Le
28 décembre 2017, le Conseil d'Etat a rendu une décision confirmant le principe d'anonymat du don de gamètes. Le requérant, qui souhaitait connaître l'identité du donneur à l'origine de sa naissance, est donc débouté.
En soi, l'arrêt n'a rien de surprenant, dès lors que le principe d'anonymat du don des produits du corps humain a valeur législative. Il figure d'abord dans l'article 16-8 du code civil : " Aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait
don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne
peut être divulguée". L'article 1211-5 du code de la santé publique revient sur la question : " Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur, ni le receveur
celle du donneur. Aucune information permettant d’identifier à la fois
celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui
qui l’a reçu ne peut être divulguée".
La seule exception à ce principe repose sur la nécessité thérapeutique, par exemple en cas de maladie génétique du donneur, nécessitant des mesures de prévention ou de traitement de l'enfant issu de ses gamètes. Dans ce cas, le corps médical prendra en charge cette mission, sans que l'identité du donneur soit divulguée.
Dans l'affaire soumise au Conseil d'Etat, M. B. A. a été conçu par insémination artificielle avec donneur. En 2011, il demande à l'hôpital Cochin de lui communiquer l'identité du donneur à l'origine de sa conception. Après un avis défavorable de la Commission d'accès aux documents administratifs, l'hôpital s'est abstenu de répondre à la demande de M. B. A. et ce silence valait rejet de la demande. Le tribunal administratif de Paris admet la légalité de ce refus en janvier 2014, et le Conseil d'Etat confirme donc ce jugement.
L'intérêt de la décision ne réside pas dans le rejet de la requête, mais dans le fait que le Conseil d'Etat persiste à écarter la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Le Conseil d'Etat
Certes sa jurisprudence était clairement opposée à toute levée de l'anonymat. Dans un
avis du 13 juin 2013, le Conseil a déjà affirmé que le respect de la vie privée, garanti par l'article 8 de la convention européenne, ne saurait être invoqué par le seul enfant issu du don de gamètes, désireux de connaître ses origines. Le donneur peut aussi s'en prévaloir, qui a fait un don gratuit et altruiste de produits de son corps, et qui ne désire pas nécessairement nouer ultérieurement des contacts avec l'enfant ainsi conçu. Sa vie privée et familiale risquerait d'en être bouleversée, d'autant que bon nombre de donneurs sont à l'origine de naissances multiples. Le couple receveur qui constitue la famille légale de l'enfant peut également demander le respect de sa vie privée et familiale. Dans son avis de 2013, le Conseil précise d'ailleurs qu'il lui appartient de décider s'il convient ou non de révéler à leur enfant les conditions de sa naissance. Dans un arrêt du
12 novembre 2015, ce même Conseil d'Etat, cette fois en formation contentieuse, a logiquement estimé, conformément à son avis de 2013, que la loi française s'efforce de protéger la vie privée de chacun des acteurs d'une insémination avec donneur (IAD) et ne porte pas une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
La CEDH
Au vu de ces précédents, la requête de M. B. A semble vouée à l'échec, mais il conservait sans doute l'espoir de faire prévaloir la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), beaucoup plus favorable au droit d'accès aux origines. Dans un
arrêt Mikulic c. Croatie de 2002, elle affirme déjà que les procédures ayant trait à la paternité tombent sous l'empire de l'article 8, qui protège le "
droit à l'identité et à l'épanouissement personnel". Dans le cas des enfants nés sous X., la CEDH considère cependant, dans l'
affaire Odièvre de 2003, que les Etats peuvent prévoir un accouchement anonyme, à la condition que cet anonymat puisse ensuite être levé à la demande de l'enfant, avec le consentement de la mère. Tel est le cas du droit français, mais pas du droit italien qui ne prévoit aucune procédure permettant la levée ultérieure de l'anonymat. Il est donc sanctionné pour atteinte au droit à la vie privée dans l'arrêt
Godelli c. Italie du 25 septembre 2012.
M. A. B. espérait que le Conseil d'Etat reprendrait cette jurisprudence à son compte, pour l'appliquer, non plus à l'accouchement sous X mais à la procréation avec donneur. Il appuyait son analyse sur l'
arrêt du 31 mai 2016, Mme G.G., dans lequel le Conseil accepte d'écarter, à titre exceptionnel, l'application de la loi française interdisant l'insémination post-mortem. La requérante, de nationalité espagnole, souhaite une insémination avec les gamètes de son époux décédé, lui-même de nationalité italienne. Au moment où celui-ci, gravement malade, avait décidé de conserver ses gamètes dans le but de réaliser un projet parental que sa maladie était susceptible d'empêcher, le couple résidait en France. Le dépôt avait donc eu lieu dans un Centre d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humain (CECOS) français. Si ce dépôt avait eu lieu Espagne, la veuve aurait bénéficié sans difficulté d'une insémination post mortem, licite dans ce pays. En France en revanche, elle s'est vue opposer un refus, car notre système juridique l'interdit. Cette situation tout à fait particulière a conduit le Conseil d'Etat à effectuer un contrôle reposant précisément les circonstances concrètes de l'affaire. A titre exceptionnel, il a accepté d'écarter la loi française car elle portait une atteinte excessive au droit à la vie privée de la requérante, d'ailleurs désormais réinstallée dans son pays d'origine.
La règle de l'anonymat
L'affaire était un cas d'espèce et le Conseil d'Etat avait largement insisté sur ce point. A ses yeux, le droit français interdisant l'insémination post mortem était parfaitement conforme à la Convention européenne, mais ses conséquences portaient une atteinte disproportionnée à la vie privée de la requérante. Dans le cas de M. A. B., le juge administratif refuse de se livrer au même type de contrôle. Rien ne justifie en effet que le requérant bénéficie d'un traitement particulier. Il n'est pas originaire d'un pays qui reconnaît le droit d'accéder à ses origines, et ne peut faire état d'aucune situation spécifique justifiant qu'il soit dérogé à l'ordre public français.
Une nouvelle fois, le Conseil d'Etat affirme donc que le droit d'accès aux origines n'existe pas. Comme en matière d'accouchement sous X, l'anonymat demeure la règle, et le juge affirme ainsi que la personne née d'une insémination avec donneur ne saurait faire l'objet d'un traitement privilégié. Elle est certes titulaire du droit au respect de sa vie privée, mais celle-ci s'arrête à l'endroit précis où commence celle des autres. La vie privée du donneur, celle du couple receveur doivent aussi être protégées. En décidant de ne pas faire prévaloir le droit d'accès aux origines, le Conseil d'Etat, confronté à un conflit de normes, fait un choix éthique et se prononce en même temps sur la question de la finalité de la norme juridique. Pour lui, il ne fait pas de doute qu'elle n'a pas pour mission de résoudre les traumatismes de l'enfance mais de définir l'ordre public.
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