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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
mardi 10 mars 2020
Uber et le statut de travailleur indépendant
jeudi 5 mars 2020
La reconnaissance faciale dans les lycées
La reconnaissance faciale
Consentement
Finalité et proportionnalité
lundi 2 mars 2020
Comment rhabiller une Femen ?
Deux décisions de la Cour de cassation
La Cour d'appel de Paris avait toutefois relaxé la prévenue, estimant que l'intention de la Femen, dénuée de toute connotation sexuelle, devait être appréciée comme la manifestation d’une opinion politique, protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette décision a été cassée une première fois par un arrêt de la Chambre criminelle du 10 janvier 2018, avec renvoi à la Cour d'appel. Mais celle-ci a rendu une nouvelle décision identique, suscitant un nouveau pourvoi.
La définition du délit d'exhibition sexuelle
Précisément, le second élément matériel réside dans le fait que cette nudité doit être imposée à la vue d'autrui, ce qui signifie que l'exhibition se déroule dans un lieu accessible aux regards. Peu importe qu'il s'agisse d'un lieu privé (par exemple un jardin) ou public, il suffit que la nudité soit visible. Il est donc évidemment nécessaire que quelqu'un ait observé cette nudité et la jurisprudence exige la présence d'un témoin involontaire, c'est-à-dire qui n'a pas recherché un tel spectacle. Peu importe qu'il en soit choqué ou non, il suffit qu'il soit présent pour témoigner. Tel est le cas dans l'affaire Z., puisqu'il y avait des visiteurs et des gardiens dans le musée.
Quant à l'élément moral, et c'est un point essentiel, il est constitué dès que l'intéressée impose volontairement sa nudité à la vue d'autrui. Il ne réside donc pas dans la motivation de ce déshabillage. Qu'elle relève de la provocation sexuelle ou du militantisme politique est sans influence sur l'existence de l'élément moral.
Cette analyse a tout de même suscité une inflexion de la jurisprudence qui permet à la Cour de confirmer la relaxe prononcée par la Cour d'appel, adoptant ainsi une position radicalement différente de celle adoptée en janvier 2018.
L'influence de la Cour européenne des droits de l'homme
La Chambre criminelle se livre en effet à un contrôle de proportionnalité identique à celui exercé par la CEDH. Elle se place non pas sur le terrain des éléments constitutifs de l'infraction mais sur celui de l'incrimination. Les faits demeurent constitutifs du délit d'exhibition sexuelle, mais l'incrimination est considérée comme "une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression".
Ce contrôle de proportionnalité est exercé de manière courante par la CEDH. Dans un arrêt Pichon et Sajous c. France du 2 octobre 2001, elle a ainsi mis en balance un comportement illicite, en l'espèce le refus par un pharmacien de vendre des contraceptifs, et le droit de manifester une opposition liée à des convictions politiques ou religieuses. Dans l'arrêt Pichon et Sajous, la Cour avait finalement conclu que l'incrimination et la condamnation des requérants pour refus de vente n'emportaient pas une atteinte excessive au droit de manifester leurs convictions.
La CEDH estimerait-elle que l'incrimination d'une Femen pour exhibition sexuelle n'emporte aucune atteinte à sa liberté d'expression ? La Cour de cassation a préféré ne pas prendre le risque d'une condamnation, n'ignorant pas que la CEDH, en matière de liberté d'expression, intègre certains éléments issus du droit anglo-saxon. L'action des Femens pourrait ainsi être perçue comme l'exemple type du "Symbolic Speech" directement inspiré de la jurisprudence américaine sur le Premier Amendement.
La décision du 20 février 2020 permet ainsi d'éviter une saisine de la CEDH au résultat quelque peu aléatoire. Elle risque en revanche de conduire à un contrôle de proportionnalité exercé au cas par cas, selon des critères peu lisibles. On peut toutefois comprendre que la Cour de cassation refuse de se rallier à la position développée par la défense qui considérait que l'intention de la personne devait constituer l'élément moral de l'infraction. Une telle analyse conduisait en effet à autoriser n'importe quelle action, aussi provocatrice soit-elle, dès lors que l'intéressé invoque un quelconque mobile politique. A moins qu'il s'agisse de se débarrasser des Femens par un autre moyen que la répression pénale ? Si l'on décidait que leur action est licite, l'élément transgressif deviendrait inexistant, et leur action n'intéresserait peut-être plus les journalistes soigneusement convoqués à chaque manifestation. Les Femens n'auraient plus alors qu'à aller se rhabiller.
samedi 29 février 2020
Les Invités de LLC : Serge Sur : L'article 49. 3 n'est nullement l'instrument d'un régime autoritaire
jeudi 27 février 2020
Affaire Fillon : L'échec attendu des QPC
La prescription
Le détournement de fonds publics
mardi 25 février 2020
Cartes SIM prépayées : l'étau se resserre
Les cartes prépayées
Placide. Médiapart, 19 avril 2016 |
Les données à caractère personnel
L'article 2 de la convention européenne sur la protection des données définit comme donnée à caractère personnel "toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable". Une jurisprudence constante de la CEDH considère donc que la collecte, la conservation et l'utilisation de données personnelles constituent des ingérences dans la vie privée. Il en ainsi, par exemple, en matière d'utilisation du GPS dans les enquêtes criminelles (CEDH, 2 septembre 2010, Uzun c. Allemagne), de l'exigence de communication de données personnelles par les fournisseurs d'accès (CEDH, 2 décembre 2008, K.U. c. Finlande), de fichier d'empreintes digitales (CEDH, 13 novembre 2012, S. and Marper c. Royaume Uni) ou encore des fichier des auteurs de violences sexuelles (CEDH, 17 décembre 2009, Gardel c. France).
Cette ingérence dans la vie privée est toutefois parfaitement licite si elle est organisée par la loi, répond à un but légitime, et se révèle "nécessaire dans une société démocratique". En l'espèce, la collecte des données sur les acheteurs de cartes prépayées est prévue par la loi allemande. Le but légitime n'est pas contesté, puisqu'il s'agit à la fois de poursuivre les auteurs d'infractions pénales et de lutter préventivement contre le terrorisme.
Le contrôle de proportionnalité
Reste le caractère "nécessaire dans une société démocratique", appréciation qui est réalisée par un contrôle de proportionnalité. La CEDH va donc s'assurer que l'ingérence dans la vie privée que constitue cette collecte de donnée est proportionnée aux buts annoncés. Dans plusieurs arrêts, et notamment Ramda c. France du 19 décembre 2017, la Cour affirme que la lutte contre le crime organisé et le terrorisme constitue une ardente nécessité. L'évolution des télécommunications requiert, quant à elle, de nouveaux instruments d'investigation, nécessité formulée dans l'arrêt Marper c. Royaume-Uni.
En l'espèce, les requérants font valoir que cette contrainte d'identification des acheteurs de carte SIM prépayée peut être contournée par l'usage d'une carte volée ou d'un faux nom. Aux yeux de la CEDH, un tel argument ne permet pas de contester l'utilité de cette procédure qui a pour objet de renforcer les moyens de l'Etat de droit.
Les requérants invoquent aussi la décision rendue par la Cour de justice de l'Union européenne le 8 avril 2014 Digital Rights Ireland, dans laquelle le juge européen écarte une directive de 2006 qui mettait en place une collecte de masse des données privées figurant sur internet, et spécialement les réseaux sociaux. Il s'agissait alors d'effectuer un profilage des individus, en particulier au profit des entreprises privées actives sur le net, par exemple pour mieux connaître leurs habitudes de consommations et davantage cibler les actions de promotion. Mais dans l'affaire Breyer devant la CEDH, les données collectées ne sont pas particulièrement sensibles et de ne permettent pas d'établir des profils de comportement. La conservation des données est limitée dans le temps (un an après la fin de la relation contractuelle avec l'entreprise qui a vendu la carte SIM), durée qui semble opérer une conciliation satisfaisante entre les besoins de la police et la protection des données personnelles. Au regard de ces considérations, la CEDH estime donc que la loi allemande ne porte pas une atteinte excessive à la vie privée.
Et qu'en est-il du droit français ? Le décret du 10 novembre 2016 relatif à la lutte contre le financement du terrorisme, entré en vigueur le 1er janvier 2017, impose désormais une déclaration lors de l'achat d'une carte prépayée. Elle peut toutefois intervenir a posteriori, par l'envoi au fournisseur de la copie d'une pièce d'identité. Si cette procédure n'est pas respectée, la carte SIM sera désactivée dans un délai de quinze jours. On peut évidemment s'interroger sur l'efficacité du système : n'est-il pas possible d'envoyer la copie d'une fausse pièce d'identité, ou de celle d'un tiers ? N'est-il pas plus simple, si l'on est animé d'intentions plus ou moins honnêtes, d'acheter dans des circuits plus ou moins opaques une carte volée ou venant de l'étranger ? Bref, les lacunes de législations demeurent importantes et les Paul Bismuth en tous genres ont sans doute encore de beaux jours devant eux.