Les présentations
Il n'est guère surprenant que le Conseil ait déclaré conformes à la Constitution les nouvelles règles relatives aux présentations. Le texte impose en effet une obligation de transparence totale des 500 signatures exigées pour que la candidature soit recevable. Celles-ci sont désormais envoyées directement au Conseil par l'élu local et non plus par le candidat. Elles sont publiées au fur et à mesure de leur
arrivée, et non plus, par en une fois au moment du dépôt officiel de la
candidature. Enfin, elles sont toutes publiées, alors qu'auparavant un tirage au sort permettait de sélectionner 500 signatures parmi les milliers que réunissaient les candidats des partis dotés d'une large audience nationale. On ne voit pas sur quel fondement le Conseil aurait déclaré inconstitutionnel ce principe de transparence.
Sa propre jurisprudence ne laissait aucun doute sur la question. Saisi par Marine Le Pen d'une QPC, le Conseil a estimé,
le 21 février 2012, que
la publicité des parrainages ne fait que mettre en oeuvre un principe de
transparence et ne saurait portait atteinte au pluralisme des courants
d'opinion. Personne ne nie que cette publication des signatures constitue un sérieux handicap pour les petits partis qui ne disposent pas d'un socle d'élus locaux suffisant pour leur apporter 500 signatures. C'est bien fâcheux, et cet inconvénient était relevé par le Conseil, non plus dans une décision, mais dans son rapport sur l'élection de 2012. Il affirmait alors que "
ce dispositif suscite des débats et laisse
subsister une incertitude sur la possibilité de participer au premier
tour du scrutin de représentants de certaines
formations politiques, présentes lors de scrutins
précédents, qui ont obtenu en définitive un très grand nombre de voix". Ce texte avait l'apparence d'un appel au législateur, appel entendu d'une étrange manière, puisque la loi établit certes une transparence totale, mais ne réduit en aucun cas les difficultés rencontrées par les petits partis.
Observons tout de même que le Conseil constitutionnel montre l'intérêt qu'il porte à la question en formulant une réserve d'interprétation sur laquelle les commentateurs ne manqueront pas de se pencher. Notant que les signatures doivent lui être acheminées par "
voie postale", il mentionne qu'il lui appartiendra, le cas échéant, de "
prendre en considération des circonstances
de force majeure ayant gravement affecté l'expédition et l'acheminement
des présentations dans les jours précédant
l'expiration du délai de présentation des
candidats à l'élection du Président de la République". Autrement dit, si les postiers votent la grève quelques jours avant la clôture des candidatures, le Conseil constitutionnel pourra faire preuve de l'imagination imposée par les circonstances, et accepter des acheminements à pied, à cheval, en voiture ou en bateau à voile, selon une formule chère à Jacques Prévert.
Ferdinand Lop. Les actualités françaises. 1952
Le temps d'antenne
La question du temps d'antenne suscitait des doutes plus importants sur la constitutionnalité des dispositions adoptées. La loi organique réduit la période de stricte d'égalité entre les candidats aux deux
dernières semaines avant le scrutin. Durant la période qui précède, dont
on ne sait d'ailleurs pas quand elle commence, l'exposition médiatique des candidats repose désormais sur le principe d'équité. Il appartiendra au CSA de veiller au traitement "équitable", à partir de la
représentativité de chaque candidat et de sa "contribution à l'animation du débat électoral".
La
représentativité de chaque candidat sera appréciée par le CSA à
partir de différents critères tels que les résultats obtenus aux précédentes consultations électorales ou ceux anticipés par les sondages d'opinion. Au principe d'égalité devant la loi est substitué un principe d'équité qui induit de facto une discrimination entre les candidats.
Quant à "
l'animation du débat électoral", force est de constater que cette notion manque de clarté. Les candidats sont-ils des animateurs, comme les clowns dans les cirques ? L'expression témoigne de peu de considération pour l'élection et le corps électoral. N'aurait-il pas été plus judicieux d'évoquer leur "contribution" au débat électoral ?
Il n'est pas impossible que le CSA, et le Conseil constitutionnel comme juge de l'élection présidentielle, se bornent à reprendre le principe affirmé par le Conseil d'Etat, dans son
arrêt Corinne Lepage du 7 mars 2007. Il y précise que la représentativité d'un candidat peut être évaluée à l'aune de sa "
capacité à manifester concrètement l'intention d'être candidat", c'est-à-dire l'organisation de réunions publiques, la participation à des débats, la création d'instruments de communication spécifiques ou encore la désignation d'un mandataire financier. Le législateur a toutefois préféré la formulation plus large d'"
animation du débat électoral", laissant au CSA et au Conseil constitutionnel une très large marge d'interprétation.
Dans ces dispositions, rien ne gêne le Conseil qui décide finalement que le législateur a opéré une "
conciliation qui n'est pas déséquilibrée" entre la liberté de communication, le principe d'égalité, le principe de pluralisme des opinions garanti par
l'article 4 de la Constitution, et enfin l'objectif de
valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Il procède par affirmation, et sans doute aurait-il pu affirmer le contraire.
L'impartialité du Conseil constitutionnel
Reste un dernier principe à évoquer, qui apparaît clairement à la lecture de la décision. Celle-ci s'achève par la formule usuelle : "Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 avril 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS président,.. (suit le nom des membres présents). Laurent Fabius a prêté serment comme nouveau membre du Conseil constitutionnel le 8 mars 2016, Conseil dont il est immédiatement devenu le président. Il y à peine plus d'un mois, il était membre du gouvernement et soutenait le projet de loi sur la modernisation des règles relatives à l'élection présidentielle. Aujourd'hui, il est appelé à présider l'instance qui en apprécie la constitutionnalité.
Certains mettront en cause l'impartialité de l'individu Laurent Fabius qui aurait pu choisir de se déporter. Mais si la question s'est déjà posée en termes identiques pour bon nombre de ses prédécesseurs et elle se pose avec une acuité encore plus grande pour les membres de droit du Conseil, c'est-à-dire les anciens présidents de la République.
En revanche, l'impartialité objective de l'institution qu'est le Conseil constitutionnel est posée. Rappelons que, aux yeux de la Cour européenne, le procès équitable suppose une institution qui paraît impartiale et qui, à ce titre, inspire confiance au justiciable.
Certes, on objectera que le Conseil constitutionnel n'est pas une juridiction, au sens français du terme. En droit européen cependant, c'est l'ensemble de la procédure contentieuse qui doit présenter des garanties d'impartialité. Or la QPC constitue désormais une étape essentielle dans une telle procédure, et la Cour européenne a déjà accepté d'apprécier une QPC, dans
un arrêt Renard du 25 août 2015. En l'espèce, la contestation ne portait que sur le filtre des juridictions suprêmes, le requérant contestant le refus de renvoi d'une QPC qui lui avait été opposé par la Cour de cassation. Il est fort probable cependant que la Cour européenne sera, dans un délai plus ou moins proche, appelée à statuer sur l'impartialité objective de la procédure de QPC devant le Conseil constitutionnel. Que pensera-t- elle d'une institution qui apprécie la conformité à la constitution d'une loi que son président soutenait un mois avant, à une époque où il était ministre ? Pour éviter le risque d'une mise en cause directe du juge constitutionnel, la modification de la composition du Conseil devient une ardente nécessité. Hélas, les débats récents sur l'état d'urgence et la déchéance de nationalité ont montré l'impossibilité actuelle d'engager une réforme constitutionnelle.
Les QPC peuvent concerner des lois adoptées des années auparavant. A moins d'interdire d'être membre du CC à tous les anciens ministres (ainsi qu'à tous les anciens parlementaires) on ne voit pas bien quelle règle de composition du Conseil pourrait éviter des situations comme celle-ci. Clairement, Fabius aurait dû se déporter.
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