Nicolas Sarkozy est mis en examen. Il n'est pas le premier homme politique dans cette situation, et il ne sera sans doute pas le dernier. Comme toujours dans ce cas, on rappelle que l'intéressé bénéficie de la présomption d'innocence, et que rien ne dit, pour le moment, qu'il comparaîtra effectivement devant le tribunal correctionnel.
Ses partisans s'appliquent à disqualifier le juge d'instruction, et affirment sur tous les médias que cette mise en examen est profondément injuste, seulement motivée par l'animosité politique. Rien de nouveau dans cette démarche, si ce n'est le ton employé, souvent bien éloigné du respect que chacun doit à la Justice.
Henri Guaino affirme que le juge d'instruction "
a bien déshonoré la justice ! Il a sali la France en direct et devant le monde entier". Nadine Morano,
égale à elle-même, compare cette mise en examen à l'affaire d'Outreau. Quant à
l'épouse éplorée, elle considère comme "
impensable" le fait que Nicolas Sarkozy ait pu "
abuser de la faiblesse d'une dame qui a l'âge de sa mère". On comprend, en tout cas, que l'intéressé, lorsqu'il était Président de la République, ait souhaité la disparition pure et simple de la fonction de juge d'instruction.
l'impartialité, fonction rhétorique
Derrière ces discours partagés entre la haine et le mauvais mélodrame, transparaît l'idée que le juge d'instruction n'est pas impartial. Alors forcément, on cherche les preuves de sa partialité, et on croit en avoir trouvé une. Le juge Gentil n'a t il pas signé dans
Le Monde daté du 27 juin 2012, une tribune intitulée "
Agir contre la corruption : l'appel des juges contre la délinquance financière". Peu importe que cet article soit également signé par quatre-vingt-un autres magistrats. Peu importe qu'il ait été publié après la victoire de François Hollande et ne mentionne pas une seule fois le nom de Nicolas Sarkozy, se bornant à demander, de manière abstraite, un renforcement du dispositif de lutte juridique contre la corruption.
Pour les amis de Nicolas Sarkozy, la notion d'impartialité n'a pas besoin de contenu juridique mais a une fonction purement rhétorique. Le seul fait de mettre en examen l'ancien Président de la République révèle, en soi, la partialité de celui qui commet un crime proche du lèse-majesté.
Et pourtant, le principe d'impartialité est juridiquement défini, et donne lieu à une jurisprudence relativement précise.
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Morris et Gosciny. Lucky Luke. Le Juge. 1959 |
Autonomie du principe d'impartialité
Observons tout d'abord que l'exigence d'impartialité est difficilement détachable du principe de l'indépendance des juges, dont elle apparaît comme la conséquence la plus immédiate. Dans sa
décision du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel fonde le principe d'impartialité sur l'
article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. A l'époque, il rappelle, sans trop les distinguer, que "
les principes d'indépendance et d'impartialité sont indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles". Depuis cette date, sa jurisprudence s'est affinée, et accorde désormais une véritable spécificité au principe d'impartialité. Dans sa
décision rendue sur QPC du 8 juillet 2011, le Conseil constitutionnel déclare non conforme à l'article 16 de la Déclaration de 1789 le principe traditionnel gouvernant la justice des mineurs depuis l'ordonnance du 2 février 1945, selon lequel le juge chargé de l'instruction est également l'instance de jugement. Pour le Conseil, la direction de l'enquête ne peut qu'influer sur le jugement ultérieur, et emporte donc une atteinte au principe d'impartialité.
De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme trouve le fondement juridique du principe d'impartialité dans le droit au procès équitable garanti par l'
article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans sa décision
Adamkiewicz c. Pologne du 2 mars 2010, elle précise quelque peu les critères utilisés pour déterminer si une juridiction est impartiale, ou non. Ces critères sont ceux utilisés par les juges français.
Critères de l'impartialité
Le premier critère peut être qualifié de "subjectif" parce qu'il consiste à pénétrer dans la psychologie du juge, à rechercher s'il désirait favoriser un plaideur ou nuire à un justiciable. Dans ce cas, l'impartialité est présumée, jusqu'à preuve du contraire (
CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c. Belgique). La Cour européenne se montre très rigoureuse à cet égard et ne constate la violation du principe d'impartialité que lorsque la preuve est flagrante. Tel est le cas, dans l'
arrêt Remli c. France du 23 avril 1996, pour un jury de Cour d'assises jugeant un Français d'origine algérienne, dont l'un des jurés a tenu, hors de la salle d'audience mais devant la presse, des propos racistes.
L'animosité à l'égard de l'accusé doit donc être patente, et sa preuve sauter aux yeux. On ne voit pas sur quelle preuve pourrait s'appuyer Nicolas Sarkozy pour prouver la partialité du juge qui l'a mis en examen, ou plutôt des juges puisqu'ils sont trois à instruire l'affaire. Aucun d'entre eux n'a pris une position publique mentionnant une quelconque hostilité à son égard. Quant à la chronique signée par le juge Gentil, elle ne témoigne d'aucune animosité personnelle, puisque le nom de Nicolas Sarkozy n'est même pas mentionné.
Le second critère est présenté comme "objectif", parce qu'il s'agit de contrôler l'organisation même de l'institution judiciaire. Le tribunal doit apparaître impartial, et inspirer la confiance. Sur ce point, la Cour européenne a développé une jurisprudence qui interdit l'exercice de différentes fonctions juridictionnelles par un même juge, dans une même affaire (par exemple :
CEDH, 22 avril 2010 Chesne c. France). La Cour de cassation reprend exactement le même principe dans une décision de la Chambre criminelle du
8 avril 2009. Elle y rappelle l'importance de l'impartialité fonctionnelle, qui interdit notamment à un magistrat de connaître d'une affaire pénale, alors qu'il avait déjà eu à juger de son volet civil.
Dans ce cas, ce n'est pas le juge qui est en cause, mais l'organisation judiciaire qui ne satisfait pas au principe d'impartialité. Sur ce point, on ne voit pas quel argument pourrait être utilisé pour contester l'institution même du juge d'instruction, qui, on le sait, instruit à la fois à charge et à décharge.
Ces principes constituent le socle sur lequel sont appréciés les recours mis à la disposition des justiciables qui s'estiment victimes d'un manquement à l'impartialité. La récusation a en effet pour objet de contester l'impartialité d'un magistrat identifié (approche subjective). Le renvoi pour cause de suspicion légitime, quant à lui, met en cause l'impartialité de la juridiction de jugement dans son ensemble (approche objective).
Dans tous les cas, l'analyse juridique suffit à montrer le caractère excessif des propos tenus par les amis de Nicolas Sarkozy, repris avec complaisance par les médias. Le problème est que nul journaliste ne s'est donné la peine de se livrer à une analyse juridique, si modeste soit-elle. C'est dommage, car mettre en cause, sans aucun fondement juridique, l'impartialité d'un juge, ce n'est pas seulement disqualifier une personne, c'est aussi disqualifier la justice.
Merci de cette analyse brillante...et objective...il y aurait beaucoup à dire de cette affaire mais le prisme de l'analyse juridique est sain et sans appel. Ces remises en cause perpétuelles de l'institution judiciaire par nos hommes et femmes "publics" autorisent chacun à faire de même ce qui mène au discrédit général....ne nous en étonnons pas ... On peut juste déplorer que les donneurs de leçons ne soient pas au rendez vous de l'exemplarité.merci pour vos articles ...
RépondreSupprimerLes juges sont dans ce pays partiaux ....come les politiques..Je peux en apporté la preuve si besoin.
RépondreSupprimerCertes Nicolas Sarkozy devrait être un justiciable comme les autres, mais en tant qu'ancien président et potentiellement futur candidat il est naturellement l'objet d'enjeux considérables et sous les feux des médias. En tant que critique à répétition des juges et de la justice (alors qu'il était en fonctions de président, ou de ministre de l'intérieur), il pourrait y avoir aussi un climat d'hostilité réciproque qui rende plus difficile l'établissement des meilleures conditions requises pour l'impartialité. Ne soyons pas angéliques : il faut reconnaître aussi que des juges restent des êtres humains et que l'erreur peut exister, que ce soit dans les procédures ou dans les verdicts. Elle peut exister aussi pour tout justiciable ordinaire.
RépondreSupprimerPar contre Nicolas Sarkozy, qui est aussi avocat et qui a des moyens supérieurs à la moyenne pour sa défense est dans une situation où il peut plus facilement rétablir l'équilibre que tout justiciable "ordinaire" s'il devait avoir été "victime" d'une rigueur trop poussée de la justice, eut-égard à la respectabilité de ses anciennes fonctions.
Mais il me semble que son comportement à TF1 a été tout a fait inadapté, voire indigne d'un ancien président qui se targue de se présenter à nouveau. Le président de la République est le garant de l'indépendance de la justice et il se doit de garder une réserve sur les affaires. Alors même que l'instruction ne fait que commencer il fustige déjà les juges...ce qui ne peut que gêner leur sérénité à bien conduire cette affaire. Que penser alors de la capacité de Nicolas Sarkozy à incarner la fonction présidentielle? A redevenir le garant du fonctionnement des institutions?
Par ailleurs, lorsqu'il s'agit de lui, il n'est plus question du laxisme qu'il reprochait aux juges : il est en pleine contradiction.
Il a fort mal réagi et a montré qu'il n'a pas la "hauteur" qui convient à un présidentiable.