Le
16 mars 2016, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt très critiqué. Elle a en effet cassé la condamnation de l'auteur de ce que l'on appelle désormais le
Revenge Porn, au motif qu'une telle sanction est dépourvue de fondement juridique.
Le Revenge Porn
Cette "vengeance pornographique" est désignée par une formulation anglo-saxonne, sans doute parce qu'il s'agit d'une pratique particulièrement consternante qui est apparue aux Etats-Unis et qui tend aujourd'hui à se répandre en Europe.
Les faits sont toujours à peu près identiques : une
jeune femme accepte de poser nue pour celui qui partage sa vie. Des photos dites de charme sont réalisées, avec son consentement. Quelques semaines, quelques mois ou quelques années plus tard, elle décide de rompre. Tout le problème est là : le couple disparaît mais les photos demeurent. Ces clichés peuvent alors devenir une arme redoutable
pour un ancien compagnon animé par le désir de vengeance ou l'appât du
gain, et dépourvu de toute élégance ou de tout scrupule. Il suffit en effet de les diffuser sur internet pour porter un préjudice considérable à l'intéressée.
Un problème d'articulation
Heureusement, tous les hommes ne sont pas des goujats et la situation est plutôt rare. C'est pourtant ce qui est arrivé à Mme Y., dont le compagnon, M. X. a diffusé la photo, nue et enceinte, sur internet. Elle a donc porté plainte pour violation de sa vie privée, sur le fondement de l'
article 226-1 du code pénal (cpp) ainsi rédigé :
"Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le
fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter
atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui (...), en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement
de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé."
Il est ensuite précisé que lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu
et au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils
étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé.
L
'article 226-2 cpp sanctionne ensuite de la même peine le "
fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du
public ou d'un tiers ou d'utiliser de quelque manière que ce soit tout
enregistrement ou document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus" par l'article précédent.
S'appuyant sur ces deux dispositions, le tribunal correctionnel a condamné M. X., estimant que le délit de l'article 226-2 cpp était constitué. Ce dernier a en effet commencé par fixer l'image de sa compagne dans un lieu privé, avant de la diffuser sur internet et donc de l'utiliser à des fins de vengeance.
La décision de la Cour d'appel repose sur une interprétation large de la notion de "transmission" employée dans l'article 226-1 ccp. Mme Y. , en effet, ne pouvait manifester son opposition dès lors que son image a été "transmise" à son insu sur internet. A dire vrai, cet élargissement semblait souhaitable puisqu'il permettait de sanctionner le Revenge Porn, sans modifier le droit positif. En outre, cette solution permettait d'éviter une situation pour le moins paradoxale, dès lors qu'il est interdit d'envoyer une photographie par courriel, mais pas de la diffuser sur internet.
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Picasso. Femme enceinte. 1949 |
L'interprétation étroite en matière pénale
Certes, mais la Cour de cassation applique avec une rigueur quelque peu tatillonne le principe de l'interprétation étroite en matière pénale. Elle fait observer que l'article 226-1 cpp concerne les différentes manières de se procurer l'image, captation, enregistrement ou transmission. Figurant dans l'article 226-1 cpp, la "transmission" vise les différentes techniques pour obtenir une image à distance, envoi par courriel ou utilisation d'une web-cam à l'insu de la personne. L'article 226-2 cpp, quant à lui, vise l'utilisation de l'image obtenue dans les conditions de l'article 226-1 cpp. La diffusion du cliché n'est alors sanctionnée que si l'intéressée n'a pas donné son consentement.
Le problème est que Mme Y. avait parfaitement donné son consentement à la photographie, à l'époque où il s'agissait de prendre la pose devant son compagnon. L'article 226-1 n'est donc pas applicable à l'espèce. Par voie de conséquence, l'article 226-2, dont la mise en oeuvre est conditionnée par celle du précédent, n'est pas davantage applicable.
Un appel au législateur
Certes, on aurait souhaité un peu moins de rigueur et un peu plus de compréhension de la situation de Mme Y. Pour autant, contrairement à ce qu'affirme
Huffington Post, la Cour ne cherche pas à "
octroyer un permis de Revenge Porn", mais se borne à constater le défaut de fondement de fondement juridique.
La décision de la Chambre criminelle s'analyse ainsi comme un appel au législateur. C'est à lui de décider dans quelle mesure le Revenge Porn doit être pénalement poursuivi et puni, et selon quelle échelle de peines. Déjà un amendement déposé par les députsé Sergio Coronado (EELV, Français établis hors de France) et Isabelle Attard (EELV, Calvados) au projet de loi relatif à l'économie numérique défendu par Axelle Lemaire suggère d'introduire dans ce texte un nouvelle article 33-4. Il prévoit de punir de deux ans d'emprisonnement et 60 000 € d’amende "le fait de
transmettre ou de diffuser sans le consentement exprès de la personne
l’image ou la voix de celle-ci, prise dans un lieu public ou privé, dès
lors qu’elle présente un caractère sexuel". Cet amendement a été voté en première lecture, et il appartient désormais au Sénat de se prononcer. La Cour de cassation, dans sa décision du 16 mars 2016, invite le Parlement à débattre sur cette question et à combler ce vide juridique.
Et Mme Y. ?
Et Mme Y. ? Que devient-elle dans l'affaire ? On peut déplorer qu'elle ait été mal conseillée. En fonction de l'état du droit, il aurait été préférable d'agir devant le juge civil, afin de demander réparation du préjudice subi. Dans une
décision rendue du 10 janvier 2013, le juge des référés du TGI de Paris rappelait ainsi l'existence d'un droit exclusif de la personne sur son image, justifiant une action civile lorsque cette image est utilisée sans le consentement de l'intéressé. Depuis une
décision de la Cour de cassation du 12 décembre 2000, il est d'ailleurs acquis que "
l'atteinte
au respect dû à la vie privée et l'atteinte au droit de chacun sur son
image constituent des sources de préjudice distinctes, ouvrant droit à
des réparations distinctes".
Hélas, pour avoir préféré la voie pénale, Mme Y. est désormais doublement victime. Elle est d'abord victime des pratiques de son ex-compagnon. Mais elle est aussi victime d'une jurisprudence qui lui refuse finalement le droit d'obtenir justice.
Merci d'avoir éclarci cet arrêt. Toutefois, comment comprendre le mot "transmettant" dans l'article 226-1 s'il ne s'applique qu'à l'obtention de l'image? Comment obtient-on une image en la transmettant?
RépondreSupprimerpar une caméra qui transmet une image, non ?
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