Le statut juridique du Président de la République a été modifié par la
révision de 2007 modifiant la rédaction des articles 67 et 68 de la Constitution. Ils ont pour objet le statut pénal du chef de l'Etat. L'application de l'Article 68 imposait toutefois l'adoption d'une loi organique. Sept années plus tard,
ce texte n'est toujours pas voté.
Purement et simplement oublié durant le quinquennat de
Nicolas Sarkozy, oubli qui pourrait laisser penser que ce dernier
redoutait son entrée en vigueur, le projet de loi organique n'a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale que le
24 janvier 2012, quelques mois avant l'élection de François Hollande. Transmis au Sénat, ce dernier l'a voté en première lecture le 21 octobre 2014, deux ans et demi après qu'il lui ait été soumis et après les élections sénatoriales de septembre 2014 marquées par une nette victoire de la droite. De ce processus, on doit d'abord déduire que le vote de ce texte n'est pas dépourvu d'arrière-pensées politiques.
L'impossible équilibre
Mais comment expliquer une telle situation à propos d'une loi qui ne semble pas susciter aucune opposition ? Rappelons en effet qu'elle a été votée au Sénat par 324 voix contre 18, et que la révision constitutionnelle a été présentée comme une solution équilibrée au problème du statut pénal du Président de la République. Il s'agit en effet de renforcer son inviolabilité durant son mandat (Article 67) tout en consacrant une procédure de destitution dans le cas de "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat" (Article 68). Le problème est que cet équilibre ne peut pas exister car les deux procédures ne sont pas de même nature.
La procédure de l'Article 67, contrairement à ce qui est souvent affirmé, n'offre pas au Président un statut d'irresponsabilité pénale. Il lui offre seulement, et c'est déjà considérable, une inviolabilité qui interdit aux juges de prendre quelque mesure que ce soit à son encontre avant la fin de ses fonctions. A l'issue de son mandat, cette inviolabilité prend fin et sa responsabilité peut donc être engagée, comme en témoignent les multiples procédures mettant en cause Nicolas Sarkozy. Quoi qu'il en soit, le fait qu'il s'agisse d'inviolabilité et non pas d'irresponsabilité ne change rien à la nature pénale de cette procédure.
La destitution prévue par l'Article 68, contrairement à ce que cette terminologie pourrait laisser, n'est pas de nature pénale. Elle n'est pas davantage liée à l'empêchement constaté par le Conseil constitutionnel, lorsque le Président n'est plus en mesure d'exercer ses fonctions (Article 7). Il s'agit alors de constater une incapacité alors que la destitution relève plutôt de l'indignité politique. Elle s'analyse comme l'engagement d'une responsabilité politique. L'évocation d'un équilibre entre une inviolabilité pénale et une responsabilité politique apparaît ainsi comme une fiction juridique.
La destitution, une responsabilité politique
La Commission présidée par Pierre Avril, dont le
rapport est à l'origine de la révision de 2007, assume pleinement la nature politique de la procédure de destitution qu'elle suggère. A ses yeux, la responsabilité du Chef de l'Etat ne peut pas, dans son essence même, être pénale. Quand bien même elle serait affirmée comme telle, elle se transformerait nécessairement en responsabilité politique. La question posée n'est pas celle de savoir si le Président a commis ou non des agissements répréhensibles, "
mais s'il reste en mesure d'exercer dignement ses fonctions". La Constitution traduit exactement cette analyse, et c'est la raison pour laquelle la "
Haute Cour" a été substituée à la Haute Cour "
de Justice". Il ne s'agit plus de rendre la justice mais de faire figurer dans les institutions une "
soupape de sûreté", de nature politique, destinées à être utilisée dans des cas exceptionnels.
Libération, affirmant citer Didier Maus, déclare ainsi que la procédure pourrait être utilisée lorsque le Président "n'assure plus le fonctionnement régulier des pouvoirs publics", par exemple quand il ne signe plus les lois "ou utilise les pouvoirs qu'elle lui octroie de manière abusive", voire "commet un crime ou déraille complètement dans une expression publique etc..". La formulation fait peur. A partir de quel moment un pouvoir constitutionnel est-il exercé "de manière abusive" ? Quand doit-on considérer que le Président "déraille" ? Le moins que l'on puisse dire est que la qualification juridique de tels comportements est largement subjective. Nicolas Sarkozy a-t-il "déraillé" ou non lorsqu'il criait "Casse toi pôv' con" ? La plupart de ceux qui, aujourd'hui, pratiquent avec allégresse le "Hollande Bashing" ne sont-ils pas prêts à considérer que celui qu'ils poursuivent de leur animosité devrait être destitué, pour la seule raison qu'ils ne sont pas d'accord avec sa politique ?
Les débats qui se sont déroulés au parlement à propos de la loi organique ont évidemment fait état ces incertitudes. Elles ont néanmoins été écartées en considérant qu'il suffisait de rendre la procédure de destitution difficile à mettre en oeuvre pour en éviter les abus. Or, s'il est vrai que la procédure est relativement complexe, force est de constater que son succès repose exclusivement sur l'existence d'une majorité parlementaire en faveur de la destitution.
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Dessin de Jean Robert. 1877 |
Une procédure volontairement complexe
Certes, la destitution ne peut aboutir que s'il existe au sein du parlement un consensus en faveur de la saisine de la Haute Cour. Ce consensus doit d'abord exister au sein de l'Assemblée parlementaire qui prend l'initiative de la procédure, par une résolution signée par au moins 1/10è de ses membres et votée à la majorité de 2/3è. Ce consensus doit aussi exister au sein du parlement dans son ensemble puisque la résolution doit ensuite être adoptée par l'autre chambre, dans les mêmes conditions de majorité qualifiée. En l'absence de vote de la seconde chambre, qu'il s'agisse de l'Assemblée nationale ou du Sénat, la procédure est abandonnée.
Une fois acquis ces deux votes, une commission composée des vice-présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête parlementaire, dispose de quinze jours pour "recueillir toute information nécessaire" et transmettre ainsi à la Haute Cour un dossier aussi complet que possible sur les éléments reprochés au Président de la République. La Haute Cour, dont on rappellera qu'elle est composée de l'ensemble des membres du parlement, saisie du dossier dès le vote des résolutions, dispose d'un mois pour statuer. Les débats s'y déroulent, quant à eux, durant une période de quarante-huit heures. Le Président de la République peut évidemment y participer ou s'y faire représenter par une personne de son choix. Là encore, le vote sur la destitution est acquis à la majorité qualifiée des 2/3è des membres de la Haute Cour.
De toute évidence, la procédure de destitution est donc enfermée dans des contraintes lourdes, contraintes de délai pour ne pas paralyser trop longuement le fonctionnement des institutions, contraintes de majorité aussi puisque la mise en cause du Président doit être acquise à la majorité des 2/3è dans chaque assemblée, comme sa destitution qui intervient à la majorité des 2/3è de l'ensemble de la Haute Cour.
Destitution et fait majoritaire
Reste que ces obstacles sont loin d'être insurmontables si les partisans de la destitution sont suffisamment nombreux et résolus. Certes, la loi organique prévoit qu'un parlementaire ne pourra signer qu'une seule proposition de résolution en faveur de la destitution par session, mais une telle proposition doit être signée par au minimum 1/10è des membres de l'Assemblée ou du Sénat. Il suffit donc de calibrer le nombre des signataires pour ne pas dépasser ce seuil. Les 9/10è des parlementaires conservent ainsi la possibilité de signer une autre proposition de résolution pendant la suite de la session. Quant aux différentes majorités des 2/3è, elles peuvent être acquises par des majorités de circonstance, réunies dans le seul but d'organiser une nouvelle élection présidentielle, celle-ci devant intervenir entre vingt et trente-cinq jours après la destitution.
Les conditions de fond de la destitution font l'objet d'un contrôle par le bureau, puis par la Commission des lois de l'Assemblée à l'origine de la proposition de résolution, cette dernière devant être motivée. Là encore, la précaution semble de pure forme, tant il est vrai que les conditions de fond demeurent extrêmement floues. En tout état de cause, ce sont les parlementaires eux-mêmes qui apprécient si le Président a commis un "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat". Et puisqu'il ne s'agit pas de responsabilité pénale, la décision est sans recours. On notera d'ailleurs que le Président destitué, accusé de multiples turpides, a tout à fait la possibilité de se représenter aux élections présidentielles.
Sabre de bois ou bombe à retardement
En cas de procédure de destitution, on peut penser que le Président quel qu'il soit, ne restera pas inactif. Certes les pouvoirs exceptionnels de l'Article 16 demeurent bien difficiles à mettre en oeuvre. Mais il peut dissoudre l'Assemblée nationale car, rappelons-le, il n'est privé d'aucune de ses compétences tant que la destitution n'est pas prononcée. Il peut également démissionner de façon préventive, avant la fin de la procédure de destitution, puis se représenter aux élections qui suivent et, s'il est réélu, dissoudre l'Assemblée. Dans ces hypothèses, une crise institutionnelle vient s'ajouter à la crise politique, heureusement tranchée en définitive par le corps électoral, éventuellement en plusieurs étapes.
Présentée comme une mesure technique, la procédure de destitution impose en réalité une mise en cause de l'équilibre du régime, suscitant un renforcement des pouvoirs du parlement et un affaiblissement corrélatif de la fonction présidentielle. Alors que la Vème République repose sur l'irresponsabilité politique du Président, irresponsabilité d'ailleurs affirmée dans la Constitution, on voit apparaître subrepticement une responsabilité politique entièrement liée au fait majoritaire. Derrière le discours affirmant le renforcement de la fonction présidentielle apparaît ainsi en filigrane la nostalgie du régime parlementaire, version IIIè République.
Supposons un instant un Président impopulaire qui, confronté à une fronde de la majorité, préfère exercer son droit de dissolution. Cette dissolution risque fort de conduire à une période de cohabitation. Et si l'opposition dispose de la majorité des 2/3è dans chaque assemblée, et donc à la Haute Cour, ne risque-t-elle pas de s'engager dans une procédure de destitution ? Et les faits reprochés au Président seront alors définis par le parlement lui-même. Une telle situation n'est pas tout à fait une hypothèse d'école mais un danger bien réel pour l'équilibre de nos institutions. Il reste à attendre la décision du Conseil constitutionnel, obligatoirement saisi des lois organiques.
Ces réflexions de l'ancien procureur, Eric de Mongolfier ("Une morale pour les aigles, une autre pour les pigeons", Michel Lafon, 2014, page 147) se suffisent à elles-mêmes pour illustrer votre propos :
RépondreSupprimer"On parle aisément de démocratie dans notre pays ; c'est oublier un peu vite qu'avant de s'exprimer dans des choix, elle passe par l'accès à l'ensemble des mécanismes qui fondent notre société. Plus les règles sont obscures ou diluées dans une réglementation trop complexe, plus grande est la difficulté pour la plupart de ceux auxquels elles sont opposées de vérifier qu'elles sont correctement appliquées par ceux qui en ont la maîtrise. Au volume des multiples codes qui régissent notre existence, le code pénal sans doute mais aussi ceux qui concernent le travail et les obligations fiscales notamment, on peut mesurer le peu d'espace laissé à la liberté dans un pays qui prétend s'en repaître. Une autre manière de confisquer au peuple le pouvoir qu'on prétend lui donner. Si celle-ci ne suffisait pas, il y aurait encore le langage. En le gardant obscur, serait-ce au prétexte de la tradition, on asseoit son pouvoir sur une ignorance qu'on entretient ".
En un mot,, comme le rappelle l'un des principes des Shadoks : pourquoi faire simple quant on peut faire compliqué ? Entre "Comédie française" (Georges-Marc Benamou) et "SuIcide français " (Eric Zemmour), la voie est étroite...