« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
lundi 25 novembre 2013
Prescription en matière de nationalité : un régime incohérent
La décision Charly K., rendue par le Conseil constitutionnel sur QPC le 22 novembre 2013 suscite l'irritation de ceux qui font profession de défendre les droits des étrangers. Le Conseil refuse en effet de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 29-3 du code civil (c.civ.) qui énoncent que "toute personne a le droit d'agir pour faire décider qu'elle a ou qu'elle n'a point la qualité de Français. Le procureur de la République a le même droit à l'égard de toute personne. Il est défendeur nécessaire à toute action déclaratoire de nationalité. Il doit être mis en cause toutes les fois qu'une question de nationalité est posée à titre incident devant un tribunal habile à en connaître". Pour la requérante, la difficulté de l'entreprise était évidente, car il ne s'agissait pas de contester le les dispositions de l'article 29-3 du code civil, mais bien davantage celles qu'il ne contient pas. Et précisément, il ne contient aucune règle gouvernant la prescription de l'action en négation de nationalité, ce qui la rend imprescriptible.
Les faits à l'origine de la QPC permettent de mieux comprendre les enjeux du débat juridique. La réquérante, de nationalité congolaise, a eu une fille née en 2001 et reconnue par un citoyen français. En vertu de l'article 18 du Code civil, elle est donc de nationalité française, puisqu'elle est née d'un père français. Un certificat de nationalité lui a été délivré, tout à fait normalement, en 2003. Hélas, en juillet 2007, cette reconnaissance de paternité a été annulée comme frauduleuse par le TGI de Lille. En mars 2011, le procureur de la République a fait assigner Mme Charly K. devant le TGI de Paris, en tant que représentante légale de sa fille, pour une action en négation de la nationalité française de cette dernière.
Ce qui est choquant dans l'affaire n'est pas l'action en négation de nationalité, dès lors que son acquisition reposait sur une fraude établie. C'est le délai à l'issue duquel elle intervient. Au moment où le procureur l'introduit, quatre années se sont écoulées après que le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité ait été sanctionné par le juge. L'enfant a déjà dix ans. Elle vit en France depuis sa naissance et se considère comme française. Imaginons un instant que le procureur ait attendu encore dix ans avant de contester la nationalité de cette jeune fille, à un moment où elle aurait peut être choisi de devenir inspecteur des impôts ou militaire de carrière...
Il ne sert pourtant à rien de se lamenter sur la décision du Conseil constitutionnel. Ce dernier met tout simplement en oeuvre le droit positif, et démontre ainsi, en quelque sorte par l'absurde, la nécessité d'une réforme législative dans ce domaine.
Principe d'égalité : comparer ce qui est comparable
La requérante invoque trois moyens d'inconstitutionnalité à l'appui de sa QPC. Le premier, et sans doute le plus sérieux, est la violation du principe d'égalité devant la loi. Il est vrai que l'article 26-4 c. civ. oblige le ministère public à agir dans un délai de deux ans pour contester l'acquisition de la nationalité par le mariage, notamment en cas de mariage blanc. Autrement dit, la prescription est acquise deux années après que la fraude ait été constatée. Un principe comparable existe dans l'hypothèse de la déchéance de la nationalité prévue par l'article 25 c.civ., lorsque l'intéressé a commis une infraction particulièrement grave. Dans ce cas, la déchéance de la nationalité doit être prononcée dans un délai de dix ans après la perpétration des faits qui la justifient. Et notre requérante de faire observer qu'au regard de la prescription, sa fille est moins bien traitée qu'un terroriste.
Certes, mais le principe d'égalité devant la loi trouve sa limite dans la différence des situations juridiques. Dans une jurisprudence constante, le Conseil affirme que le principe d'égalité "ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes". Or, en l'espèce, l'action en négation de nationalité a seulement pour objet de faire reconnaître qu'une personne n'est pas titulaire de la nationalité. Elle est donc de nature différente de l'action en contestation de déclaration de nationalité qui met en cause l'acte ayant conféré la nationalité, par exemple un mariage de complaisance. Elle est tout aussi différente de la déchéance de nationalité qui vise à priver un individu de la nationalité qu'il avait acquise dans des conditions régulières.
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel se refuse donc à comparer ce qui n'est pas comparable, conformément au principe général d'égalité devant la loi.
Maarten Baas. Grandfather's Clock.
Droit à une procédure juste et équitable
Le second moyen réside dans la violation du droit à une procédure juste équitable fondée sur l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, plus exactement du principe de sécurité juridique qu'il suppose. L'argument repose sur la contrainte imposée aux intéressés, qui doivent conserver indéfiniment les éléments de preuve de leur nationalié.
Il est vrai que l'article 30 du code civil prévoit que la charge de la preuve, en matière de nationalité, incombe à "celui dont la nationalité est en cause". Le Conseil constitutionnel, dans sa décision QPC Omar S. du 30 mars 2012, formule à ce propos une réserve d'interprétation, notant que les dispositions permettant de contester une nationalité acquise par le mariage ont pour effet "d'imposer à une personne (...) d'être en mesure de prouver, sa vie durant, qu'à la date de la déclaration aux fins d'acquisition de la nationalité, la communauté de vie entre les époux (...) n'avait pas cessé". Elles offrent ainsi au ministère public un "avantage sans limite de temps", portant "une atteinte excessive aux droits de la défense".
L'argument serait puissant, si le droit positif n'offrait pas au requérant le moyen imparable de renverser la charge de la preuve. Le Conseil constitutionnel se borne en effet à rappeler que les articles 31 et suivants c.civ. permettent à toute personne de demander la délivrance d'un certificat de nationalité française. Celui-ci a pour effet de faire peser sur le procureur de la République la charge de la preuve dans l'action en négation de nationalité. Ce n'est donc pas au défendeur de conserver les preuves de sa nationalité durant une période indéfinie, mais à l'action publique d'apporter les preuves contraires. Par voie de conséquence, le juge constitutionnel estime qu'il n'y a pas de violation du droit à une procédure juste et équitable, d'autant qu'il fait observer qu'un certificat de nationalité a été établi en 2003 concernant la fille de la requérante.
Droit au respect de la vie privée
Enfin, le dernier moyen réside dans une violation du droit au respect de la vie privée. Il repose sur l'idée que la nationalité d'une personne est une composante de son identité. Certes, dans un arrêt Génovese c. Malte du 11 octobre 2011, la Cour européenne des droits de l'homme considère que la nationalité est un élément de "l'identité sociale" d'une personne et que le refus d'octroi de la nationalité peut ainsi porter atteinte à sa vie privée. Elle sanctionne ainsi le droit maltais qui permet le refus de la nationalité maltaise à un enfant né hors mariage d'une ressortissante britannique et d'un Maltais.
Le seul problème est que cette jurisprudence est précisément... une jurisprudence de la Cour européenne. Le Conseil constitutionnel, nul ne l'ignore, n'est pas lié par la Convention européenne des droits de l'homme, et il n'a, quant à lui, jamais considéré que la nationalité faisait partie de l'identité d'une personne. A ses yeux, la vie privée est l'espace de l'intimité de la personne et de sa vie familiale. Le lien à une communauté nationale n'appartient pas à cette sphère intime et il ignore complètement le concept, d'ailleurs très flou, d'identité sociale.
Vers une évolution législative ?
L'examen du droit positif montre que la décision du Conseil constitutionnel n'a rien de surprenant et qu'elle était même parfaitement prévisible pour ceux qui connaissent sa jurisprudence. La rigueur du Conseil ne fait que refléter celle de la loi, et c'est évidemment la législation qui doit être précisée ou modifiée. En effet, la loi du 17 juin 2008 sur la prescription en matière civile est muette sur le cas précis de l'action en négation de nationalité. Ne serait-il pas opportun d'envisager sa modification pour préciser si une telle action initiée par le procureur de la République doit être soumise à la prescription de droit commun de cinq ans en matière civile, ou s'il convient d'adopter une autre durée de prescription ?
La question doit être posée, notamment à la lumière du principe de l'intérêt supérieur de l'enfant qui doit être pris en compte pour toutes les décisions le concernant. Lorsque ce dernier est né en France et a vécu en France, lorsque le ministère public a omis d'engager une action en négation de nationalité dans le délai prévu par la loi, il serait sans doute possible d'envisager une sorte de prescription acquisitive. Une telle solution constituerait une sanction pour le ministère public qui n'a pas engagé l'action en négation dans le délai de la prescription, et sans doute une solution équitable pour des enfants qui ne sont pas responsables des fraudes de leurs parents.
Un doute m'étreint: pourquoi cette enfant, si elle avait plus de 10 ans au moment de l'action en négation, et si elle avait joui de la qualité de français depuis sa naissance, ne peut-elle pas pu bénéficier de la reconnaissance de sa possession d'Etat de française (art. 21-16 c. civ.) ?
Un doute m'étreint: pourquoi cette enfant, si elle avait plus de 10 ans au moment de l'action en négation, et si elle avait joui de la qualité de français depuis sa naissance, ne peut-elle pas pu bénéficier de la reconnaissance de sa possession d'Etat de française (art. 21-16 c. civ.) ?
RépondreSupprimer