Lors d'un contrôle d'identité en gare de Château-Thierry, M. X..., de nationalité tunisienne, en situation irrégulière sur le territoire national, a été placé en retenue pour vérification de son droit au séjour puis en rétention administrative, procédure précédant, en principe, une mesure d'éloignement. Si la décision de rétention est d'abord prise par l'autorité administrative, son renouvellement est décidé par une ordonnance du Premier président de la Cour d'appel. C'est cette ordonnance qui est contestée par le requérant. A l'appui de son recours, il invoque la nullité du contrôle d'identité dont il a préalablement fait l'objet.
Le contrôle d'identité
Le contrôle d'identité est défini par l'article 78-2 du code de procédure pénale comme une "invitation à justifier par tout moyen de son identité". La formule est élégante, mais l'article 78-1 du même code précise que toute personne se trouvant sur le territoire national doit "accepter de se prêter" au contrôle. L'invitation est donc une injonction à laquelle chacun doit se plier, y compris M. X.
Il a toujours existé deux types de contrôles d'identité. Certains relèvent de la police judiciaire et sont utilisés pour rechercher et arrêter des délinquants. D'autres sont des mesures de police administrative et ont pour objet "prévenir une atteinte à l'ordre public, notamment la sécurité des personnes et des biens" (art. 78-2 cpp). L'état d'urgence a étendu ces contrôles de police administrative. D'une part, il transfère au préfet la compétence de les décider. D'autre part, la loi du 21 juillet 2016 confère aux agents le droit de fouiller les véhicules et les bagages, compétence qui dépasse largement la simple vérification de l'identité de la personne.
Sur le plan de leur régime juridique, les deux types de contrôles d'identité sont cependant assez proches, d'autant qu'ils sont effectués par les mêmes personnes, officiers et agents de police judiciaire. Une différence de taille réside dans l'absence d'intervention du juge judiciaire, toute la procédure étant décidée et mise en oeuvre par l'administration préfectorale.
Un rapprochement des régimes juridiques
Bien avant l'état d'urgence, en 1993, le Conseil constitutionnel avait déjà formulé une réserve d'interprétation imposant aux autorités décidant un contrôle administratif de justifier "des circonstances particulières établissant l'atteinte à l'ordre public qui a motivé le contrôle". En estimant que l'état d'urgence ne saurait, à lui seul, fonder un contrôle, la Cour de cassation applique cette jurisprudence aux contrôles effectués sur son fondement. D'une certaine manière, elle rapproche ainsi le régime juridique du contrôle "état d'urgence" de celui du droit commun.
La Cour affirme ainsi sa compétence sur le contrôle juridictionnel de cette procédure, alors même que les différentes lois de prorogation de l'état d'urgence n'ont eu de cesse d'exclure le juge judiciaire du contentieux de l'état d'urgence. Sur ce plan, la décision s'inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation dans ce domaine. Dans un arrêt du 13 décembre 2016 Hakim X., la Chambre criminelle rappelait déjà que le juge pénal est compétent pour apprécier la légalité de l'arrêté préfectoral décidant une perquisition sur le fondement de l'état d'urgence. Cette jurisprudence a ensuite été étendue au contrôle de l'assignation à résidence, par un arrêt du 3 mai 2017. Il est vrai que le Conseil constitutionnel lui avait montré la voie avec sa décision du 16 mars 2017. Il avait alors sanctionné une disposition de la loi prorogeant l'état d'urgence, confiant au Conseil d'Etat la double fonction d'autoriser le renouvellement d'une assignation et de contrôler cette même décision. C'était un peu too much, pour le Conseil constitutionnel qui voyait dans ce monopole du juge administratif une atteinte au principe d'impartialité.
L'article 66 de la Constitution
Certes, mais les deux décisions que l'on vient de citer ont été rendues par la Chambre criminelle de la Cour de cassation. C'était parfaitement logique dans la mesure où, dans chacune de ces affaires, le sens d'un jugement pénal dépendait de l'appréciation de la légalité d'un acte administratif. L'arrêt du 13 septembre 2017 est rendu, quant à lui, par la 1ère Chambre civile. Dans ce cas en effet, il n'y a aucun jugement pénal car l'étranger est l'objet d'une décision administrative de rétention, même si sa prorogation incombe au juge judiciaire. C'est la raison pour laquelle la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation est compétente en matière de prorogation du maintien des étrangers en rétention administrative ou en zone d'attente.
Sur ce plan, la décision du 13 septembre 2017 tombe à pic. Elle intervient au moment précis où le Parlement examine le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Il ne modifie pas les contrôles d'identité en tant que tels mais élargit leur mise en oeuvre aux frontières et aux points d'entrée sur le territoire, tels que les ports, les gares ou les aéroports. De manière discrète, mais ferme, la Cour de cassation avertit donc qu'elle entend exercer son contrôle. Comme les arrêts antérieurs du 13 décembre 2016 et du 3 mai 2017, la décision M. X. montre qu'elle reste résolument attachée à son interprétation de l'article 66 de la Constitution. Celui-ci affirme que "nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ". Peu importe donc qu'une mesure soit prise par un préfet, le juge judiciaire demeure gardien de la liberté individuelle, et c'est bien ce qu'affirme la 1ère Chambre civile.
Sur les contrôles d'identité : Chapitre 4, section 2 § 1 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.
Pour anecdotique qu'elle soit, cette décision de la chambre civile de la Cour de cassation constitue le signe (au sens où l'entend la sémiologie) d'un mal français (Alain Peyrefitte, 1976) plus global qui touche tous les pouvoirs et autres contre-pouvoirs dans notre pays en cette période où la sécurité est la priorité jupitérienne (Cf. ses discours aux ambassadeurs et à la Sorbonne).
RépondreSupprimer- Pouvoir exécutif qui transforme en un tournemain un état exceptionnel (état d'urgence) en état ordinaire (loi antiterroriste). Nous en mesurerons les effets concrets dans quelques années lorsque la CEDH en sera saisie.
- Pouvoir législatif qui n'est qu'un godillot au service de la majorité en place (gauche ou droite) et dont les membres ont une connaissance limitée du droit alors qu'ils sont censés édicter la norme. Imagine-t-on de confier le soin d'enseigner le droit à des professeurs incultes en droit ?
- Juridiction administrative avec à sa tête le Conseil d'état qualifié de "nuisance invasive" par un éminent universitaire qui tel Janus bifrons possède une double casquette : conseil et juge de l'état à la fois.
- Autorité judiciaire dont le volet poursuite (parquet) n'est ni indépendant, ni impartial comme l'a jugé la CEDH à deux reprises en 2010. Quant à l'instruction et au siège, son indépendance théorique n'est pas pour autant gage d'indépendance pratique.
- Conseil constitutionnel dont l'indépendance et l'impartialité posent problème sans parler de la place importante qui occupent les conseillers d'état. Peut-il jouer, en toutes circonstances, son rôle de contre-pouvoirs effectif ? Quand franchit-il la ligne rouge séparant le droit de l'opportunité ? Bien que présentant une avancée notable, la QPC joue-t-elle pleinement son rôle de garantie ultime du citoyen ?
Le projet de réforme constitutionnelle, sorte d'arlésienne de la vie politique française, sera-t-il en mesure de remédier à tous ces défauts de conception et de fonctionnement ? En attendant, notre pays évolue entre "mal français" (précité) et "Etrange défaite" (Marc Bloch).
"La démocratie est une technique qui nous permet de ne pas être mieux gouverné que nous le méritons" (George Bernard Shaw).