L'oubli imposé par la loi
La loi peut certes imposer le silence à la presse en matière de condamnations pénales. C'est précisément l'objet des lois d'amnistie, qui interviennent généralement dans le but d'imposer une réconciliation après un conflit, et l'on songe aux amnisties intervenues après la Commune ou la guerre d'Algérie. Dans ce cas, le rappel par la presse d'une condamnation amnistiée est toujours fautif (par exemple : Crim. 15 mars 1988). Les effets sont identiques en matière de réhabilitation, procédure qui permet à un condamné qui a purgé sa peine de bénéficier de l'effacement de sa condamnation, et donc du droit à l'oubli, s'il n'a pas fait l'objet d'une nouvelle condamnation pendant un certain délai (art. 133-12 c. pén.). Inutile de dire que, compte tenu de la gravité de ses crimes, Florence Rey n'a été ni amnistiée ni réhabilité.
L'oubli imposé par la jurisprudence
Se voit elle pour autant refuser tout droit à l'oubli ? Certainement pas car l'essentiel du droit à l'oubli a une origine jurisprudentielle. Plus précisément, il apparaît avec la très célèbre affaire Landru, en 1965, sous la plume très critique du Professeur Gérard Lyon-Caen. A l'époque, l'ancienne maîtresse du célèbre criminel demandait, devant le juge civil, réparation du préjudice que lui causait la sortie d'un film de Claude Chabrol, relatant une période de sa vie qu'elle aurait préféré enfouir dans le passé. Le juge a alors évoqué une "prescription du silence", pour finalement rejeter la demande au motif que la requérante avait elle même publié ses mémoires, et que le film reprenait des faits relatés dans des chroniques judiciaires parfaitement accessibles (TGI Seine, 14 octobre 1965. Mme S. c. Soc. Rome Paris Film, confirmé en appel : CA Paris 15 mars 1967).
Le terme de "prescription du silence " était l'objet même de la critique de Gérard Lyon-Caen, car elle laissait supposer une certaine automaticité. Or, le juge apprécie ce type d'affaire au cas par cas, en fonction des intérêts en cause, et de la réelle volonté de discrétion affirmée par l'intéressé. C'est sans pour cette raison que le TGI de Paris, dans une décision Madame M. c. Filipacchi et Cogedipresse du 20 avril 1983, va finalement consacrer la notion nouvelle : "Attendu que toute personne qui a été mêlée à des évènements publics peut, le temps passant, revendiquer le droit à l'oubli (...) ; Attendu que ce que droit à l'oubli qui s'impose à tous, y compris aux journalistes, doit également profiter à tous, y compris aux condamnés qui ont payé leur dette à la société et tentent de s'y réinsérer".
Le droit à l'oubli a donc intégré le droit positif il y a déjà plusieurs décennies, par la voie de la responsabilité civile. Rien n'interdit cependant à l'intéressé d'invoquer devant le juge pénal son droit à l'oubli, dès lors qu'il est constitutif d'une violation de la vie privée, voire d'une diffamation. Tel serait le cas, par exemple, si la presse, rappelant le passé de Florence Rey, révélait des informations permettant d'identifier le lieu où elle réside. C'est le sens de la décision du CSA du 10 janvier 2010, qui rappelle à France 2 que l'émission "Faites entrer l'accusé" doit s'abstenir de donner à l'antenne des informations relatives à la vie présente de la personne condamnée. Lorsque celle-ci s'exprime dans l'émission, elle doit également pouvoir obtenir le floutage de son image et la transformation de sa voix.
René Magritte. L'assassin menacé. 1927 |
Etendue du droit à l'oubli
Quelles seraient les chances de succès de Florence Rey, si elle saisissait le juge pour atteinte au droit à l'oubli ? Pour le moment, il faut bien le reconnaître, elles sont assez limitées, car la jurisprudence considère que la violation du droit à l'oubli n'est constituée que si la publication ne peut être justifiée par "aucune nécessité évidente de l'information immédiate ou de la culture historique des lecteurs" (TGI Paris 20 avril 1983, Mme M. c. Kern). Dans le cas de Florence Rey, il est clair que "la nécessité évidente de l'information" existait dans les jours qui ont suivi l'arrestation d'Abdelhakim Dekhar. La nécessité est cependant de moins en moins évidente au fur et à mesure que les jours passent. Quant à la "culture historique", elle n'entre pas en ligne de compte, dès lors que le nom de Florence Rey est prononcé uniquement en liaison avec un fait divers tristement actuel.
Le juge s'efforce donc de trouver un équilibre entre le droit légitime à l'information et le droit à l'oubli de celui ou celle dont le nom est de nouveau stigmatisé dans la presse. Il appartient donc aux journaux de se montrer responsables, et de ne pas chercher à faire de Florence Rey un objet de curiosité médiatique. Dans le cas contraire, celle-ci serait bientôt fondée à invoquer son droit à l'oubli et à obtenir réparation. Considéré sous cet angle, le droit à l'oubli est aussi un moyen de ne pas transformer la coupable en victime.
Bonjour,
RépondreSupprimerVotre papier est justifié, et à la fois il ne l'est pas. Justifié parce que tout ce qu'il dit est juste et que la semaine dernière ça aurait fait du bien de le lire tant l'avalanche de mentions de Florence Rey sur les réseaux sociaux (qui réécrivaient l'histoire en affirmant des choses erronées ou approximatives) était exaspérante. Et en même temps il ne l'est pas/plus, parce que comme pour tout autre sujet, celui-ci n'est déjà plus d'actualité. Les news sont devenues si nombreuses qu'elles se succèdent avec une rapidité folle qui fait qu'elles sont ensuite rapidement reléguées dans l'oubli, ce qui est déjà le cas, au bout de quelques jours, pour ce qui touche à Florence Rey. je parle peut-être moi aussi trop vite, le nom de Florence Rey resurgira probablement encore plusieurs fois en lien avec A. Dekhar, au moment de son procès etc, mais aujourd'hui mercredi 27, date de votre mise en ligne de votre papier, tout le monde est déjà passé à autre chose. Ce qui est à la fois tant mieux pour Florence Rey, et très triste pour nous tous sur lesquels l'actu glisse désormais sans plus laisser de traces...
PS : dans ma hâte, qui illustre bien ce que je disais, je n'ai pas pris le temps de lire sur votre page Twitter que vous êtes professeur de droit, ce qui justifiait d'avoir envie d'écrire ce papier peu importe quand. Donc toutes mes excuses.
RépondreSupprimerJe signale, pour les condamnés non réhabilitables - c'est la personne qu'on réhabilite, pas la condamnation - l 'existence de l'art. 775-2 du C pr.pén. qui permet un effacement de plein droit du bulletin nº2 du casier de leur condamnation après 20 ans de liberté sans récidive. Cet effacement a des effets concrets très proches de la réhabilitation.
RépondreSupprimerbonjour, l'association ban public se bat depuis des année pour le droit à l'oubli. elle continue ses actions tant devant le TA de Melun que la 17ème chambre et la CA de Paris. Il aurait été bon de citer ce travail également
RépondreSupprimerhttp://prison.eu.org/spip.php?article13961