Un arrêt de Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme, rendu le 3 novembre 2011, vient confirmer le refus de consacrer un "droit d'avoir des enfants" par les techniques d'assistance médicale à la procréation (AMP). Les requérants, deux couples de nationalité autrichienne, souffrent d'un type d'infertilité qui leur impose de recourir à un don de gamètes (don d'ovocyte pour l'un, don de sperme pour l'autre) et à une fécondation in vitro pour concrétiser leur désir d'enfant. Or la législation autrichienne n'autorise les techniques de procréation hétérologues, c'est à dire effectuées avec l'aide de donneurs, que dans la seule hypothèse de la fécondation artificielle in vivo, technique très simple et depuis longtemps largement admise dans la société autrichienne. Les requérants, contraints à la fécondation in vitro ne pouvaient donc bénéficier d'un don, cette technique étant limitée à la procréation homologue, c'est à dire réalisée à partir du sperme et de l'ovule du couple demandeur.
Cette législation autrichienne fait l'objet du recours de ces deux couples finalement placés dans une situation identique... et c'est précisément tout l'intérêt de la décision. Car le débat juridique actuel a tendance à s'organiser autour de la question des bénéficiaires de l'AMP, et plus précisément de l'accès des couples homosexuels, voire des personnes seules à ces techniques. En l'espèce, les requérants sont mariés fort bourgeoisement, ce qui exclut toute discussion de ce type. En revanche, l'arrêt S. suscite une interrogation plus essentielle sur l'étendue du droit d'accès aux techniques de procréation médicalement assistée, et au-delà, sur ce passage du désir au droit si délicat à appréhender par les juridictions.
Observons d'emblée que les requérants ne commettent pas l'erreur de se fonder sur le droit à vie, consacré par l'article 2 de la Convention. Celui-ci ne saurait en effet être interprété comme un droit de donner la vie, ce qui exclut que les couples demandeurs puissent l'invoquer. D'autre part, l'enfant à naître n'est pas encore titulaire de droits, ce que la Cour a confirmé dans son arrêt
Evans du 10 avril 2007 à propos d'embryons conservés en vue d'une éventuelle réimplantation. A fortiori l'enfant à naître n'est-il pas titulaire de droits lorsqu'il n'est encore qu'un projet..
L'article 8 de la Convention
Les couples requérants s'appuient sur l'article 8 de la Convention et considèrent que la législation autrichienne leur interdit l'exercice normal du "
droit de mener une vie privée et familiale normale". Les autorités autrichiennes, de leur côté, ne contestent pas que le souhait de procréer relève de la sphère privée protégée par ces dispositions. L'arrêt
Dickson c. Royaume Uni du 4 décembre 2007 admet à ce propos que le refus de procéder à une insémination artificielle sur l'épouse d'un détenu britannique concernait directement la vie privée et familiale des intéressés.
En première instance, les couples requérants ont obtenu satisfaction dans un arrêt de Chambre rendu en 2010. Mais la Cour européenne, réunie en Grande Chambre sur le recours de l'Autriche, casse la première décision pour laisser à l'Etat une très large marge d'appréciation dans ce domaine.
L'arrêt de chambre de 2010 : une ingérence illicite dans la vie privée
Les autorités autrichiennes se fondaient sur l'alinéa 2 de l'article 8 qui il autorise une ingérence des autorités publiques dans la vie privée. Elles considèraient qu'il appartient à l'Etat de définir par une législation spécifique les limites qu'il convient d'apporter à l'usage de ces techniques de procréation "eu égard aux impératifs sociaux et culturels propres à leur pays ainsi qu'à leurs traditions".
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"- Avant de commencer cette réunion, je crois utile de rappeler aux parties
en présence qu'elles ont un certain nombre de chromosomes en commun" |
Dans son
arrêt de chambre du 1er avril 2010, la Cour avait donné satisfaction aux requérants. Pour éviter d'avoir à se prononcer sur l'existence d'un droit à la procréation, elle s'était fondée sur les dispositions combinées des articles 8 et 14 de la Convention. La Cour a confirmé, conformément à la jurisprudence précédente, que ces problèmes de procréation relèvent effectivement de l'article 8. Mais, sur le fondement de l'article 14, elle a sanctionné la différence de traitement entre les couples qui bénéficient de techniques homologues, c'est à dire sans donneur, et ceux qui ont besoin d'une technique hétérologue, avec donneur. Pour la Cour, le refus de la loi autrichienne d'écarter les seconds du bénéfice d'une AMP ne reposait donc pas sur des justifications convaincantes et doit donc être sanctionné comme discriminatoire.
L'arrêt de Grande Chambre : l'appréciation de l'Etat
Saisie par les autorités autrichiennes, la Grande Chambre, dans sa décision du 3 novembre 2011, considère également que l'article 8 s'applique en l'espèce, et que la législation en cause constitue effectivement une ingérence de l'Etat dans la vie privée. Elle va estimer en revanche, contrairement à l'arrêt de Chambre, que cette ingérence est conforme aux exigences posées par la Convention. Elle est en effet prévue par la loi, et "nécessaire dans une société démocratique". Ce dernier point justifie néanmoins quelques éclaircissements.
L'essentiel de l'argumentation des requérants reposait sur l'idée qu'ils étaient victimes d'une discrimination liée à des considérations techniques. Selon eux, la loi autrichienne qui n'interdit pas les fécondations artificielles in vivo ne peut empêcher le recours à un donneur de sperme dans cette hypothèse. La technique est en effet très simple, et par conséquent très difficile à interdire. En revanche, lorsque le couple a besoin d'une fécondation in vitro, la technique est beaucoup plus délicate, hautement médicalisée, et donc plus facile à interdire.
La Grande Chambre n'est pas convaincue par cet argumentaire. Elle fait observer que l'Autriche s'est dotée en 1992 d'une loi sur l'assistance médicale à la procréation. Durant les débats parlementaires, l'interdiction de la fécondation in vitro hétérologue a été justifiée par la volonté de ne pas créer une sorte de marché du don d'ovocytes qui pourrait entraîner une certaine exploitation des femmes, notamment celles des milieux les plus modestes qui se verraient incitées à vendre leurs ovules. Par ailleurs, le législateur s'inquiétait d'une distorsion entre la réalité biologique et la réalité sociale engendrée par ces techniques d'AMP.
La Grande Chambre reconnaît de bonne grâce que le droit autrichien a adopté une perspective très prudente à l'égard de l'AMP, qu'il aurait pu opter pour une application plus large et admettre le don de gamètes. En adoptant cette position ferme, le législateur autrichien n'a cependant pas outrepassé la marge d'appréciation qui est celle de l'Etat dans ce domaine.
Après bien des détours et des interprétations, la Cour dévoile enfin le fond de sa pensée. Elle observe que les Etats membres du Conseil de l'Europe ont adopté des législations très diverses. Certains acceptent le don de gamètes, d'autres pas. Certains autorisent la gestation pour autrui (les "mères porteuses"), d'autres pas. Il appartient finalement à chaque société d'apprécier l'état du consensus en ce domaine, et d'en tirer les conséquences législatives. Et la Cour affirme clairement qu'il convient de laisser chaque Etat définir son cadre légal, car il est finalement le mieux placé pour apprécier la manière dont la société perçoit ces problèmes éthiques.
Il faut bien le reconnaître, cette solution qui consiste à privilégier le cadre étatique ne présente pas de réel inconvénient pour les couples concernés. Ils peuvent se rendre dans un pays doté d'une législation plus compréhensive et y obtenir un donc de gamètes suivi d'une fécondation in vitro. Nos couples autrichiens pourront ainsi aller au Luxembourg, en Pologne, au Danemark, en Suède ou en France... Et si la Cour européenne ne leur reconnaît pas le droit d'avoir des enfants, elle les autorise finalement à utiliser toutes les techniques que la science peut leur offrir pour satisfaire leur désir.
N'est il pas finalement préférable que l'enfant soit le fruit d'un désir plutôt que l'objet d'une revendication ?
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