« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 6 septembre 2018

Menace sur l'Open Data par défaut

L'Open Data peut être défini comme la mise à disposition des données produites et détenues par les administrations. L'Open Data par défaut, formule un peu obscure, signifie que toute administration de plus de cinquante salariés est désormais tenue de mettre à la disposition du public les documents administratifs qui ont déjà été individuellement communiqués à une personne, à la suite d'un avis favorable de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA).

Les responsables du site spécialisé Next INPact ont entrepris de tester la procédure d'Open Data par défaut, en allant jusqu'au recours contentieux. En mettant en ligne à la fois le texte de sa requête et le mémoire en défense communiqué par le ministère de l'intérieur, ils mettent en lumière les difficultés techniques qui surgissent lorsque l'on veut faire respecter le principe d'ouverture des données publiques et les réticences d'une administration qui affirme la transparence en s'efforçant autant que possible d'en réduire le champ.


L'Open Data



Il s'agit d'une part de permettre aux citoyens d'accéder à l'information pour mieux contrôler l'administration, et donc de promouvoir la "démocratie administrative". L'Open Data est ainsi dans le prolongement de la démarche initiée, il y a plus de trente ans, par la loi du 17 juillet 1978 relative à l'accès aux documents administratifs. D'autre part, l'Open Data a également pour objet de permettre l'exploitation d'un véritable gisement de données considérées comme des biens communs, ce qui implique que ce droit d'accès s'accompagne d'un droit à la réutilisation des données. Doté d'un fondement législatif depuis la loi Lemaire du 7 octobre 2016 pour une République numérique, l'Open Data est aujourd'hui une politique publique coordonnée par Etalab, un service du Premier ministre chargé de la mettre en oeuvre, à travers un portail spécifique, data.gouv.fr.


L'Open Data par défaut



L'article L 312-1-1 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA) contraint l'administration à communiquer à tous ce qui a déjà été communiqué à un seul. A priori, cet élargissement de la transparence ne semble pas mis en cause par l'actuel gouvernement. Au contraire, le plan d'action 2018-2020 "pour une action publique transparente et collaborative", signé de Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État chargé du numérique, déclare vouloir "faciliter et faire appliquer le principe d'ouverture des données par défaut".

Derrière les déclarations de principe se cache cependant une pratique bien différente, au moins du ministère de l'intérieur. C'est ce que démontre l'expérience mise en oeuvre par les responsables de Next INPact. Ils ont demandé, en octobre 2016, la communication "des rapports (...) portant sur les effets des caméras mobiles appelées aussi "caméras-piétons", dispositifs portés par les forces de police pour enregistrer les scènes de crime ou les interactions avec le public. En l'absence de réponse des services, ils se sont adressés à la CADA et ont obtenu un avis favorable le 9 février 2017. Le document sollicité leur a été communiqué en avril 2017. 

Jusque là, tout se passe bien. Les choses se gâtent lorsque les mêmes responsables de Next INPact demandent ensuite au ministre de mettre le rapport en ligne, conformément aux principes de l'Open Data par défaut. En l'absence de réponse, ils ont saisi la juridiction administrative, et c'est à ce stade que les problèmes juridiques apparaissent.


L'Open Data par défaut agressé sur le chemin du tribunal administratif. Allégorie
L'embuscade. Suiveur de Pieter Brueghel

 

Une seconde saisine de la CADA



Le mémoire en défense du ministère révèle ce que sera son moyen principal. Il invoque en effet l'article L 341-2 CRPA, qui pose un principe général selon lequel "la saisine pour avis de la Commission d'accès aux documents administratifs est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux". Il en déduit que le recours est irrecevable, dans la mesure où le requérant n'a pas sollicité une nouvelle fois la CADA après s'être vu opposer un refus de publication. L'argument n'est pas sans poids, car l'article L 341- 2 précise que la saisine de la CADA concerne aussi bien le refus de communication que "le refus de publication d'un document administratif".

Si l'on en croit cette analyse, le demandeur devait saisir une première fois la CADA pour obtenir la communication du document à titre individuel, avant de la saisir une seconde fois pour demander un avis favorable à sa mise en ligne. On comprend que les responsables de Next INPact qualifient une telle procédure de "parcours du combattant".


Une obligation légale


Le problème ne réside cependant pas dans la complexité de la procédure. Il est bien plus grave, car e moyen invoqué n'est pas si évident qu'il n'y paraît. Le nouveau dispositif législatif repose en effet sur une logique de l'offre et non pas de la demande. La mise à la disposition des données publiques est un devoir de l'administration qui n'implique aucune procédure particulière de la part des administrés. Les demandes individuelles de communication sont donc limitées aux documents nominatifs et aux informations qui, pour une raison ou une autre, ne sont pas encore librement accessibles. C'est ainsi que l'article L 311-2 CRPA dispense désormais l'administration de communiquer une pièce à un demandeur lorsqu'elle est déjà accessible au public sur internet. L'Open Data par défaut est ainsi une obligation légale à laquelle l'administration doit se conformer. L'article L 341-2 qui impose la saisine de la CADA préalablement à une demande de publication ne s'applique donc qu'aux pièces qui ne sont pas encore en ligne, soit parce que le processus d'Open Data n'est pas achevé, soit parce que l'administration répugne à garantir la transparence des informations.

Cette interprétation est la seule possible. Si le tribunal administratif acceptait le point de vue du ministère et imposait une seconde saisine de la CADA dans le but de faire respecter l'Open Data par défaut, on verrait le même requérant contraint de saisir la Commission une seconde fois à propos de documents déjà jugés communicables. Il faut d'ailleurs supposer à ce requérant un sens de l'intérêt général particulièrement chevillé au corps pour engager une procédure destinée à procurer aux autres des informations dont on dispose déjà... Ce que fait une association ou un groupement, un particulier ne le fera pas, et l'obligation légale risque ainsi de demeurer lettre morte.

L'affaire montre qu'il ne faut jamais sous-estimer les questions de procédure car ce sont elles qui garantissent l'effectivité des droits et libertés. Si le tribunal administratif accueillait le moyen développé par le ministre de l'intérieur, il supprimerait de facto l'Open Data par défaut, repassant subrepticement, au mépris de la loi Lemaire, de la logique de l'offre à celle de la demande. La libre communication des données publiques sera-t-elle tuée par des services cherchent à se soustraire au devoir de transparence par un grignotage procédural efficace et discret ? Reste à savoir si la juridiction administrative sera ou non complice de ce mauvais coup.


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