Le débat actuel concernant le stationnement des gens du voyage met aux prises deux tendances radicalement opposées, tendances qui ne sauraient se résumer à la constatation d'un clivage politique. Les divergences portent sur les moyens de faire en sorte que les gens du voyage stationnent sur les aires qui leur sont spécifiquement attribuées.
L'expulsion systématique
D'un côté, on privilégie l'expulsion systématique de tous ceux qui s'installeraient sur la propriété d'autrui, pratique d'ailleurs considérée comme un délit passible de six mois d'emprisonnement et 3700 € d'amende depuis la
loi du 18 mars 2003 (art.
322-4-1 c. pen.). De la sanction pénale à l'utilisation systématique des pouvoirs de police du maire, tous les moyens juridiques sont alors mis en oeuvre pour contraindre les gens du voyage à utilisation les installations qui leur sont destinées.
Jean-Pierre Giran, député UMP du Var, et plusieurs de ses collègue, ont déposé le 16 juillet sur le bureau de l'Assemblée nationale une
proposition de loi visant à "
faire respecter le droit de propriété privé ou public et à renforcer la procédure d'expulsion des gens du voyage". Le texte vise à faciliter l'expulsion des gens du voyage occupant la propriété d'autrui de manière illicite. Le préfet pourrait procéder à une mise en demeure d'avoir à quitter les lieux dès que ce caractère illicite du stationnement est constaté, sans qu'il soit nécessaire d'apprécier, comme dans la
loi du 5 juillet 2000 (dans sa rédaction issue de la loi du 5 mars 2007), si ce dernier "constitue une atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publique". Ce même préfet serait ensuite tenu de procéder à l'évacuation si sa mise en demeure est restée sans effet.
Sur un plan plus médiatique, ce texte est relayé par les propos du maire de Nice, Christian Estros, qui se flatte d'avoir provoqué le départ d'une communauté de gens de voyage occupant de manière irrégulière un terrain de football de sa ville. Il se propose même de diffuser un guide des différentes méthodes utilisables pour rendre la vie impossible à la communauté des gens du voyage et provoquer son départ. Même si l'UMP est très présente dans ce débat qu'elle juge fort opportun en vue des élections municipales, force est de constater que ces thèses séduisent aussi une partie des élus locaux, toutes tendances politiques confondues.
L'élargissement de l'offre
Face à cette offensive, le ministre de l'intérieur privilégie l'élargissement de l'offre de stationnement. Il stigmatise les élus qui n'ont pas appliqué la loi Besson du 5 juillet 2000. Dans sa rédaction actuelle, celle-ci impose aux communes de plus de 5000 habitants la création d'une aire. Derrière cette disposition apparemment simple, se cachent en réalité de grandes disparités. Certaines communes de moins de 5000 habitants peuvent tout de même choisir de créer un tel espace, voire y être contraintes par la décision de l'organe délibération de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) dont elles font partie. A l'inverse, des communes de plus de 5000 habitants peuvent échapper à cette contrainte. La l
oi de rénovation urbaine du 1er août 2003 autorise en effet celles qui ont plus de 20 000 habitants et dont la moitié de la population habite en zone urbaine sensible à demander l'exemption de cette obligation.
Les normes applicables au stationnement des gens du voyage sont donc bien peu cohérentes et bien peu lisibles, en dépit de la création de schémas département d'accueil des gens du voyage (SDAGV). Les résultats concrets de cette politique restent d'ailleurs fort modestes. Un
rapport de la Cour des comptes publié en octobre 2012 montre ainsi que seulement 52 % des aires d'accueil prévues par ces SDAGV ont été réalisées. Devant ce constat, Manuel Valls propose tout simplement de rendre plus efficace le pouvoir de substitution accordé au préfet, qui lui permet de réaliser ces équipements aux frais de la commune. Une telle proposition suscite l'irritation des élus, et pas seulement ceux de l'UMP. Ils y voient une ingérence du pouvoir central dans les affaires locales, et dénoncent un alourdissement des charges des communes.
Depuis de nombreuses années, le droit oscille entre ces deux tendances. Encore faut-il observer que la proposition développée par le ministre de l'intérieur est directement inspirée par la jurisprudence récente. La loi du 5 juillet 2000 a en effet envisagé les éventuelles réticences des élus locaux, peu empressés dans la construction des aires de stationnement. Elle prévoit donc la possibilité d'une mise en demeure par le préfet des communes qui ne se sont pas acquittées de leur obligation dans un délai de deux ans après l'adoption du SDAGV, ce délai pouvant être prorogé de deux nouvelles années si la commune manifeste sa volonté d'engager les travaux nécessaires. A l'issue de ce double délai, si l'aire n'est toujours pas réalisées, l'Etat peut se substituer à la commune défaillante. Le problème est que cette procédure demeurait largement inappliquée, en raison des réticences des préfet, peu désireux de croiser le fer avec les élus de leur département à propos de l'accueil des gens du voyage
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Vincent Van Gogh. La roulotte, campement de Bohémiens. 1888 |
L'apport de la jurisprudence
Ce sont les association de gens du voyage qui ont finalement fait évoluer le droit positif, en demandant au préfet des Bouches du Rhône de prononcer une mise en demeure à l'égard des communes défaillantes de ce département, avant de déférer son refus au juge administratif. En l'espèce, le SDAGV avait été publié en mars 2002, et prévoyait la création de trente et une aires de stationnement. Cinq ans après, soit une années après l'expiration du délai maximal laissé aux collectivités pour appliquer la loi Besson, seules trois aires avaient été réhabilitées et aucune créée.
Dans sa
décision du 17 novembre 2011, la Cour administrative d'appel de Marseille (CAA) fait observer que le département des Bouches du Rhône est l'un des plus en retard dans ce domaine, et que les communes concernées n'auraient pas dû bénéficier du délai supplémentaire de deux ans. En effet, elles n'avaient témoigné d'aucune volonté de créer des aires de stationnement, certaines organisant quelques vagues réunions de concertation, d'autres affichant clairement leur refus d'appliquer la loi Besson. Dans ces conditions, la mauvaise volonté des collectivités locales est suffisamment établis aux yeux du juge pour qu'il estime que le refus du préfet de prononcer des mises en demeure soit entaché d'une erreur manifeste d'apprécier.
L'évolution envisagée par Manuel Valls se limite donc à intégrer dans la loi cette jurisprudence, en supprimant le pouvoir discrétionnaire du préfet. Les communes protestent évidemment contre ce pouvoir de substitution de l'Etat désormais automatique, et dénoncent une mesure qui les ruine. Sans doute oublient-elles que, selon les termes de la loi Besson, l'Etat prend à sa charge 70 % des frais occasionnés par ces aménagements, lorsqu'ils sont réalisés dans les deux ans après l'adoption du SDAGV, et 50 % lorsqu'ils interviennent dans les quatre ans après cette dernière. Les communes auxquelles l'Etat devra se substituer paieront donc l'intégralité des travaux, tout simplement parce que durant quatre années, elles ont refusé d'appliquer la loi de la République.
S'il apparaît indispensable de permettre un meilleur accueil des gens du voyage sur des aires de stationnement décentes et convenablement équipées, il n'en demeure pas moins que ce droit à la libre circulation s'accompagne nécessairement du devoir de ne pas s'installer sur la propriété d'autrui. Si l'on demande aux élus de respecter la loi, il faut aussi en exiger le respect par les gens du voyage. La simplification et l'accélération des procédures d'expulsion en matière d'installation illicite n'est pas nécessairement en contradiction avec l'amélioration de l'accueil sur les aires licites. Loin d'être contradictoires, les deux tendances devraient être complémentaires, car le respect de la loi s'impose à chacun d'entre nous, élus locaux comme gens du voyage.
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