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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
samedi 29 juillet 2017
Accord UE / Canada sur le PNR : la CJUE résiste
mardi 25 juillet 2017
L'accès aux données de connexion par l'AMF
Le droit au respect de la vie privée
Evaluation des garanties
A la bourse, ce qu'on appelle une corbeille, pas de fleurs en tout cas. Honoré Daumier. 1808-1879 |
Le précédent du 5 août 2015
samedi 22 juillet 2017
VIncent Lambert : la loi face à l'intimidation
Nouvelle équipe, nouvelle décision
William Bouguereau. Une âme au ciel. 1878 |
Illégalité des motifs
jeudi 20 juillet 2017
Le Chef d'Etat Major des Armées : devoir de parler ou devoir de réserve
Le Président de la République est le chef des armées, prérogative que nul ne lui conteste, surtout pas les militaires, et qui figure formellement dans l'article 15 de la Constitution. A ce titre, il "préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale". Comme chef des armées, il a donc le droit, s'il le souhaite, de "recadrer" le CEMAA. Certes, il existe une règle traditionnellement respectée dans les forces armées qui veut qu'une telle explication de texte n'ait jamais lieu devant les subordonnés de l'intéressé. En tout état de cause, le Président a le droit de l'écarter puisqu'elle est dépourvue de fondement juridique et résulte seulement d'une tradition de management fondée sur le principe hiérarchique. Il appartiendra ensuite au Président, et à lui seul, de juger de l'opportunité de cette dramatisation, face à un général sans doute très conscient des conséquences de ses propos.
La question n'est pas de savoir si le Président est compétent pour tancer un grand subordonné mais s'il avait raison sur le fond. Autrement dit, le général de Villiers avait-il commis un manquement à l'obligation de réserve ?
Le devoir de parler
L'article 5bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires énonce qu'"une commission spéciale ou permanente peut convoquer toute personne dont elle estime l’audition nécessaire, réserve faite, d’une part, des sujets de caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat, d’autre part, du respect du principe de la séparation de l’autorité judiciaire et des autres pouvoirs". En l'occurrence, pour préserver la confidentialité des échanges, l'audition du général de Villiers a été réalisée à huis-clos. Cette confidentialité est censée à la fois protéger le secret de la défense nationale et garantir la complète liberté des échanges. Bien que n'ayant donné lieu à aucun compte-rendu, il est évident que l'audition du général a suscité des fuites, mais il était probablement le premier à s'y attendre.
Quoi qu'il en soit, la personne convoquée devant une assemblée parlementaire ne peut s'y soustraire. Un refus est passible d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 7500 €.
"Je suis votre Chef". Abraracourcix. René Goscinny et Albert Uderzo. |
L'obligation de réserve
Le problème est que le CEMA, comme n'importe quel fonctionnaire, est soumis à l'obligation de réserve. Alors que celle-ci est d'origine jurisprudentielle pour le reste de la fonction publique, elle a un fondement législatif dans le cas des militaires. L'article L 4121-2 du code de la défense énonce certes que "les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres". Toutefois, elles ne peuvent être exprimées " qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire". Cette règle s'applique à tous les moyens d'expression, et le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 12 janvier 2011, admet que le chef d'escadron de Gendarmerie Jean-Hugues Matelly a violé l'obligation de réserve en publiant différents articles contestant le passage de l'Arme sous l'autorité du ministre de l'intérieur. En l'espèce, la Haute Juridiction estime disproportionnée par rapport aux faits qui l'ont motivée la sanction de radiation des cadres prononcée à son encontre. Par ailleurs, la jurisprudence considère que la réserve s'impose avec une intensité plus importante aux agents publics investis de fonctions particulièrement importantes. Dans un arrêt du 24 septembre 2010, le Conseil d'Etat confirme ainsi la légalité d'une sanction infligée à un préfet qui avait publiquement critiqué le ministre de l'intérieur.
Certes, mais dans les deux cas, les sanctions portaient sur des manquements à l'obligation de réserve commis soit par des publications, soit par des propos tenus à des journalistes. Elles ne concernaient pas un échange intervenu dans une commission parlementaire, à huis-clos. Dans l'état actuel du droit, aucune loi n'affirme que l'obligation de réserve doit être écartée au profit du parlement. Il appartient donc au malheureux militaire auditionné de gérer ce double-binding. Soit il est parfaitement sincère et il risque à tout instant de violer le devoir de réserve. Soit il respecte parfaitement la réserve et inflige aux parlementaires l'un de ces Power-Point de langue de bois que les militaires savent très bien fabriquer, précisément quand ils ne veulent rien dire. Dans un cas, le militaire risque la sanction, dans l'autre le Parlement n'est pas informé de manière satisfaisante.
En l'absence de texte, on peut se référer au précédent bien connu du général Soubelet. Devant une commission parlementaire, il avait déclaré : "Pour le seul mois de novembre 2013 dans les Bouches-du-Rhône, 65 % des cambrioleurs interpellés sont à nouveau dans la nature". Et il ajoute : «Vous pouvez mettre des effectifs supplémentaires sur le terrain mais, dans ces conditions, cela ne servira à rien». Il s'exprimait alors, en décembre 2013, devant la commission d'enquête parlementaire sur la lutte contre l'insécurité. Devant une commission d'enquête, l'intéressé est auditionné sous serment et le mensonge est susceptible de poursuites pour faux témoignage, dans les conditions du code pénal. Il avait donc choisi de respecter son serment et de dire ce qu'il pensait être la vérité. Mais cette affaire n'a pas eu pour effet de clarifier l'étendue de l'obligation de réserve et la question de son opposabilité au parlement. En effet, dans son cas, il était inutile d'engager une procédure disciplinaire. Le général a simplement été muté à la direction de la gendarmerie d'outre-mer, avant qu'il soit mis fin à ses fonctions dans l'armée d'active.
Et le parlement ?
Reste la question du parlement. Le 5 juillet 2017, un médecin qui avait témoigné devant une commission d'enquête sénatoriale a été sévèrement condamné pour parjure par le tribunal correctionnel. Interrogé sur le coût de la pollution de l'air, il avait caché ses liens avec le groupe pétrolier Total. Or, si les personnes auditionnées peuvent être poursuivies en cas en parjure, peut-être devraient-elles être protégées lorsqu'elles expriment leur opinion avec sincérité ? Si l'on considère le cas du général de Villiers, on comprend que le Chef de l'Exécutif, certes chef des armées, entend imposer une stricte obligation de réserve à ceux qui sont auditionnés par la représentation nationale. Au célèbre "Je ne veux voir qu'une seule tête" succédera donc un "Je ne veux entendre qu'un seul discours". Si le Parlement l'accepte, il aura, somme toute, l'information qu'il mérite.
dimanche 16 juillet 2017
Nice : condamner les photos, sans interdire
Le choix du principe de dignité
Le débat d'intérêt général
De cette jurisprudence, on pouvait déduire une conception absolutiste de la liberté de l'information, finalement assez proche de celle développée par les juges américains dans leur interprétation du Premier Amendement. Les tabloïds semblaient alors bénéficier d'une sorte d'impunité, tout et n'importe quoi pouvant désormais relever du débat d'intérêt général. De fait, on aurait très facilement pu considérer que les photos diffusées par Paris-Match pouvaient bénéficier du label du débat d'intérêt général. Ne permettent-elles pas, en effet, de poser la question de l'efficacité de la vidéoprotection en matière de prévention du terrorisme ?
L'exception de sensationnalisme
Si ce n'est que la jurisprudence la plus récente admet une exception de sensationnalisme, et c'est précisément cette exception qu'utilise le juge des référés. Dans un arrêt de Grande Chambre Bédat c. Suisse rendu le 29 mars 2016, la Cour européenne des droits de l'homme est saisie de la condamnation d'un journaliste pour violation du secret de l'instruction. Il avait mis à la disposition du public des éléments du dossier pénal d'un conducteur qui avait causé un très grave accident à Lausanne. Or cet accident, très médiatisé localement, pouvait être considéré comme relevant du débat d'intérêt général, dès lors qu'il est naturel que la presse régionale rende compte du procès en cours.
La CEDH considère pourtant qu'en l'espèce "le caractère fiable et précis" des informations mises à la disposition du public n'est pas évident, dès lors que le ton employé ne laisse "aucun doute sur l'approche sensationnaliste que le requérant a entendu donner à son article". Le contenu de l'article et ses titres racoleurs sont surtout de nature à satisfaire la curiosité malsaine du lecteur. Dans ce cas le sensationnalisme du ton l’emporte sur le contenu de l’article, et la CEDH fait alors prévaloir les secrets protégés par la loi sur le droit à l’information. Le sensationnalisme devient alors une règle d’interprétation que la Cour utilise de manière systématique.
Le juge des référés français se livre à la même appréciation. Examinant en détail l'article de Paris-Match, il observe que "ces deux photographies témoignent d'une recherche évidente de sensationnel (...). Elles sont accompagnées de commentaires racoleurs (...). Elles s'avèrent indécentes et portent atteinte à la dignité humaine". Le raisonnement repose sur l'idée que le droit à l'information peut s'exercer, l'histoire de l'attentat de Nice peut être montrée au public et donner lieu à une narration, sans qu'il soit nécessaire d'insérer dans l'article des images racoleuses.
In fine, le juge des référés choisit de condamner la publication des clichés sans l'interdire. Il est vrai qu'il reconnaît lui-même son impuissance : "Le retrait des kiosque du numéro litigieux ne saurait constituer une mesure efficiente, dès lors qu'il est déjà en vente". Mais cette impuissance est une excellente chose, car elle montre que la liberté d'expression s'exerce sur le fondement d'un régime libéral qui exige que l'on soit libre d'imprimer ce que l'on veut, sauf à rendre compte a posteriori d'éventuelles infractions.
Sur le fond, la question de l'appréciation du juge reste posée. Est-il réellement possible de définir, sans subjectivité, ce qui est racoleur de ce qui ne l'est pas ? La liberté d'expression peut-elle être limitée parce que le contenu diffusé est de mauvais goût ? La décision nous invite ainsi à réfléchir sur le rôle du ministère public. Il n'est sans doute pas le mieux en mesure de s'élever contre l'atteinte à la dignité que comporte un article de presse. Son rôle est en effet de requérir l'application de la loi et de protéger les intérêts de la société. Il n'est pas de représenter les intérêts des victimes d'un attentat. Or ce sont elles qui sont les premières concernées et qui devraient sans doute réagir en engageant la responsabilité de la publication. Ce n'est pas la diffusion de l'image qui doit être réprimée, mais le préjudice qu'elle cause qui doit être indemnisé. Et de lourds dommages intérêts incitent souvent davantage à réfléchir sur l'atteinte à la dignité causée par une photo qu'une menace d'interdiction qui, finalement, fait de la publicité au journal.
Sur la dignité de la personne : Chapitre 7 introduction du manuel de libertés publiques sur internet
jeudi 13 juillet 2017
Journée des femmes : Perlimpinpin à la Cour de cassation
Egalité devant la loi
Le requérant s'appuie sur l’article L. 3221-2 du code du travail relatif au principe d’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes. Grâce à ce congé exceptionnel, ces dernières travaillent une demi-journée de moins pour un salaire égal. Cette inégalité de traitement n'est pas contestée par Chambre sociale, mais elle fait observer que le principe d'égalité interdit de traiter de manière différente des situations comparables, sauf si la différenciation est objectivement justifiée. Rachid X. considère évidemment que cette différence de traitement est injustifiée. La Cour d'appel, quant à elle, l'a estimée justifiée "par la nécessité de favoriser la lutte des femmes dans leur combat pour une égalité avec les hommes non acquise dans le milieu professionnel".
Inégalité compensatrice
La Chambre sociale considère aussi que cette demi-journée de congé est objectivement justifiée. Elle opère cependant une substitution de motifs. Elle considère en effet que cette mesure ne relève pas de l'égalité de rémunération mais des conditions de travail et donc du titre IV du Livre I Egalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Au sein de ce titre IV, la Cour se fonde sur l’article L. 1142-4 du code du travail qui estime que le principe de non-discrimination ne fait pas obstacle "à l'intervention de mesures temporaires prises au seul bénéfice des femmes visant à établir l'égalité des chances (...), en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes". La demi-journée de congé accordée à l'occasion de la Journée des femmes s'inscrit donc dans une logique d'inégalité compensatrice.
Cette dernière est prévue par l'article 157 § 4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) auquel la Chambre sociale se réfère expressément. Il énonce que "l'égalité de traitement n'empêche pas un Etat membre d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle". La Cour de justice de l'Union européenne admet donc les inégalités compensatrices en faveur des femmes. Dans un arrêt Badeck du 28 mars 2000, elle estime qu'une action visant à promouvoir prioritairement les femmes dans la fonction publique où elles sont sous-représentées est compatible avec le droit de l'Union. Cette préférence donnée aux candidates féminines ne doit cependant pas être automatique et inconditionnelle. Tous les candidats, quel que soit leur sexe, doivent ainsi faire l'objet d'une appréciation objective tenant compte de leur situation particulière. Ces principes sont ceux repris dans la directive du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.
Plantu. Le Monde. 8 mars 2014 |
Un accord d'entreprise
S'appuyant sur le droit européen, la Chambre sociale conclut donc que la demi-journée de repos "vise à établir l'égalité des chances entre les hommes et les femmes en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les femmes". Observons cependant que cette demi-journée de repos n'est pas offerte à toutes les femmes, et que la décision relève d'un accord d'entreprise. Sur ce point, l'arrêt se situe dans la continuité de la décision du 27 janvier 2015 qui affirme une présomption de conformité des accords collectifs au principe d'égalité de traitement. De manière plus générale, il semble anticiper sur l'actuelle réforme du code du travail, visant à redonner du poids aux accords entre partenaires sociaux au niveau de l'entreprise. Sans l'affirmer trop clairement, la Chambre sociale montre qu'elle est "en marche".
Une satisfaction symbolique
Il est probable que cette décision réjouira celles et ceux qui cherchent dans le féminisme des satisfactions symboliques. L'analyse juridique laisse tout de même une impression d'insatisfaction. Si l'on peut admettre des inégalités compensatrices, celles prévues par le droit de l'Union européenne, concernent directement la carrière des femmes : recrutement, avancement etc.. En quoi une demi-journée de congé apporte t-elle une inégalité compensatrice ? De deux choses l'une : soit les femmes bénéficient dans l'entreprise d'une égalité de traitement et elles n'ont pas vocation à obtenir un congé supplémentaire, soit elles demeurent moins bien rémunérées et moins bien traitées que leurs collègues masculins, et ce n'est pas une demi-journée de repos qui va compenser quoi que ce soit. La Chambre sociale est certainement consciente du problème comme en témoigne son communiqué de presse à propos de cet arrêt. Il y est affirmé, sérieusement, que les manifestations "de quelque forme qu’elles soient, le 8 mars, permettent de susciter une réflexion sur la situation spécifique des femmes au travail et sur les moyens de l’améliorer". Un lien est donc mis en avant "entre cette journée et les conditions de travail, légitimant cette mesure en faveur de l’égalité des chances". L'argument n'est guère convaincant, d'autant que l'on ne voit pas pourquoi les hommes n'iraient pas, eux aussi, participer aux manifestations du 8 mars en faveur de l'égalité des femmes. En offrant aux femmes une satisfaction symbolique, la Chambre sociale, une nouvelle fois sensible aux propos d'Emmanuel Macron, la Chambre sociale aurait-elle souhaité saupoudrer le principe d'égalité des femmes de "poudre de Perlimpinpin" ?