L'été 2022 a été marqué par un recrudescence des rodéos urbains. De Pontoise à Vénissieux, en passant par Rennes et Colmar, ces courses folles ont fait des victimes, en particulier des enfants qui se trouvaient malencontreusement sur le passage de ces conducteurs de moto particulièrement inconscients. Ces évènements se déroulent souvent dans un contexte de violence et les forces de police sont bien souvent prises à parti par les participants à ces rodéos.
Ils suscitent actuellement un débat largement politique. Comme toujours, les uns demandent un accroissement de la répression, les autres plaident en faveur de mesures d'accompagnement et de soutien à une jeunesse largement abandonnée des pouvoirs publics. Tous s'accordent pour affirmer que le droit est insuffisant, trop laxiste ou pas assez bienveillant.
Certes, mais le droit précisément n'est jamais rappelé, et personne ne se préoccupe sérieusement de faire le bilan de son application, alors même qu'une loi récente est intervenue sur ce sujet. La loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les rodéos motorisés met en place une répression pénale spécifique, censée comporter une forte dimension dissuasive.
Définition du rodéo urbain
La loi de 2018 donne pour la première fois une définition juridique de cette activité, comme "le fait d'adopter, au moyen d'un véhicule terrestre à moteur, une
conduite répétant de façon intentionnelle des manœuvres constituant des
violations d'obligations particulières de sécurité ou de prudence
prévues par les dispositions législatives et réglementaires (...) qui compromettent la sécurité des usagers de la
route ou qui troublent la tranquillité publique". Ces dispositions figurent désormais dans l'article L 236-1-I du code de la route.
Le fait que ces dispositions figurent dans le code de la route montre que l'interdiction ne porte pas tant sur le fait de se livrer à des manoeuvres dangereuses que sur le fait qu'elles se déroulent sur la voie publique et dans l'espace public. Rien n'interdit en effet de se livrer à des acrobaties à moto ou à scooter sur un circuit spécifiquement équipé à cet effet.
La pénalisation
La loi de 2018 crée un délit spécifique, puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende. Ses éléments constitutifs sont au nombre de trois. D'une part, l'auteur doit avoir eu plusieurs comportements dangereux, dans la mesure est sanctionnée une "conduite répétant des manoeuvres" à risque. D'autre part, il doit avoir enfreint une ou plusieurs dispositions du code de la route. Enfin, son action doit avoir eu pour effet de troubler la tranquillité publique et/ou de menacer la sécurité des usagers. Des circonstances aggravantes peuvent intervenir, lorsque l'auteur de l'infraction conduisait sous l'emprise de la drogue ou de l'alcool, s'il était dépourvu de permis de conduire, ou si les faits étaient commis en réunion,
A cette infraction principale s'ajoutent d'autres délits visant ceux qui incitent à ces rodéos, les organisent ou en font la promotion. La peine atteint alors deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende.
Enfin, et c'est sans doute l'élément essentiel du dispositif, la loi prévoit une peine complémentaire de confiscation obligatoire du véhicule ayant servi à commettre l'infraction. Le juge ne peut en décider autrement que par une décision spécialement motivée. Par ailleurs, des peines complémentaires plus "classiques" peuvent être prononcées, comme la suspension ou l'annulation du permis de conduire, ou encore des travaux d'intérêt général.
Ce dispositif juridique semble donc à la fois complet et cohérent. Mais alors pourquoi se révèle-t-il aussi peu dissuasif ? Certes, on constate une augmentation des condamnations, 54 en 2018, 410 en 2019 et 584 en 2020, mais ces chiffres demeurent modestes par rapport au nombre des rodéos urbains, en accroissement constant. Un rapport parlementaire de septembre 2021, signé des députés Natalia Pouzyreff (LaRem Yvelines) et Robin Reda (à l'époque, LR Essonne), s'interroge sur ce relatif échec.
Repérage des rodéos
La question des rodéos urbains est d'abord celle de leur repérage. Le rapport parlementaire fait état de nombreuses difficultés dans ce domaine. L'usage de la vidéoprotection n'est pas aussi simple que ne le laissent entendre les militants politiques, participants habituels des "talk-shows". La vidéoprotection est de la compétence des communes, et certaines ne sont guère enclines à communiquer les enregistrements aux forces de police, qu'il s'agisse de la police nationale ou de gendarmerie. Quant aux caméras piétons et aux caméras embarquées, on sait que la réticence vient cette fois des syndicats de police.
Restent les drones qui pourraient constituer des instruments utiles dans le repérages des rodéos urbains. Ils constitueraient en outre une alternative efficace à la poursuite des délinquants, toujours dangereuse. Le drone permettrait en effet aux forces de l'ordre de suivre en temps réel l'image de l'auteur de l'infraction jusqu'à l'arrêt du véhicule, l'interpellation pouvant ensuite être effectuée dans des conditions moins dangereuses.
On entend régulièrement que la jurisprudence du Conseil constitutionnel interdit le recours aux drones. Mais cette affirmation est fausse. Elle repose sur l'interprétation de la décision du 20 mai 2021, relative à la loi sur la sécurité globale. Il est exact que le Conseil censure une disposition qui prévoyait l'usage de drones pour des missions de polices administrative et judiciaire. Mais il se borne à affirmer que le cadre d'utilisation des caméras aéroportées ainsi défini n'assurait pas un équilibre satisfaisant entre les atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions d'un côté, et le respect de la vie privée de l'autre. Cette sanction infligée à une loi mal rédigée ne pose aucun principe de prohibition absolue du recours aux drones. En matière de police judiciaire, le Conseil constitutionnel précise même que "cette utilisation doit être assortie de garanties particulières de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée".
En l'espèce, il faut observer que les drones seraient utilisés pour poursuivre les auteurs de délits, et non pas de simples contraventions. Et le législateur pourrait poser des limites à leur usage, à la fois par le contingentement des drones et par un plafond de durée d'utilisation. En tout état de cause, la décision du 20 mai 2021 n'est pas un obstacle aussi important que certains l'affirment.
Identification des auteurs
En l'absence précisément d'instruments efficaces de repérage, l'un des problèmes des rodéos urbains est qu'ils se déroulent souvent avec des véhicules difficilement identifiables.
Certains sont dépourvus de certificat d'immatriculation, notamment les mini-motos et les quads. La loi du 5 mars 2007 prévoyait pourtant l'interdiction de tels véhicules sur l'espace public, leur usage ne pouvant intervenir que dans des lieux privés ou des terrains spécifiquement adaptés. De même doivent-ils être inscrits sur un registre d'identification spécifique, le DICEM. Mais ces règles sont sanctionnées par une contravention de 5è classe qui ne dissuade pas beaucoup les participants des rodéos urbains, pas plus qu'elle n'incite les forces de l'ordre à procéder à opérer des contrôles inopinés.
D'autres deux-roues sont immatriculés mais la question de l'identification n'est pas plus simple. Beaucoup sont prêtés et circulent dans une sorte d'usage collectif par un groupe de délinquants. D'autres sont plus simplement volés. Sur ce dernier point, on note que le rapport parlementaire de septembre 2021 déplore l'absence totale de statistiques dans ce domaine. Impossible donc de savoir le nombre de véhicules volés utilisés pour les rodéos urbains.
Cette information serait pourtant utile, car elle pourrait mettre en lumière le caractère plus ou cosmétique de la peine de confiscation. Il est en effet impossible de confisquer un véhicule à quelqu'un qui n'en est pas propriétaire. S'il est vrai que le légitime propriétaire pourra peut-être récupérer sa moto, l'auteur de l'infraction, quant à lui, n'aura qu'à en voler une autre pour reprendre son activité favorite. De fait, la confiscation est très peu prononcée par les juges, car la personne poursuivie n'est pas propriétaire de l'engin motorisé.
Doctrine d'interpellation des auteurs
Dans l'état actuel du droit, l'interpellation des auteurs est loin d'être sans risque, à la fois pour les passants, les forces de l'ordre et les délinquants eux-mêmes. Pour éviter ces risques, les doctrines d'intervention des forces de l'ordre, élaborées dans tous les cas de refus d'obtempérer, sont particulièrement contraintes.
La doctrine de la Gendarmerie est dite SUN, car elle repose sur les trois principes suivants : sécurité, urgence, nécessité. Le rapport parlementaire cite ainsi un guide interne qui énonce qu'un refus d'obtempérer, en voiture ou en moto, "ne justifie pas, en toutes circonstances, de s'interposer ou de s'engager dans une poursuite entraînant de facto la mise en danger des personnels. Il est inutile de s'exposer pour un timbre amende, alors qu'une interception différée est toujours possible".
La doctrine officielle figure dans une instruction de commandement du directeur central de la sécurité publique datée du 18 août 2020, document qui s'impose à l'ensemble des forces de police. Elle limite la poursuite de véhicules à une liste de cas particulièrement graves, comme la fuite ou l'évasion d'un individu armé ayant l'intention d'attenter à la vie d'un tiers, auteurs d'un crime de sang ou de délits aggravés entrainant un préjudice personnel. On note tout de même un grave défaut de cohérence, puisque les forces de police agissant dans la juridiction du préfet de police peuvent engager un équipage pour poursuivre les auteurs de rodéos urbains, à la condition qu'elles le fassent "avec discernement".
Le flou d'une telle formulation ne doit guère rassurer les forces de l'ordre, d'autant que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) les incite plutôt à la prudence. Dans un arrêt Toubache c. France du 7 juillet 2018, elle sanctionne pour atteinte au droit à la vie le système français qui, à l'époque, avait permis aux gendarmes de tirer sur un véhicule dans lequel se trouvait les auteurs d'un cambriolage, alors même que le conducteur avait refusé à plusieurs reprises d'obtempérer et qu'il avait foncé sur un gendarme, le contraignant à faire un pas de côté pour ne pas se faire écraser. Mais les délinquants n'avaient pas commis de crimes de sang et le fait de tirer sur leur véhicule a été considérée comme une mesure disproportionnée à la menace.
Certains souhaitent modifier cette doctrine d'intervention, mais les propositions demeurent floues, d'autant qu'une évolution dans ce domaine doit s'inscrire dans le cadre posé par la CEDH. Peut-être conviendrait-il de regarder comment les choses se passent à l'étranger ? Les rodéos urbains sont ainsi particulièrement nombreux au Royaume-Uni, où a été mise au point la technique du "Tactical Contact". Il s'agit d'un contact direct avec le conducteur de la moto, dans le but de le faire tomber sans le blesser. Une telle technique exige, à l'évidence, une formation très précise, mais elle semble avoir rencontré un certain succès au Royaume-Uni, les experts britanniques auditionnés par la mission parlementaire française ayant montré que le nombre de rodéos urbains avait "drastiquement baissé" dans ce pays.
En tout état de cause, le débat sur les rodéos urbains mériterait d'être éclairé par une véritable analyse juridique. Il convient à ce propos d'observer la réaction consternante du ministre de l'Intérieur qui s'est borné à imposer aux commissariats de police d'exercer trois contrôles anti-rodéos par
jour, mesure destinée à montrer à la population qu'il fait quelque
chose. Cette vision médiatique a quelque chose d'absurde, tant il est vrai que tous les commissariats ne sont pas confrontés à des rodéos urbains, et qu'ils sont loin d'être absents de la zone gendarmerie. Les rodéos urbains posent un grave problème de sécurité. Ils méritent donc d'être traités sérieusement.
Un Etat, qui pense trouver son salut dans une inflation normative débridée pour soigner les maux de sa société gravement malade, est bien mal en point. Faute de juguler l'anarchie rampante à droit constant, il se promet des lendemains qui déchantent. Pourquoi pas le recours à un Etat de non-droit pour faire droit aux exigences légitimes des citoyens excédés par les facéties du droit existant et de sa mise en oeuvre problématique par des juges idéologues ou hors-sol ?
RépondreSupprimerUn dispositif législatif s’inscrivant dans une politique pénale plus large permettant à l’Etat d’opérer une sélection de sa population carcérale : des jeunes arabes et noires issus de quartiers urbains. Déplorable.
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