). Bien entendu, la menace du Syngof
restera probablement sans effet, ne serait-ce que parce que tous les
gynécologues, loin de là, n'en sont pas membres. L'écrasante majorité
d'entre eux est constituée de praticiens dévoués à leurs patientes, qui
savent entendre la détresse d'une femme qui choisit de subir une IVG.
C'est si vrai que la sanction la plus efficace, et sans doute la plus
adaptée à la situation, peut être directement exercée par les femmes.
Car ceux qui les considèrent comme de simples instruments de chantage
méritent tout simplement qu'elles changent de médecin.
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