Bill Watterson. Calvin et Hobbes |
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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
dimanche 7 octobre 2012
Le chasseur sachant chasser et la Cour européenne
vendredi 5 octobre 2012
La Kafala, pluralisme culturel ou intégration ?
Le "respect du pluralisme culturel"
La décision de la Cour européenne se borne donc à considérer que le droit français ne comporte aucune violation de la Convention. Pour la Cour, le droit au respect de la vie privée et familiale n'est pas en cause, dès lors que l'enfant a une vie normale, et que l'autorité parentale est exercée à son égard. La Cour fait d'ailleurs remarquer que la position des Etats membres du Conseil de l'Europe à l'égard de la Kafala est très diversifiée. Dans certains pays, la Kafala n'est pas un obstacle à l'adoption (Belgique, Danemark, Finlande, Grèce, Irlande, Pays Bas, Royaume-Uni, Suède et Suisse). En France, comme en Albanie, en Allemagne, en Arménie, en Géorgie et dans une dizaine d'autres, le droit positif considère la Kafala comme une sorte de tutelle ou de curatelle qui empêche l'adoption. Faute de pouvoir reconnaître un consensus en ce domaine, la Cour européenne laisse donc chaque Etat libre d'apprécier la place qu'il entend donner à cette pratique. Elle observe d'ailleurs que la loi française présente l'avantage de "favoriser l'intégration d'enfants d'origine étrangère sans les couper immédiatement des règles de leur pays d'origine" et "respecte le pluralisme culturel".
Jeune Orientale. Ecole française. XXè siècle. Collection particulière |
La Cour estime en effet que l'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas réellement violé par la loi française, dans la mesure où l'enfant n'est pas privé d'une vie familiale. C'est vrai, mais la loi du 6 février 2001, met néanmoins les familles dans des situations parfois très difficiles. Dans plusieurs avis, le Défenseur des enfants a lui-même insisté sur les difficultés administratives qu'elles rencontrent, par exemple en matière de droits sociaux ou d'obtention d'un visa. Plus grave encore, l'enfant ne bénéficie d'aucun droit sur la succession et sa situation, en cas de décès de ses parents titulaires de la Kafala, risque de se révéler extrêmement précaire.
La nationalité, ou comment contourner la Kafala
Pour pallier ces inconvénients, et contourner l'obstacle de la Kafala, on peut se demander si l'intégration n'est pas préférable au "pluralisme culturel". L'article 21-12 du code civil prévoit qu'un enfant qui, depuis au moins cinq années, est recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française, peut réclamer la nationalité française jusqu'à sa majorité. Certes, ce délai est très long, alors que l'acquisition de la nationalité est immédiate pour l'enfant qui fait l'objet d'une adoption plénière. Mais cette acquisition de la nationalité aura au moins pour effet de rendre l'enfant adoptable. Une réponse ministérielle du Garde des Sceaux, en date du 21 août 2008, confirme cette interprétation. Madame Harroudji a donc tout intérêt à inverser les procédures. Au lieu d'obtenir l'adoption avant la nationalité, il est préférable d'obtenir la nationalité avant l'adoption. Reste que ce délai de cinq années avant l'obtention de la nationalité place l'enfant dans une situation juridiquement précaire. Le "respect du pluralisme culturel" revendiqué par la Cour européenne conduit ainsi à une situation discriminatoire.
mardi 2 octobre 2012
QPC : Le statut des gens du voyage devant le Conseil constitutionnel
Hergé. Les bijoux de la Castafiore. 1963 |
dimanche 30 septembre 2012
La Cour européenne confirme l'accouchement sous X "à la française"
Comment résoudre un conflit de normes ?
Ce rattachement de l'accès aux origines à l'espace de la vie privée est parfaitement conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour européenne. Il n'est pas sans conséquence, puisqu'il permet au juge européen d'admettre la recevabilité de la requête. En revanche, dès lors que l'accès aux origines est un élément de la vie privée, il ne constitue pas un droit autonome et doit être concilié avec les autres facettes du droit à la vie privée. Sur ce point, la décision Godelli pose le délicat problème des conflits de normes. Entre la vie privée de la mère et celle de l'enfant, laquelle doit l'emporter ? La réponse à une telle question peut être confiée à des comités d'éthique, ou au juge. C'est précisément ce type d'arbitrage que doit rendre la Cour européenne dans l'affaire Godelli c. Italie.
La Cour européenne sanctionne la loi italienne parce que l'équilibre entre les différents droits en présence n'est pas respecté. En effet, l'anonymat de la mère qui "ne consentait pas à être nommée" est irrréversible en droit italien. Aucune procédure n'est organisée pour qu'ultérieurement, et notamment lorsque l'enfant aura atteint l'âge adulte, cet anonymat soit levé. Aucune instance ne peut être saisie afin de prendre contact avec la mère biologique et lui demander si elle consentirait à une levée du secret des origines. Ce n'est donc pas l'anonymat qui est sanctionné, mais son caractère irréversible.
A contrario, le système français de l'"accouchement sous X" se trouve validé par la Cour européenne. Il est vrai que la décision Odièvre avait déjà affirmé que la loi française n'emportait aucune violation de l'article 8 de la Convention. Mais l'arrêt Gardelli permet de préciser que l'accouchement sous X ne peut exister que si le droit positif met en place une procédure permettant la levée de l'anonymat, en quelque sorte par consentement. C'est effectivement la mission du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP), créé par la loi du 22 janvier 2002. Cette autorité indépendante reçoit les demandes d'accès aux origines formulées par les enfants nés sous X. Elle prend alors contact avec la mère biologique, et lui demande si elle souhaite que son identité soit communiquée à l'enfant. Celle-ci peut refuser, ce qui montre que l'accès aux origines est une faculté, mais pas un droit.
Après l'arrêt Odièvre, après aussi la décision du Conseil constitutionnel rendue sur QPC le 16 mai 2012 qui consacrait la constitutionnalité de la loi française, la décision Gardelli renforce la procédure d'accouchement sous X. Alors même que celle-ci semblait devoir céder sous les pressions des partisans de la consécration d'un droit d'accès aux origines, elle est aujourd'hui considérée comme l'instrument d'un équilibre entre deux histoires également douloureuses, celle d'une mère, souvent très jeune ou dans une situation précaire, qui n'a pas pu assumer sa grossesse, et celle d'un enfant à la recherche de son identité.
jeudi 27 septembre 2012
OGM, pouvoir de police et principe de précaution
Vincent Van Gogh. Champ de blé derrière l'hospice. 1889 |
mardi 25 septembre 2012
Accès au dossier durant la garde à vue : les avocats en route vers la Cour européenne
L'équilibre entre les nécessités de l'enquête et les droits de la défense
La femme à abattre. Raoul Walsh. 1951. Humphrey Bogard |
Dans un arrêt du 11 juillet 2012, la Cour de cassation avait déjà considéré que ces dispositions étaient conformes à l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure évidemment où l'avocat du gardé à vue avait effectivement pu consulter les pièces énumérées à l'article 63-4-1 du code pénal. Sur ce point, la jurisprudence de la Chambre criminelle s'appuie sur celle du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 18 novembre 2011 rendue sur QPC, ce dernier a en effet considéré que la conciliation entre la recherche des auteurs d'infraction et les droits de la défense constitutionnellement garantis était convenablement assurée dans la loi du 14 avril 2011.
Qu'il s'agisse du contrôle de conventionnalité par la Cour de cassation, ou de constitutionnalité par le Conseil constitutionnalité, la jurisprudence est identique. Les droits de la défense n'imposent pas une règle absolue de communication de l'ensemble des pièces du dossier, du moins durant la garde à vue.
Vers la saisine de la Cour européenne
Bien entendu, les avocats ne sont pas décidés à abandonner le combat. La décision de la Cour de cassation a pour intérêt, et c'est bien le seul de leur point de vue, de marquer l'épuisement des recours internes. La voie de la Cour européenne est donc ouverte, et il faut reconnaître qu'il n'est pas sans espoir. Dans l'arrêt Sapan c. Turquie du 20 septembre 2011, la Cour déclare en effet le droit turc non conforme à l'article 6 § 3, dans la mesure précisément où l'avocat du requérant n'est pas autorisé à avoir accès aux pièces du dossier. Dans le domaine de la garde à vue, depuis l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008, il est vrai que les condamnations de la Turquie précèdent de peu les condamnations de la France.
Certes, mais à supposer qu'intervienne une condamnation du système français par la Cour européeenne, le problème serait-il résolu pour autant ? La hiérarchie des normes incite, en effet, à considérer que la législation française dans ce domaine peut être considérée comme verrouillée par la décision du Conseil constitutionnel. Une validation constitutionnelle n'a t elle pas une valeur supérieure à une invalidation conventionnelle ?