Le Président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, saisit le Conseil constitutionnel de la loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine. L'initiative peut surprendre, car ce texte est une "fausse" proposition de loi. Comme bien souvent sous le présent quinquennat, un parlementaire LaRem est chargé de déposer une proposition de loi qui, dans les faits, émane de l'Exécutif. L'avantage réside dans le fait que la proposition est dispensée d'étude d'impact. En l'espèce, Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois, a été chargée de cette mission. On peut dès lors se demander pourquoi le président de l'Assemblée nationale, lui-même issu de LaRem, saisit le Conseil constitutionnel d'un texte voté par la majorité LaRem. Quoi qu'il en soit, on annonce qu'il sera rejoint par un groupe de sénateurs socialistes.
La libération de 150 condamnés pour terrorisme
La proposition de loi trouve son origine dans une situation qui suscite des craintes, d'ailleurs légitimes : la libération prochaine d'environ 150 détenus condamnés pour des faits liés au terrorisme islamiste. Le gouvernement souhaite exercer un contrôle sur ces personnes, dans le but d'empêcher la récidive. La finalité poursuivie est donc tout à fait louable, et même le Garde des Sceaux qui s'était opposé à ce texte à l'époque où il était avocat, y est désormais favorable expliquant aux sénateurs que sa "pensée est un cheminement".
Le texte, très court, ajoute au code de procédure pénale un nouvel article 706-25-15 prévoyant que lorsqu'une personne est condamnée à une peine supérieure ou égale à cinq ans pour des faits liés au terrorisme (ou à trois ans dans le cas d'une récidive légale), la juridiction de la rétention de sûreté peut, sur réquisitions du procureur de la République, ordonner une mesure de sureté à la fin de l'exécution de la peine. Encore faut-il que la personne condamnée "présente une particulière dangerosité caractérisée par
une probabilité très élevée de récidive et par une adhésion persistante à
une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de
terrorisme". Une ou plusieurs mesures peuvent être prises, telles que le placement sous surveillance électronique, l'obligation de pointage régulièrement auprès des autorités de police, l'obligation de résidence dans un lieu déterminé, l'interdiction de se livrer à certaines activités ou de fréquenter certains lieux, voire le respect d'une prise en charge éducative ou psychologique "destinées à permettre la réinsertion et l'acquisition des valeurs de la citoyenneté".
Le précédent de la rétention de sûreté
Les auteurs de la proposition s'appuient sur un précédent texte, pur produit du quinquennat de Nicolas Sarkozy. La loi du 25 février 2008 modifiée par celle du 10 mars 2010 crée en effet une rétention de sûreté. Elle consiste à maintenir enfermé, à
l’issue de sa peine, un criminel présentant un risque élevé de récidive, en
raison notamment de son état psychiatrique.
Elle peut s'appliquer aux personnes condamnées à un
emprisonnement d'une durée égale ou supérieure à quinze ans, pour des crimes
particulièrement odieux, ceux qui sont commis sur une victime mineure, mais
aussi l'assassinat ou le meurtre, les actes de torture ou de barbarie,
l'enlèvement ou la séquestration.
Concrètement, la rétention de sûreté n'a abouti à rien, ou à pas grand-chose. Ses effets utiles ont été largement remis en cause par des jurisprudences convergentes de la Cour européenne des droits de l'homme et du Conseil constitutionnel. Du côté du juge européen, un arrêt du 24 novembre 2011 OH c. Allemagne, la CEDH énonce qu’une telle rétention doit être
considérée comme une peine pénale et prononcée par un juge. Du côté du Conseil constitutionnel, la décision du 21 février 2008 précise qu'une décision de rétention, étant une peine, ne saurait être rétroactive. Autrement dit, la rétention de sûreté ne s'est appliquée qu'aux personnes condamnées après l'intervention de la loi de 2008, et elles se comptent sur les doigts d'une seule main.
Ce précédent ne semble pas avoir été étudié par les auteurs du texte aujourd'hui déféré au Conseil constitutionnel, car il pose le même type de problèmes, d'ailleurs mis en lumière par le Conseil d'Etat dans son avis.
Le placement sous surveillance électronique mobilie (PSEM)
Concrétisé par le port d'un bracelet électronique, le placement sous surveillance électronique mobile est effectivement une mesure de sûreté, mais il ne s'applique que pendant la durée de la peine. Il s'inscrit dans une procédure de liberté conditionnelle et de suivi socio-judiciaire ou de surveillance judiciaire. Géré par l'administration pénitentiaire, le dispositif permet de s'assurer que l'intéressé respecte les obligations qui lui ont été imposées par le juge.
Dans le cas du placement sous surveillance électronique prévu par la présente loi, la décision est certes prise par la juridiction de la rétention, celle-là même qui est compétente pour les rétentions décidées sur le fondement de la loi de 2008. On peut donc en déduire qu'il s'agit d'une peine. Le problème est que le champ d'application temporel de cette peine dépasse la durée de la peine initiale prononcée par le juge lors de la condamnation pour faits de terrorisme. Elle peut en effet être renouvelée jusqu'à dix ans après que l'individu ait purgé sa peine. On doit donc se demander si la personne n'est pas condamnée deux fois pour les mêmes faits, ce qui pourrait entrainer une atteinte au principe non bis in idem.
Pour tenter de résoudre le problème, une solution serait de considérer le PSEM comme une peine complémentaire, mais cette solution viderait la loi de son intérêt immédiat. Dans ce cas en effet, la peine complémentaire doit être prononcée en même temps que la peine principale, ce qui signifie que le PSEM ne s'appliquerait pas aux 150 détenus qui doivent être prochainement libérés. En tout état de cause, s'il s'agit d'une peine pénale, elle ne saurait être rétroactive.
Les Indégivrables. Xavier Gorce. 23 septembre 2010
La nécessité du dispositif
Si l'on considère, non plus le seul PSEM mais l'ensemble du dispositif, on peut s'interroger sur sa nécessité. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 21 février 2008 sur la rétention de sûreté, rappelle que le législateur doit opérer une conciliation entre les atteintes aux libertés nécessitées par la sauvegarde de l'ordre public et l'exercice des libertés constitutionnellement garanties.
Dans le cas présent, il est évident que la lutte contre le terrorisme peut fonder des atteintes à la liberté de circulation des personnes. Il n'en demeure pas moins que les instruments normatifs destinés à assurer sa prévention sont déjà fort nombreux. Dans son avis, le Conseil d'Etat ne manque pas de les énumérer, mentionnant que le délit d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste est devenu "l'instrument essentiel" de cette prévention. Il dresse aussi une liste importante de procédures de surveillance et de suivi socio-judiciaire susceptibles d'être imposées à une personne soupçonnée de liens avec l'islam radical. La loi du 3 juin 2016 permet ainsi un suivi socio-judiciaire des personnes condamnées pour terrorisme très proche de ce qui figure dans la loi soumise au Conseil.
Est-il nécessaire d'ajouter un dispositif supplémentaire à un ensemble déjà conséquent ? Il est difficile de prédire ce que sera la position du Conseil constitutionnel. Tout au plus peut-on observer que, dans sa décision QPC du 10 février 2017, il a considéré que le délit de consultation de sites internet terroristes n'était pas nécessaire, car il existait d'autres moyens de contrôler les sites terroristes et ceux qui les consultent.
D'autres interrogations apparaissent sur ce nouveau dispositif. Est-il réellement adapté à son objet ? Il est sans doute utile de contrôler les personnes condamnées pour terrorisme, mais ce dispositif législatif ne s'étend pas aux personnes condamnées pour des infractions de droit commun, alors même qu'elles sont identifiées comme radicalisées et proches de mouvements terroristes. Or nul n'ignore que bon nombre d'actes de terrorisme sont commis par des individus connus des services de police pour des actes de délinquance et même de petite délinquance.
La mise en oeuvre du dispositif
Si le Conseil examine la mise en oeuvre de ce dispositif, la question posée est cette fois celle de la sécurité juridique. Les auteurs de la loi semblent se référer au précédent de la loi de 2008 comme si les deux procédures étaient parfaitement identiques, la dangerosité d'un individu permettant, dans les deux cas, de justifier ces mesures de sûreté.
Mais les situations sont bien différentes. Dans le cas de la rétention de sûreté issue de la loi de 2008, la dangerosité de la personne est appréciée à travers sa situation psychiatrique, le risque de récidive étant apprécié par des experts. Dans la présente loi, il ne s'agit pas d'évaluer le risque de récidive mais la persistance d'une adhésion à un projet terroriste. Mais comment peut-on effectuer cette évaluation ? On sait que les terroristes sont entraînés à pratiquer la Taqîya, pratique consistant à dissimuler ses convictions pour faire aboutir son projet. Surtout, et c'est le point essentiel, les personnes condamnées pour terrorisme ne sont pas nécessairement atteintes de maladie mentale et l'expertise psychiatrique n'est pas un instrument pertinent pour évaluer leur dangerosité.
Cette dangerosité ne peut donc être évaluée qu'au moment du procès, à partir des faits qui ont eu lieu, et non pas à partir d'une menace hypothétique. Cette constatation pourrait conduire le Conseil constitutionnel à considérer que les mesures de sûreté envisagées devraient l'être dès la condamnation initiale, comme peines complémentaires. Le seul problème est que l'objectif initial de la loi, à savoir la surveillance des 150 condamnés qui vont sortir de prison, disparaît alors totalement.
La saisine du Conseil constitutionnel devrait permettre de lever quelques incertitudes, du moins on l'espère. Mais cette loi instaurant des mesures de sûreté constitue un nouvel exemple d'une législation rédigée rapidement, sur un coin de pupitre. Personne n'a regardé les débats juridiques qui ont entouré la loi de 2008, conduisant à la vider de son contenu. Même si la majorité actuelle est constituée de parlementaires de qualité qui savent tout sans avoir jamais rien appris, il n'est pas mauvais, parfois, de consulter les précédents, de poser les questions en termes juridiques et non pas électoraux.
Bonjour. Je signale, puisque je suis l'auteur des écritures, que le Conseil Constitutionnel a également été saisi, via une QPC récemment transmise par le Conseil d'Etat, de la conformité à la Constitution de l'article 72 de la loi de transformation de la fonction publique concernant la rupture conventionnelle. Sont en jeu (et invoquées dans la QPC, notamment via le 6e alinéa du préambule de 1946) la liberté syndicale, le pluralisme syndical, l'égalité de traitement entre syndicats, la sécurité juridique et la confiance légitime (sous leurs dénominations et qualifications juridiques constitutionnelles dans la QPC, mais aussi, dans le recours en excès de pouvoir, en tant que telles via la jurisprudence de la CEDH) puisque la disposition législative en cause a institué un monopole d'assistance aux agents au bénéfice des syndicats (formellement) représentatifs et au détriment de tous les autres. Bien cordialement
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