Il est devenu à la mode de parler,
non plus des « droits de l’homme », mais des « droits
humains » , expression qui serait plus inclusive, moins sexuée, en tout
cas aux yeux du
Haut
Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes dans une Note de 2015.
Ainsi, la Ligue des droits de l’homme Belgique deviendra, le 10 décembre 2018,
la
Ligue
des droits humains ; le 20 juin 2018, un
amendement
proposé à l’Assemblée nationale proposait de modifier le Préambule
de la Constitution en évoquant les droits humains. Le texte désormais ne
proclamerait plus l’attachement du Peuple français « aux Droits de l'homme
et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par
la Déclaration de 1789 », mais aux droits humains. Le second temps serait
alors ni plus ni moins que le changement de dénomination de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen – une étape qui n’est cependant pas annoncée
par les auteurs de la proposition de révision constitutionnelle.
Pourtant au-delà des difficultés à
réviser la DDHC, le changement sémantique de « droits de l’homme » à
« droits humains » n’est pas neutre, loin s’en faut. Il se fonde sur
une conception qui n’est pas celle de l’auteur des présentes lignes. Plusieurs
arguments plaident, me semble-t-il avec poids, pour le maintien des droits de
l’homme contre les droits humains, en dépit de l’air ambiant.
Plaidoirie pour les droits de l’homme
- L’expression « droits de
l’homme » vise les droits de l’homme, et non les droits virils. Ils se
fondent sur le latin homo, et non le Vir. La différence est
essentielle : conçus comme les droits de l’homo, les droits de l’homme concernent par essence tous les êtres
humains quels qu’ils soient, nonobstant les différences de sexe, de couleur,
d’opinions politiques, de nationalité, de religion, etc. Les droits de l’homme
sont inclusifs de tout être humain, et ne tolèrent aucune distinction.
Prétendre le contraire serait méconnaître ce que sont les droits de l’homme, et
l’universalisme de la Déclaration de 1789 comme de celle de 1948.
- L’expression « droits
humains » laisse à supposer que certains droits ne sont pas humains. Or
tout droit est par essence humain : les droits humains sont les droits
reconnus par l’être humain. L’être humain étant le seul animal de la planète à
avoir jugé utile de se doter de systèmes juridiques, les droits sont
nécessairement tous humains, y inclus le droit des biens, le droit fiscal, le
droit des sociétés, ou le droit des marchés publics, lesquels, aussi
passionnants qu’ils puissent être, ne relèvent que de façon marginale des
droits qui nous retiennent ici.
- Les Anglais parlant de « Human
Rights » et les Espagnols de « derechos humanos », les Français
devraient parler de « droits humains ». L'argument tient à mes yeux à
peu près aussi bien que celui consistant à dire que « responsability »
et « responsabilité » ont la même signification en droit. Les
internationalistes auront immédiatement saisi la nuance. Pour le cercle
francophone, l’argument selon lequel les Canadiens parlent de droits humains
doit également être nuancé : ne l’oublions, les Canadiens ont décidé
d’appeler leur musée fédéral sur les droits de l’homme le
Musée canadien pour
les droits de la personne, alors même que les droits des personnes
morales commerciales, ou des personnes morales de droit public, ne sont guère
ciblées par ledit musée. Ces subtilités sémantiques entre le Français et le
franco-canadien sont bien plus importantes qu’un survol rapide et/ou sélectif ne
le laisserait penser.
- Surtout, remettre en cause la
notion même de « droits de l’homme » est particulièrement dangereux. Les
droits de l’homme ne sont pas assez inclusifs, est-il répété à l’envi. C’est
donc reconnaître, par une inéluctable voie de conséquence, que les droits de
l’homme ne seraient pas tous valables pour tous les êtres humains. L’expression
serait sexuée, nous dit-on, écartant la distinction entre Homo et Vir : l’homonymie
francophone entre Homme (Homo) et
homme (Vir) est sans doute fâcheuse.
Mais il est particulièrement grave d’admettre le postulat, véhiculé par certaines
mouvances sulfureuses, selon lequel les droits de l’homme ne seraient pas
universels. Car les droits de l’homme le sont, ils doivent l’être.
|
Tintin et les Picaros. Hergé. 1976 |
Maintenir les droits de l’homme contre les déviances sectaires
L’ensemble de ces raisons expliquent
en quoi il est si important de rejeter l’utilisation de la notion de « droits
humains ». Accepter l’idée aboutit à remettre en cause trop de fondamentaux,
c’est aller dans le sens des revendications sectaires : ainsi il y a
quelques jours à Londres, des « féministes » britanniques ont-elles
cru pouvoir
revendiquer
le droit d’exclure les femmes transgenres des baignades publiques,
après en avoir obtenu l’exclusion de toute mixité hommes / femmes. Ces
déviances, sinon ces dévoiements, sont liés à l’idée de ce que les femmes
n’auraient pas les mêmes droits que les êtres humains. C’est là une aberration
à laquelle on ne saurait raisonnablement souscrire. Les femmes, les enfants,
les personnes handicapées, tous ont les mêmes droits au regard de la
Déclaration universelle des droits de l’homme ou de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen.
Les êtres humains sont tous égaux.
Ils sont des Homines, non des Viri. C’est en ce sens que doit être lu
le Préambule de la Charte des Nations unies et son fameux « Nous, « Peuples des Nations Unies, résolus (…) à proclamer notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans
l’égalité des droits des hommes et des femmes ». Ce sont les homines auxquels renvoie la Déclaration
universelle des droits de l’homme lorsqu’elle évoque, dans son Préambule,
« tous les membres de la famille humaine ». L’auteur du présent
billet croit trop dans les droits de l’homme pour admettre qu'ils soient fragilisés,
amoindris, remis en cause, vidés de leur sens.
Les droits de l’homme doivent être
préservés, en tous lieux et en tous temps.
Catherine-Amélie Chassin, Maître de conférences, Université de Caen Normandie
Un très bon article qui a le mérite de rappeler les pièges et représentations que peut, même involontairement, contenir une langue.
RépondreSupprimerOn pourrait même y voir en filigrane un (r)appel à un plus grand enseignement du latin (Le français ayant oublié la distinction que vous avez rappelée entre Homo et Vir).
Cependant, l’emploi du titre « Maintenir les droits de l’homme contre les déviances sectaires » m’a surpris : D’une part il est difficile de qualifier juridiquement une secte (en témoignent les discussions et critiques autour de la loi About-Picard du 12 juillet 2001) et de l’autre qualifier ainsi les mouvements « féministes » cités (ou, chez nous les mouvements « en non mixité ») tranche avec la conception « classique » d’une secte comme mouvement religieux aliénant….Mais cela demeure une qualification et une perspective intéressantes…
Je m’attendais à voir des développements autour de la « Commission des Citoyens pour les Droits de l’Homme » rattachée à la controversée Église de Scientologie et vue comme un vecteur d’influence de cette Eglise.
Je me demandais pourquoi personne ne protestait. C'est chose faite. Mille fois merci.
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