La liberté de réunion : un régime répressif
Réunion publique, réunion privée
Aujourd'hui, le critère essentiel est le caractère ouvert ou fermé de la réunion. Ouvert, c'est une réunion publique. Fermé, c'est une réunion privée. Dans une ordonnance de référé du 28 mars 2011, le Conseil d'Etat a admis l'interdiction d'une réunion organisée à l'Ecole normale supérieure par des associations favorables au boycott de l'Etat d'Israël. Loin d'être réservée à la seule communauté des élèves, elle était ouverte à tous. Compte tenu du caractère largement politisé de cette manifestation, le Conseil d'Etat a considéré qu'elle portait atteinte au principe de neutralité de l'enseignement supérieur.
Au vu de cette jurisprudence, les spectacles de Dieudonné sont évidemment des réunions privées. Ils ne sont pas ouverts à tous, mais seulement aux porteurs de billets préalablement achetés. La loi de 1881 ne s'applique donc pas à une telle manifestation.
Jean Jacques Grandville. Résurrection de la censure. 1832 |
Police des spectacles et liberté d'expression
Peut on alors invoquer la police des spectacles et porter atteinte à la liberté d'expression théâtrale ? Pas davantage, car cette liberté est aussi organisée par un régime répressif.
Elle a pénétré dans notre droit par le décret de l'Assemblée nationale du 13 janvier 1791 qui énonce que "tout citoyen pourra élever un théâtre public, et y faire représenter des pièces de tous les genres, en faisans préalablement à l'établissement de son théâtre, sa déclaration à la municipalité des lieux". Dès cette époque, le droit distingue clairement le régime de déclaration préalable qui s'applique à l'organisation des spectacles du régime répressif qui s'applique au contenu des représentations. Ce régime libéral disparaît rapidement, un décret du 2 août 1793 imposant aux théâtres de donner des représentations "à la gloire de la Révolution". Le régime de censure qui s'installe alors ne disparaît de facto qu'en 1904, lorsque les crédits nécessaires à son budget son supprimés de la loi de finances.
C'est seulement avec l'ordonnance du 13 octobre 1945, modifiée par la loi du 18 mars 1999, que le régime répressif est définitivement acquis. Les entrepreneurs de spectacles sont soumis au régime de déclaration préalable, car ils doivent obtenir une licence pour exercer leur activité. En revanche, le contenu des spectacles est parfaitement libre, et le principe même d'une censure préalable ne saurait exister.
Dans le cas Dieudonné, la police des spectacles ne permet donc pas, heureusement, d'établir une censure préalable. Cette interdiction est rappelée par la Cour européenne des droits de l'homme qui, dans sa décision Ulusoy c. Turquie du 3 mai 2007, rappelle que la liberté d'expression théâtrale est protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
Il ne reste donc que l'exercice de la police générale, celle qui s'applique tout simplement en cas de menace pour l'ordre public.
Police générale
Le seul problème est que l'exercice du pouvoir de police générale est encadré par une jurisprudence très rigoureuse. C'est même à propos de la liberté de réunion que la célèbre jurisprudence Benjamin de 1933 a posé à son propos l'exigence d'un contrôle maximum du juge. Cela signifie que ce dernier contrôle la proportionnalité de la mesure prise par rapport aux faits qui l'ont motivée. Il considère que les autorités publiques ne peuvent interdire une représentation qu'après avoir mis en oeuvre tous les moyens à leur disposition pour garantir la liberté d'expression. Et le juge administratif contrôle l'effectivité de ces moyens, s'assure par exemple que le préfet ou le maire a fait appel aux forces de police pour protéger la liberté d'expression théâtrale.
Reste évidemment l'hypothèse où la menace pour l'ordre public serait si importante qu'elle pourrait justifier l'interdiction. A une époque où le préfet peut réquisitionner toutes les forces de police dont il a besoin pour garantir l'ordre, cela paraît bien peu probable. Souvenons nous qu'en novembre 2011, les autorités ont protégé les théâtres diffusant la pièce de Romeo Castelluci, "Sur le concept du visage du fils de Dieu". Des catholiques intégristes manifestaient en effet, et parfois violemment, contre une pièce qu'ils considéraient comme blasphématoire. A l'époque, tout le monde considérait que la liberté d'expression théâtrale ne devait pas céder devant la pression des manifestants. Et on faisait observer que nul n'est tenu d'aller voir une pièce de théâtre, et pas davantage d'aller écouter Dieudonné. Il suffit tout simplement de ne pas acheter de billet.
La liberté d'expression repose ainsi sur le libre arbitre, l'intelligence du spectateur qu'il n'est pas nécessaire de protéger contre lui-même. A lui de se rendre compte de l'intérêt, ou de la stupidité, du spectacle qui lui est proposé. Rien n'interdit aux personnes injuriées ou diffamées par Dieudonné de saisir le juge pour obtenir sanction pénale et réparation. Rien n'interdit à l'Etat de poursuivre l'intéressé pour les propos racistes ou antisémites qu'il tient. L'arsenal juridique en ce domaine est largement suffisant.
En tout cas, la tentation de la censure est certainement la plus mauvaise des solutions, à la fois parce qu'elle offre à l'intéressé l'opportunité de se poser en victime et parce qu'elle lui accorde une importance qu'il ne mérite sans doute pas. N'est ce pas précisément le danger formulé par Mirabeau, au moment du vote du décret de 1791 : "Il serait fort aisé d'enchaîner toute espèce de liberté en exagérant toute espèce de danger, car il n'est pas d'acte d'où la licence ne puisse résulter. La force publique est destinée à la réprimer et non à la prévenir aux dépens de la liberté".
Excellent article de fond.
RépondreSupprimerUne précision cependant. En 2011, les catholiques manifestaient pour s'opposer à un blasphème, surtout parce qu'il était financé par de l'argent public...
Merci pour ce billet très éclairant sur nos « libertés ».
RépondreSupprimerTrès belle démonstration de la différence entre un lieu public et une salle de spectacle.
RépondreSupprimerEt au fond le vrai problème est que seule la vérité blesse.
Merci pour vos éclaircissements, bel article !
RépondreSupprimerA propos de "police des spectacles" il faut se souvenir que la dernière fois que - en France - le pouvoir a réglementé l'action et la liberté des artistes c'était en 1941 sous le régime de Vichy.
RépondreSupprimerInterdire Dieudonné de jouer quoi de mieux pour lui faire une pub qu'il ne mérite pas surtout que ces spectacle même s'il profère des idées haineuses ne troublent en rien l'ordre public. Dans ces cas-là autant interdire les meetings du Fn qui sont autrement beaucoup plus dangereux! Je sais que des gens vont voir Dieudonné tout en sachant qu'il est antisémite. Je les distingue de ses fans abrutis fascisants qui m'insultent assez violemment aussi. Je pense que l'on peut lire Barres et Maurras sans adhérer à leur antisémitisme et leurs idées d'extrême droite. Pareil pour Dieudonné mais là aussi vous constaterez que pour faire chuter le succès de Dieudonné, ça n'est plus un problème politique mais artistique. Je n'ai rien contre le fait que des humoristes aient des convictions politiques seulement voilà je pense que des gens qui n'adhèrent pas aux idées dégueulasses de Dieudonné n'adhèrent pas forcément à l'humour militante de Didier Porte qui pour moi ne vaut pas celui de Pierre Desproges. Je pense qu'art et politique peuvent faire mauvais ménage et si des artistes de talent dont certains que j'apprécie pouvaient mettent un peu mieux leurs convictions politiques de côté, ça contribuerait aussi à faire chuter le succès de Dieudonné.
RépondreSupprimerBonjour. D'abord merci pour votre article mais j'aurai juste une petite question sur la distinction entre réunion privée et publique. Je ne comprends pas comment on pourrait qualifier les spectacles de Dieudonné comme réunions privés en se basant sur ordonnance de référé du 28 mars 2011 puisque celle ci prononce l'interdiction de la réunion uniquement sur le fondement du principe de neutralité de l'enseignement compte tenu du caractère politique. Pour interdire les spectacles il faudrait donc que ce principe soit opposable à l'humoriste, ce qui n'est évidemment pas le cas. Par ailleurs dire que la réunion est fermée puisque uniquement réservée aux porteurs de billets (qui eux peuvent être librement achetés) reviendrai à considérer tout spectacle comme réunion privée.
RépondreSupprimerune réunion est publique dès lors que chacun peut y pénétrer même s'il faut s'acquitter d'un droit d'entrée comme au cinéma
RépondreSupprimervalls et tout le gouvernement , parlent de dieudonné pour ne pas parler des entreprises qui ferment et du chomage de masse qui arrive , c'est plus facile pour eux de s'attaquer a dieudonné pour nous faire oublier leur incompétence mais ca ne va pas prendre longtemps l'escroquerie politique , quand les gens auront faim ceux qui aiment les revollutions dans les pays arabes risquent de s'en prendre une chez eux .
RépondreSupprimerbon courage un ami du nord africain . ahmed