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Le droit positif ne modifie pas sa position toujours réservée à l'égard des techniques de procréation médicalement assistée. La Cour européenne, dans une
décision du 3 novembre 2011 avait considéré comme conforme à la Convention la loi autrichienne qui interdit les méthodes d'assistance à la procréation fondées sur un double don d'ovocytes. Est ainsi affirmé le principe selon lequel un enfant doit être génétiquement rattaché à au moins l'un de ses deux parents.
C'est aujourd'hui au tour de la Cour de cassation de pérenniser cette prohibition du double don, dans une
décision de la 1ère Chambre civile, rendue le 19 janvier 2011. Elle était saisie par une femme qui s'est rendue en Espagne pour bénéficier d'un double don de gamètes, et qui a demandé la prise en charge des différentes interventions à la Caisse primaire d'assurance maladie. Elle conteste le refus qui lui a été opposé, en invoquant l'inconstitutionnalité de l'
article L 2143-1 du code de la santé publique qui énonce qu'un enfant "
ne peut être conçu avec des gamètes ne provenant pas d'un au moins des membres du couple". La Cour de cassation va estimer que cette disposition ne doit pas être transmise au Conseil constitutionnel.
On pourrait évidemment méditer sur le cas de cette requérante qui se rend en Espagne pour échapper aux contraintes de la loi française, et exige ensuite le remboursement des frais qu'elle a exposés. On pourrait aussi s'interroger sur la sévérité très inhabituelle de la Cour de cassation, qui a généralement tendance à laisser passer les QPC avec une grande mansuétude.
Irrecevabilité de la QPC
Quoi qu'il en soit, la Cour n'est évidemment pas liée par la décision la Convention européenne. Cette dernière avait en effet admis la conventionnalité de la législation autrichienne interdisant le double don, en se fondant sur sa compatibilité avec l'article 8 de la Convention, qui énonce le droit à la vie privée et familiale. La Cour, saisie d'une demande de QPC, doit se pencher sur la conformité de cette interdiction à la Constitution et non pas à la Convention européenne. En l'espèce, la Cour choisit de déclarer la QPC irrecevable, en estimant que le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé sur la constitutionnalité de l'article L 2143-1 csp.
La décision est juridiquement parfaite, dès lors que le Conseil avait effectivement été saisi de la loi de bioéthique du 29 juillet 1994 et qu'il avait lors déclaré sa conformité à la Constitution dans une
décision du 27 juillet 1994.
Certes, mais il n'en demeure pas moins que la Cour aurait pu statuer différemment et renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel.
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Berthe Morisot. Le berceau |
Le changement de circonstances
Il est vrai que le Conseil s'était prononcé en juillet 1994, et la Cour affirme "
que n'est survenu aucun changement de circonstances de nature à justifier que la conformité de cette disposition à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel". Plusieurs éléments pourraient cependant venir à l'appui du raisonnement contraire. En effet, la loi de 1994 a été modifiée par l
a loi du 7 juillet 2011 qui, elle, n'a jamais été déférée au Conseil. Cette nouvelle intervention du législateur pourrait elle être considérée comme un changement de circonstances ? Peut-être pas. Mais le développement considérable du "tourisme de la procréation" constitue également une évolution qui n'avait guère été envisagée en 1994 et qui pose aujourd'hui des problèmes nouveaux. En tout état de cause, la Cour aurait pu considérer que la loi de 1994 avait connu un changement de circonstances.
Des questions sans réponses
L'irrecevabilité présente cependant l'avantage de ne pas avoir à s'interroger sur le problème essentiel de ce texte. En effet, il conduit à écarter les couples doublement stériles du droit d'accéder aux techniques de procréation. On pourrait évidemment y voir une rupture du principe d'égalité devant la loi, voire une discrimination pure et simple à l'égard de ces couples qui souffrent d'un double handicap. Et la question n'est pas résolue par la décision de 1994, le Conseil ne s'étant pas prononcé sur ce point, certainement pour laisser au législateur le soin de définir ce qui est acceptable ou non par la société en matière de bioéthique.
En refusant la transmission de la QPC, la Cour de cassation laisse cependant ces questions sans réponses. C'est dommage.
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