« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 7 août 2014

Les Invités de LLC : Serge Sur : La Cour pénale internationale : une justice sans glaive ni balance


Le Monde daté du 7 août publie sous mon nom une tribune relative à la Cour pénale internationale. Ce texte n’est plus le mien. L’intitulé a été changé, des coupures ont été opérées sans mon accord, alors que je m’étais plié aux contraintes de dimension qui m’avaient été imposées. Rédacteur en chef d’un périodique, je ne me permets jamais de porter atteinte à un texte sans l’accord de son auteur. Mais Le Monde estime sans doute avoir des droits supérieurs. Je ne les reconnais pas, et je remercie Liberté, Libertés chéries de donner asile au texte intégral, tel que je l’ai validé.



Serge Sur
 
Les passages en bleu ont été supprimés ou modifiés par Le Monde

Au cours des mois récents, nombre de violences internationales se sont développées dans le monde, Afrique, Proche et Moyen Orient, Afghanistan ou Ukraine. Elles ont retenu l’attention des médias, mais n’ont guère mobilisé les diplomaties au-delà de mesures souvent symboliques qui ne les ont pas empêchées de se déployer librement et parfois cyniquement. On ne négocie plus, ou les négociations tournent à vide. La diplomatie internationale semble se limiter à l’échange de protestations et de dénégations unilatérales. Dérive inquiétante face à des conflits qui pour l’instant demeurent de basse intensité, sauf pour les populations civiles exposées à de grands massacres.

Les massacres ont toujours appartenu à l’agenda des relations internationales, mais depuis quelques décennies des efforts considérables avaient été entrepris pour en prévenir le retour et pour en réprimer les auteurs. La dislocation sanglante de l’ex-Yougoslavie avait conduit à des innovations significatives en droit international, institution de juridictions pénales internationales et promotion de la responsabilité de protéger, destinées à répondre à des situations comme celles qui suscitent aujourd’hui l’indignation de la partie informée des opinions publiques, notamment occidentales. Les dieux du carnage étaient invités à regagner les enfers.

Nicolas Poussin. Le massacre des innocents. 1625

Aujourd’hui qu’observons nous ? L’absence de la Cour pénale internationale face aux atteintes massives au droit international humanitaire qu’elle a pour objet de sanctionner. En Libye, Irak, Syrie, à Gaza, champs de violences criminelles, saisie ou non, la CPI est impuissante. Or le Statut de Rome a été adopté, en 1998 sous la pression de la société civile internationale et des ONG qui s’en faisaient l’expression. Pourquoi cette absence ? On peut pour chaque conflit trouver une explication – limites de la compétence de la Cour, défaut d’universalité de la participation à son Statut, difficulté de mener des enquêtes, obstacles politiques à sa saisine : imagine t-on par exemple traduire M. Netanyahou, qui démontre quotidiennement son dédain à l’encontre du droit humanitaire, devant la CPI ?

Mais le mal est plus profond. Il tient à la nature même de la CPI, depuis son origine  vouée à devenir une nouvelle SdN, construite sans bases solides et sans moyens d’action. Sans bases solides : comment une Cour sans appui coercitif d’une police internationale, qui suppose pour fonctionner la coopération des Etats dont les responsables sont éventuellement poursuivis, dont la conception même a reposé sur la méfiance à l’égard du Conseil de sécurité, pourrait-elle être efficace ? Sans moyens d’action : enquêtes impossibles sur des terrains de bataille, mandats d’arrêt inexécutés,  procédures transformant chaque procès en interminable feuilleton judiciaire, témoins qui se dérobent… Bref, sur l’écume des mots les ONG ont bâti un empire de nuages.

Ce n’était pas être étroit, pessimiste voire réactionnaire que de prévoir un tel aboutissement, et de ne pas voir dans la CPI une avancée formidable du droit international. On a critiqué ceux qui en doutaient. Ils se consolaient avec Stendhal écrivant que tout bon raisonnement offense. Sans glaive et sans balance, la CPI est vouée à des procès résiduels d’opposants livrés par leurs gouvernements. Avant la CPI, des Tribunaux pénaux spéciaux, par exemple pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, institués par le Conseil de sécurité et appuyés sur son autorité ont fonctionné et condamné à juste titre – mais leurs incriminations ont visé les vaincus plus que les vainqueurs.          

La justice pénale suppose une société politique consensuelle, appuyée sur la force publique. D’où le dilemme de la justice internationale pénale dans la société internationale,  société polémique qui peine à devenir une société politique. Ou bien elle est borgne, justice de vainqueurs qui intervient après la bataille – glaive sans balance. Ou bien elle est impartiale, indépendante – mais alors elle est une balance sans glaive, incapable de se saisir des accusés pour les juger. La CPI cumule ces deux défauts : si elle fonctionne, elle oublie de regarder à côté du réverbère et les personnes poursuivies ne sont pas les seules qui devraient l’être. Si elle ne fonctionne pas, elle est d’une coûteuse inutilité.

C’est bien dommage. Les victimes collatérales sont le droit humanitaire d’abord, violé sans réaction, et le droit international ensuite, injustement exposé à l’opprobre alors qu’il est organisateur de la société internationale et instrument de sa gestion. Encore faut-il ne pas le confondre avec l’idéologie juridique qui le fourvoie dans des aventures déclaratoires, improvisées et sans moyens. La CPI ne peut être une alternative au Conseil de sécurité, mais son complément. Le droit international est un droit politique, et la politique n’est pas soluble dans le droit. Construire des institutions sans bases politiques assurées est voué à l’échec, et c’est bien le triste sort qui menace la CPI. Espérons nous tromper !  

3 commentaires:

  1. Bonjour,

    Ce qui serait intéressant à communiquer à vos lecteurs, c'est l'indication des passages du texte qui ont été volontairement occultés par la rédaction du Monde...

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  2. Merci de votre suggestion. Les passages supprimés ou modifiés par la rédaction du Monde sont désormais en bleu..

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