Liberté Libertés Chéries invite régulièrement ses lecteurs à retrouver les Pères Fondateurs des libertés publiques. Pour comprendre le droit d'aujourd'hui, pour éclairer ses principes fondamentaux et les crises qu'il traverse, il est en effet nécessaire de lire ou de relire ceux qui en ont construit le socle historique et philosophique. Les courts extraits qui seront proposés n'ont pas d'autre objet que de susciter une réflexion un peu détachée des contingences de l'actualité, et de donner envie de lire la suite.
Vers la paix perpétuelle
Emmanuel Kant
1795
VI. Nul État ne doit se permettre, dans une guerre avec un autre, des hostilités qui rendraient impossible, au retour de la paix, la confiance réciproque, comme, par exemple, l’emploi d’assassins (percussores), d’empoisonneurs (venefici), la violation d’une capitulation, l’excitation à la trahison (perduellio) dans l’État auquel il fait la guerre, etc.
Ce sont là de honteux stratagèmes. Il faut qu’il reste encore, au milieu de la guerre, quelque confiance dans les sentiments de l’ennemi ; autrement il n’y aurait plus de traité de paix possible, et les hostilités dégénéreraient en une guerre d’extermination (bellum internecinum), tandis que la guerre n’est que le triste moyen auquel on est condamné à recourir dans l’état de nature, pour soutenir son droit par la force, puisqu’il n’y a point de tribunal établi qui puisse juger juridiquement.
Aucune des deux parties ne peut être tenue pour un ennemi injuste puisque cela supposerait déjà une sentence juridique, mais l’issue du combat, comme dans ce que l’on appelait les jugements de Dieu, décide de quel côté est le droit. Une guerre de punition (bellum punitivum) entre les États ne saurait se concevoir, puisqu’il n’y a entre eux aucun rapport de supérieur à inférieur.
Il suit de là qu’une guerre d’extermination, pouvant entraîner la destruction des deux parties et avec elle celle de toute espèce de droit, ne laisserait de place à la paix perpétuelle que dans le vaste cimetière du genre humain. Il faut donc absolument interdire une pareille guerre, et par conséquent aussi l’emploi des moyens qui y conduisent. — Or il est évident que les moyens indiqués tout à l’heure y mènent infailliblement ; car, si l’on met une fois en usage ces pratiques infernales, qui sont infâmes par elles-mêmes, elles ne s’arrêteront pas avec la guerre, mais elles passeront jusque dans l’état de paix, et elles en détruiront absolument le but. Tel est, par exemple, l’emploi des espions (uti exploratoribus), où l’on se sert de l’infamie des autres, infamie qu’on ne peut plus ensuite extirper entièrement. »
Vous ne pouviez trouver meilleur choix que ce texte d'Emmanuel Kant. La paix, vaste programme aurait dit le général de Gaulle.
RépondreSupprimerLé génie de ce texte tient à la combinaison de sa clarté et de sa concision. Sans parler de sa clairvoyance. A combien de conflits actuels, les préceptes d'Emmanuel Kant pourraient s'appliquer. 2023, année des deux guerres en fournit le meilleur exemple.
Une fois de plus, tout a été bien pensé, bien écrit depuis des siècles sur le binôme guerre et paix. Il ne reste - et ce n'est pas chose aisée - qu'à mettre en pratique la théorie d