La nouvelle
ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Nice le 22 août 2016 à propos d'une interdiction du port du burkini marque une évolution aussi rapide que sensible de sa jurisprudence. On se souvient que,
le 13 août 2016, il avait refusé de suspendre l'arrêté pris par le maire de Cannes. Quelques jours plus tard, il refuse de suspendre une décision identique, prise cette fois par l'élu de Villeneuve-Loubet. Entre les deux décisions, le juge des référés a manifestement pris le temps de réfléchir sur la portée de se décision et d'affiner sa motivation.
Un effort de motivation
Alors que la première ordonnance avait été prise par un juge unique, la seconde est prise en formation collégiale de trois juges. L'article L 511-2 du code de la justice administratif prévoit cette collégialité "lorsque la nature de l'affaire" le justifie. Le tribunal de Nice est donc pleinement conscient de l'importance de sa décision.
L'effort de motivation apparaît déjà dans sa longueur. L'ordonnance du 13 août tenait dans six pages, celle du 22 août compte une quinzaine de pages, au long desquelles le juge explique soigneusement son raisonnement. Sans doute veut-il soigner ses motifs, dès lors que les requérants ont annoncé qu'ils entendaient se tourner vers le Conseil d'Etat.
Précisément, il convient de dire quelques mots des requérants. L'arrêté municipal de Cannes n'était contesté que par quelques personnes physiques et le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF). Aujourd'hui, la Ligue des droits de l'homme s'est jointe au CCIF pour contester l'arrêté de Villeneuve-Loubet. Cette alliance improbable témoigne de la médiatisation d'un débat que les organisations des droits de l'homme investissent avec allégresse.
Rappelons que la procédure utilisée par les requérants est celle du
droit commun, plus précisément le référé-liberté, prévu par l'
article L 521-2 du code de justice administrative (cja). Il permet au juge d'ordonner, dans un délai de 48 heures, "
toute mesure nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale" à laquelle l'administration aurait porté une "
atteinte grave et manifestement illégale". Encore faut-il que la mesure prononcée par je juge soit justifiée par une situation d'urgence caractérisée.
Le juge n'évoque même pas la situation d'urgence, sans doute parce que la situation est identique à celle de Cannes. Le recours n'a été déposé que le 16 août contre un arrêté municipal daté du 5, délai qui montre que les requérants eux-mêmes n'ont pas agi avec une hâte excessive.
La liberté d'exprimer ses convictions religieuses
Les libertés fondamentales dont la violation est invoquée par les requérants ne sont guère différentes de celles mentionnées dans l'ordonnance du 13 août. Ils s'appuient en effet sur "la liberté de manifester ses convictions religieuses", C'est évidemment l'élément essentiel de la requête, et le juge fait observer que "la liberté de se vêtir" qui est également mentionnée n'est, dans les circonstances de l'espèce, qu'un élément de la liberté d'exprimer ses convictions religieuses.
Observons que, dans les deux ordonnances du 13 août et du 22 août, ce sont les requérants eux-mêmes qui se placent sur le terrain des convictions religieuses. Sans doute la mauvaise diffusion du jugement explique-t-elle que certains commentateurs se soient placés dans le déni, feignant de croire que le port du burkini était un costume de bain comme un autre, détaché de toute conviction religieuse. Les requérants, quant à eux, revendiquent le burkini comme signe ostentatoire de la religion.
Le contrôle de proportionnalité
Le juge ne dit pas que l'interdiction du burkini n'emporte aucune atteinte au droit de manifester ses convictions religieuses. Il se borne à exercer son contrôle de proportionnalité, comme il le fait pour toute mesure de police administrative, et il considère qu'en l'espèce cette atteinte est parfaitement proportionnée aux motifs d'ordre public qui sont à l'origine de l'arrêté municipal.
Rien de très nouveau par rapport à l'ordonnance du 13 août, si ce n'est que le juge énumère soigneusement toute la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne sur ce contrôle, rappelant en particulièrement l'arrêt
Refah Partisi c. Turquie du 13 février 2003, par lequel la Cour, en Grande Chambre, admet la limitation de la liberté de manifester sa religion si l'usage de cette liberté porte atteinte aux droits des tiers ou à l'ordre public.
En l'espèce, le juge des référés estime que le burkini est une tenue "inappropriée"pour exprimer ses convictions religieuses. Les non-juristes verront peut-être dans ce terme l'expression d'une condamnation morale. En réalité, il n'en est rien, car cette formulation renvoie simplement à l'exercice du contrôle de proportionnalité,
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Edna Boies Hopkins. The Waves. 1917 |
Fondamentalisme et démarche identitaire
Le juge examine donc, avec beaucoup de précision, l'atteinte à l'ordre public que représente ce vêtement. Sur ce point, l'ordonnance se montre beaucoup plus analytique que celle du 13 août qui se bornait à affirmer qu'il était, dans le contexte actuel de la menace terroriste, "de nature à exacerber les tensions". Le 22 août, le juge explique à ceux qui n'auraient pas compris et il explique que le port du burkini peut être perçu comme une affirmation de fondamentalisme, une démarche identitaire et une atteinte aux droits des femmes.
Citant l'attentat de Saint-Etienne du Rouvray, le juge commence par affirmer que "le fondamentalisme islamiste prône une pratique radicale de la religion, incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, et le principe d'égalité des sexes". A ce titre, le fait d'"afficher, de façon ostentatoire", des convictions susceptibles d'être interprétées comme relevant de ce fondamentalisme peut être considéré comme une atteinte aux convictions ou à l'absence de convictions des autres usagers de la plage. Pour le juge, la communauté française repose sur la "coexistence des religions" qui est précisément combattue par le fondamentalisme. Sur ce point, le burkini peut aussi relever d'une démarche perçue comme identitaire.
Les droits des femmes
Mais l'élément le plus remarquable de l'ordonnance du 22 août, élément qui ne figurait pas dans celle du 13 août, est la référence aux droits des femmes. Certes, le juge ne se réfère pas à la notion de dignité, et il convient de s'interroger sur les motifs de cette abstention.
Ceux qui considèrent que la dignité des femmes n'est pas en cause parce que certaines d'entre elles consentent à porter le burkini ont sans doute oublié la jurisprudence commune de Morsang-sur-Orge qui, en 1995, a donné, pour la première fois, un contenu juridique à cette notion. Rappelons qu'il s'agissait, à l'époque, de sanctionner une attraction consistant en un "lancer de nain", attraction organisée dans une discothèque de la commune. Le Conseil d'Etat en avait alors admis l'interdiction en s'appuyant sur le principe de dignité. Or, le "nain" était parfaitement consentant, et il était même rémunéré pour participer à ce spectacle humiliant. Le principe de dignité n'a donc aucun rapport avec l'éventuel consentement de la victime de cette humiliation. Il se trouve, et c'est ce qu'affirme le Conseil d'Etat, que la dignité des personnes est un élément objectif de l'ordre public.
Pour le moment cependant, cette jurisprudence est demeurée cantonnée dans un domaine très étroit. S'il est vrai qu'elle a été utilisée pour justifier l'interdiction d'un spectacle de Dieudonné, en janvier 2014, le juge y a ensuite renoncé, dans une ordonnance de référé du 6 février 2015, à propos du même spectacle de Dieudonné. Pour le juge niçois, l'invocation du principe de dignité emporte donc un risque d'annulation par le Conseil d'Etat, dès lors que les requérants ont annoncé leur volonté de le saisir.
Le plus simple était donc, et c'est ce que fait l'ordonnance du 22 août 2016, de considérer que le burkini n'est pas conforme au principe d'égalité des sexes. Or, le principe d'égalité des sexes est un Principe général du droit, consacré par le Conseil d'Etat depuis l'arrêt
Fédération des syndicats généraux de l'éducation nationale du 26 juin 1989. Il a même été intégré, par une jurisprudence constante, au contrôle de proportionnalité. Le principe d'égalité des sexes procure ainsi une base solide au juge des référés du tribunal administratif.
Cela ne l'empêche pas de dire ce qu'il a à dire, exactement comme s'il s'était appuyé sur le principe de dignité. Il affirme ainsi que le port du burkini, "qui a pour objet de ne pas exposer le corps de la femme" peut être analysé comme un "effacement de celle-ci et un abaissement de sa place, qui n'est pas conforme à son statut dans une société démocratique". La formulation constitue un véritable camouflet pour ceux qui refusaient absolument de se placer sur le terrain des droits des femmes, comme s'ils ne méritaient pas que l'on se penche sur la question.
Espace public, espace privé
D'une manière plus générale, le tribunal administratif se place davantage au niveau des principes et n'évoque les circonstances locales que très indirectement, en mentionnant l'attentat de Nice, ville voisine de Villeneuve-Loubet. L'essentiel de la décision se situe au plan des principes, et le juge n'hésite pas à rappeler l'existence d'un modèle français de laïcité. C'est ainsi qu'il affirme que "les plages ne constituent pas un lieu adéquat pour exprimer ses convictions religieuses ; que, dans un Etat laïc, elles n'ont pas vocation à être érigées en lieu de culte et doivent rester, au contraire, un lieu de neutralité religieuse". La formulation est claire, et le juge affirme ainsi que l'affirmation des convictions religieuses doit s'exprimer dans les lieux de culte et dans la sphère privée. L'espace public, lui, doit demeurer neutre.
Une simple ordonnance de référé offre ainsi aux requérants un véritable cours de libertés publiques. Il est bon que les choses soient dites.
Votre analyse de cette nouvelle décision du juge des référés du tribunal administratif de Nice constitue, au moins, un quadruple sujet de satisfaction.
RépondreSupprimer- Pour les défenseurs de votre blog (parfois injustement critiqué) qui constatent, s'il en était encre besoin, la pertinence de votre approche du droit positif, y compris sur des sujets sensibles comme le "burkini". Ils y voient un encouragement implicite, si ce n'est explicite, à la poursuite de votre noble aventure au long cours !
- Pour les défenseurs de la laïcité à la française - si souvent décriée dans le monde anglo-saxon - qui y trouvent un sérieux encouragement à poursuivre le noble combat du vivre-ensemble sur des bases saines et claires dans une période d'accélération de la fragmentation de la société.
- Pour les défenseurs des principes - si souvent foulés au pied dans notre "Douce France" - qui y voient, une fois n'est pas coutume, la mise en échec de la maxime de Talleyrand : "Appuyez-vous sur les principes, ils finiront bien par céder" et de la thèse de la chanson de Guy Béart : "Aujourd'hui, les filles s'émancipent en vertu des grands principes et agissent n'importe comment en vertu des grands sentiments".
- Pour les authentiques défenseurs des droits des femmes - non les féministes et autres hypocrites de tout poil - qui y voient un succès amplement mérité des Lumières contre l'obscurantisme et le fanatisme religieux ambiant qui avancent masqués et osent se draper dans les oripeaux de la liberté.
Formons le voeu que le Conseil d'Etat confirme cette jurisprudence! Reste désormais à nos femmes et hommes politiques à prendre leur pleine responsabilité en tirant, au quotidien et non ponctuellement, toutes les conclusions qui s'imposent de cette ordonnance.
"L'action doit être décisive, ou elle est sans objet" (Joseph Kessel, En Syrie, Gallimard, 1926, repris en Folio en 2014, page 87).
L’égarement du TA de Nice
RépondreSupprimerC’est une grave ingérence dans les libertés d’expression et de culte, ainsi qu’une violation de la liberté individuelle et du droit au respect de la vie privée.
En effet, cette tenue de plage est un signe de religiosité de femmes musulmanes qui font un compromis entre modernité (prendre un bain en public) et religion (principe de pudeur et de séparation des sexes). L’interprétation que fait le TA Nice de cette tenue, révèle à elle seule, le manque d’objectivité de ce dernier. Comment un vêtement inventé en 2003 pour permettre aux femmes musulmanes de profiter de la baignade en public, ce qui est contraire au fondamentalisme islamique peut-il être prosélyte ?
Par ailleurs, la liberté individuelle de se vêtir comme on l’entend est pleinement bafouée, car son exercice serait selon le TA de Nice, contraire aux bonnes mœurs et susceptible de porter atteinte aux convictions ou à l'absence de convictions des autres usagers de la plage. Le string ou le tanga aussi Monsieur le juge ? Ensuite, l'arrêté municipal invoque comme motif l'hygiène. Si cet argument paraît pertinent pour une baignade dans une piscine, il est inopérant pour une baignade en pleine mer...
Enfin, le droit au respect de la vie privée est violé, car en effet, les convictions personnelles qui poussent ces femmes à profiter des joies de la baignade mixte en étant habillées, relèvent de leur vie privée. Cela est protégé par la loi du 17 juillet 1970 qui a inséré un article 9 au sein du Code civil qui protège la vie privée de tout individu. Mais également, par la jurisprudence constitutionnelle en date du 23 juillet 1999, qui donne au droit à la vie privée valeur constitutionnelle, et ce, sur le fondement de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Le principe de laïcité
Je ne vois pas en quoi l’Etat doit intervenir au nom de la laïcité sur une tenue de plage qui est contraire au fondamentalisme islamique. Quelle ingérence il y a-t-il de la religion musulmane sur une plage ? Le burkini est une tenue prescrite par le coran ? Bien sûr que non. Quel intérêt il y aurait-il à promouvoir une neutralité sur un espace public comme la plage, comme le fait le TA de Nice ? Pourquoi pas une neutralité au supermarché, au centre commercial, et bientôt dans les transports ?
Tout cela n’est pas sérieux, et nous sommes par ce raisonnement juridique fallacieux et outrecuidant, à deux pas de l’interdiction général dans l’espace public, de tout signe religieux, y compris le voile. L'arrêt Ebrahimian c. France du 26 novembre 2015 concernait une personne travaillant dans la fonction publique hospitalière. Ces personnes peuvent donc voir leur liberté religieuse limitée pendant leur travail, ce qui paraît normal, puisqu’il y là une exigence de neutralité. Mais sur une plage quel intérêt ? Par conséquent, l’argument relatif au principe de la laïcité (même à la française) ne tient pas ici.
Cédric.L
Merci pour ce commentaire juste.
SupprimerExcellente réponse
SupprimerAnalyse véridique et juste !
SupprimerLe contexte local
RépondreSupprimerDonc si je comprends bien, parce qu’il y a eu des attentats revendiqués par une organisation se revendiquant de l’Islam, tout signe religieux ou tenue apparentée à l’islam (burkini) doit être bannie de l’espace public (et notamment de la plage, qui nouveauté : est un lieu neutre) pour ne pas exacerber les tensions. Autrement dit, les musulmans doivent se faire discrets.
Le trouble à l’ordre public selon le TA de Nice, serait causé par l’exercice de la liberté de se vêtir. Or, l’ordre public est menacé plutôt par les oppresseurs de la liberté de prendre un bain habillé. Autrement dit, par des individus intolérants et islamophobes qui sous prétexte de climat d’attentat, se permettent tout et n’importe quoi, la loi Pleven n’est pas loin.
Si des tensions il y a, c'est aux forces d'ordre de les prévenir et de les réprimer le cas échéant (cf. Arrêt Benjamin, car « la liberté est la règle »).
Enfin, comment un tribunal peut-il se laisser aller à la confusion en parlant de contexte d’attentat, alors que cet habit n’a rien à voir ni de près ni de loin, avec l’organisation terroriste fondamentaliste Daech. Puisque cet habit et le principe de la baignade mixte, est interdit aux femmes par les tenants du fondamentalisme islamique. Ce qui pour le coup, viol véritablement la dignité de la femme.
La dignité des femmes
La dignité de la femme exigerait qu’elle ne puisse pas faire preuve de pudeur en raison de sa liberté de conscience et au respect de sa vie privée (convictions personnelles) ? Bien sûr que non.
En réalité, ceux qui invoquent la dignité de la femme dans ce débat sur le burkini, veulent simplement soumettre la femme, à une conception erronée et frelatée de la dignité, en lui imposant l’impudicité. Et pour le coup, ceux-là mêmes qui se griment en défenseur de la liberté, se muent sans le savoir, en despote des droits et des libertés fondamentales les plus banales.
Cédric.L
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RépondreSupprimerTiens ! Quelle surprise ! Les deux commentaires précédents montrent que les Frères musulmans sont de sortie. Ils chassent en bande. Allah nous préserve de leur liberté, et les femmes de leur emprise !
RépondreSupprimerCe commentaire frappé au coin du bon sens élémentaire nous rappelle qu'il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
SupprimerUn élément de l'argumentation du Tribunal de Nice me laisse perplexe.
RépondreSupprimerPour les juges, "le port d’un vêtement sur les plages pour y afficher, de façon ostentatoire, des convictions religieuses susceptibles d’être interprétées comme relevant de ce fondamentalisme religieux, est d’une part, non seulement de nature à porter atteinte aux convictions ou à l’absence de convictions religieuses des autres usagers de la plage, mais d’être ressenti par certains comme une défiance ou une provocation exacerbant les tensions ressenties par la population à la suite de la succession d’attentats islamistes subis en France"
Dans ce passage, ce qui est reproché à la tenue en question, c'est le fait qu'elle puisse "être interprétée" comme un signe de fondamentalisme, ou "être ressentie par certains comme une provocation". Si le burkini peut être interdit, ce n'est donc pas par ce qu'il signifie pour celui qui le porte (le tribunal ne s'aventure pas sur ce terrain), mais en raison des réactions hostiles qu'il pourrait provoquer chez "certains" en raison de leur interprétation du sens de cette tenue: "les risques de troubles à l’ordre public procèdent de (...) l’amalgame qui pourrait être fait par certains entre l’extrêmisme religieux et le vêtement dénommé « burkini » ou ceux qui estimeraient que cette tenue vestimentaire sur les plages dans le contexte des attentats et de l’état d’urgence est une forme de provocation de nature communautariste ou identitaire".
Il me semble que c'est une curieuse idée d'interdire une tenue non en raison de ce qu'elle représente vraiment pour ceux qui la portent, mais en raison de ce que les autres occupants de la place pourraient éventuellement en penser.
Par ailleurs, je trouve amusant que le Tribunal justifie également sa décision (dans le considérant suivant) par le retentissement de la polémique entourant ce vêtement, retentissement qui serait lui même facteur de tensions, alors que cette polémique est justement largement née des arrêtés interdisant le burkini. Autrement dit, les arrêtés ont provoqué une polémique qui a accru les tensions, tensions qui justifient donc a posteriori les arrêtés d'interdiction...
Ceci étant dit, je suis loin d'être un défenseur du burkini, mais je pense, pour quitter un peu le terrain du droit, que ces arrêtés sont assez désastreux. Les images de policiers municipaux approchant des femmes voilées (et non en burkini) sur les plages pour les verbaliser sont catastrophiques.
Je lis ceci : "D'une manière plus générale, le tribunal administratif se place davantage au niveau des principes et n'évoque les circonstances locales que très indirectement, en mentionnant l'attentat de Nice, ville voisine de Villeneuve-Loubet. L'essentiel de la décision se situe au plan des principes, et le juge n'hésite pas à rappeler l'existence d'un modèle français de laïcité. C'est ainsi qu'il affirme que "les plages ne constituent pas un lieu adéquat pour exprimer ses convictions religieuses ; que, dans un Etat laïc, elles n'ont pas vocation à être érigées en lieu de culte et doivent rester, au contraire, un lieu de neutralité religieuse". La formulation est claire, et le juge affirme ainsi que l'affirmation des convictions religieuses doit s'exprimer dans les lieux de culte et dans la sphère privée. L'espace public, lui, doit demeurer neutre."
RépondreSupprimerOr il y a quelques jours, le 15 août 2016, j'ai assisté à une "fête de la mer", à Lacanau-Océan (Gironde), qui incluait notamment ceci : "En présence de Mr le Maire et de ses élus, moment de recueillement et d’hommage à nos disparus en mer. À l’issue de la cérémonie, les Maîtres Nageurs Sauveteurs accompagnés de nombreux surfers, rejoignent le large. Ils forment un cercle au centre duquel Dragon33, l’hélicoptère de la Sécurité civile, vient déposer une gerbe de fleurs.
MESSE EN PLEIN AIR 18H30 – Rond-point de la Plage Centrale".
Cette messe, protégée par des policiers ou des gendarmes, a été présidée par l'évêque auxiliaire de Bordeaux. Elle a été célébrée sur l'esplanade qui domine la plage centrale. À l'issue de cette messe, une gerbe de fleurs a été bénie par le clergé catholique et a été transportée sur la plage par des Maîtres Nageurs Sauveteurs, accompagnés sur cette plage par le clergé qui continuait à porter ses vêtements liturgiques.
Votre raisonnement et celui du TA de Nice doit-il conduire à interdire dorénavant à la paroisse catholique de Lacanau (Gironde), à l'office de tourisme, aux surfeurs et à la municipalité de cette commune, l'organisation d'un tel événement ? Si c'est le cas, comment pouvez-vous justifier une telle atteinte à l'exercice du culte et au droit de manifestation (les processions du 15 août sont jusqu'à présent parfaitement légales, de même que le fait de célébrer, à titre exceptionnel, la messe sur l'espace public, et il existe une jurisprudence abondante là-dessus, depuis le début du XXe siècle) ? Si ce n'est pas le cas, comment pouvez-vous justifier ce raisonnement du TA de Nice sans vous contredire ?
La réponse à votre question tient en trois mots : interprétation du droit. Cette dernière tient, qu'on le veuille ou non, compte du contexte général ambiant. Les attentats du 14 juillet à Nice (jour de la fête nationale) et ceux de Saint-Etienne-du-Rouvray (dans une église contre un prêtre artisan du dialogue interreligieux) n'y sont peut-être pas totalement étrangers. Ne pas en tenir compte serait irresponsable ! A chacun de prendre ses responsabilités.
SupprimerJe pense que la leçon sur les libertés publiques viendra plutôt du Conseil d’État qui remettra certains maires, juges (et professeurs de droit public) gentiment à leur place.
RépondreSupprimerLe Conseil d’État vient effectivement de remettre les pendules à l'heure.
RépondreSupprimer"Le juge des référés du Conseil d’État conclut donc que l’article 4.3 de l’arrêté contesté a porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle."
Les deux seules questions qui méritent d'être posées sont de savoir si cette décision constitue une victoire totale ou une victoire à la Pyrrhus ? Si elle contribue à apaiser les esprits ou bien à les enflammer ? Nous aurons une partie de la réponse à ces questions en mai 2017. Cette fois-là ce sont ni le pouvoir exécutif, ni le pouvoir judiciaire qui trancheront le problème mais le peuple souverain. Et la surprise risque d'être de taille pour ceux qui crient victoire aujourd'hui !
SupprimerJ'ai du mal à saisir deux choses :
RépondreSupprimer1/ pourquoi la laïcité devrait-elle être imposée à ceux qui expriment une croyance religieuse et qui ne sont pas agents de l'Etat ? Aucun lieu n'exige une neutralité pas tous, pas même l'école (un parent venant y discuter pédagogie n'a pas à ôter son vêtement religieux). La plage comme lieu neutre, c'est rigolo à l'heure de la propagande politique délivrée par les partis sur les plages justement. Autrement dit, la laïcité imposerait de masquer sa croyance pour permettre la coexistence des croyances ?
2/ le recours à la subjectivité des perceptions du burkini rend la liberté individuelle terriblement mouvante. Car assimiler le burkini avec un message d'hostilité envers la communauté nationale est une erreur : s'autoriser de ce raisonnement pour l'interdire revient à le valider. Il n'y a "provocation" (à quoi ?) que dans des esprits 1/ peu au fait de l'islam (le Canard de cette semaine rappelle que le burkini n'est pas franchement un signe de fondamentalisme, au contraire) 2/ prompts à rendre responsables tous les musulmans des actes terroristes récents. Un maire ou un conseiller de TA n'a pas à apporter son soutien à ces esprits aigris.
Pour finir, l'invocation du droit des femmes laisse perplexe : le burkini "qui a pour objet de ne pas exposer le corps de la femme" reviendrait à un "effacement de celle-ci et un abaissement de sa place" ? Encore une fois, n'est-ce pas laisser libre court à une imagination, une subjectivité un peu débridée ? Il faudrait, pour qu'une femme soit bien considérée, qu'on s'assure qu'elle expose son corps ?
Depuis le Conseil d'Etat a tranché, infirmant le tribunal administratif. L'avocat de la Ligue des droits de l'homme a très bien expliqué la situation juridique de cet arrêté qui a été suspendu.
SupprimerDonc il n'y a pas d'inflexion de la jurisprudence.
La restriction des libertés fondamentales ne peuvent être qu'exceptionnelles.
Certes, même si nous n'apprécions pas cette façon de montrer ostensiblement sa religion par l'habillement sur une plage, même si nous faisons un rapprochement avec les attentats, donc avec la minorité radicale, voire terroriste d'une religion, le port de ce type de vêtement (ne couvrant pas le visage), relève d'une liberté fondamentale. Que dirions nous, si par la suite, nous devions interdire aux moines, aux religieuses et aux rabbins de se rendre sur une plage avec un signe ostensible? Pourquoi pas eux, et seulement les musulmans?
Alors qu'en réalité, il n'y a pas eu encore d'incidents avec le burkini, il n'y a pas de menace de trouble grave à l'ordre public (pour l'instant).
Une femme est donc libre de porter ce type de vêtement sur une plage, il ne peut appartenir à un maire de faire comme si elle y était contrainte (par son mari, par son milieu...). Certes il y a probablement des cas où la liberté de ces femmes n'est pas respectée, mais cela relève d'une autre démarche juridiciaire. On ne peut généraliser.
Même une loi dans ce sens devrait être anticonstitutionnelle, sauf si elle restreint cette possibilité aux seuls cas de troubles graves à l'ordre public.
Ce débat passionné des français est devenu en réalité un dérapage politique (largement évoqué par la presse étrangère).
La lutte contre l'extrémisme passe absolument par la défense des libertés fondamentales, car, sans cette défense, nous devenons également extrémistes.
Il faut donc s'interroger pourquoi ces femmes, généralement éduquées en France, parfois diplômées, en viennent là, pourquoi elles ne se contentent pas d'un islam plus "discret", plus compatible avec la culture laïque de notre pays?
Pourquoi des croyants musulmans croient que leur religion leur impose cela? pourquoi il faudrait que ces personnes appliquent à la lettre des préceptes religieux stricts dans un pays où elle sont libres?
Le fond de la question c'est cela. Comment a été éveillée la liberté de conscience de ces personnes?
Comment voient-elles la liberté des femmes?
Nous avons du chemin à faire face à cette religion aux multiples facettes, sans limites précises entre les différents courants, mais néanmoins la première du monde (donc il est vain de la rendre invisible), et sans vrai clergé et sans hiérarchie?
J'espère que notre pays continuera de consacrer les libertés fondamentales, et que les différentes religions et l'athéïsme pourront toujours y cohabiter sans s'affronter, dans le respect mutuel.
Il faut que la laïcité soit de la pédagogie, non de la vindicte.