Le Monde
daté du 7 août publie sous mon nom une tribune relative à la Cour pénale
internationale. Ce texte n’est plus le mien. L’intitulé a été changé, des
coupures ont été opérées sans mon accord, alors que je m’étais plié aux
contraintes de dimension qui m’avaient été imposées. Rédacteur en chef d’un
périodique, je ne me permets jamais de porter atteinte à un texte sans l’accord
de son auteur. Mais Le Monde estime
sans doute avoir des droits supérieurs. Je ne les reconnais pas, et je remercie
Liberté, Libertés chéries de donner
asile au texte intégral, tel que je l’ai validé.
Serge Sur
Les passages en bleu ont été supprimés ou modifiés par Le Monde
Au cours des mois
récents, nombre de violences internationales se sont développées dans le monde,
Afrique, Proche et Moyen Orient, Afghanistan ou Ukraine. Elles ont retenu l’attention
des médias, mais n’ont guère mobilisé les diplomaties au-delà de mesures souvent
symboliques qui ne les ont pas empêchées de se déployer librement et parfois
cyniquement. On ne négocie plus, ou les négociations tournent à vide. La diplomatie
internationale semble se limiter à l’échange de protestations et de dénégations
unilatérales. Dérive inquiétante face à des conflits qui pour l’instant
demeurent de basse intensité, sauf pour les populations civiles exposées à de
grands massacres.
Les massacres ont
toujours appartenu à l’agenda des relations internationales, mais depuis
quelques décennies des efforts considérables avaient été entrepris pour en
prévenir le retour et pour en réprimer les auteurs. La dislocation sanglante de
l’ex-Yougoslavie avait conduit à des innovations significatives en droit
international, institution de juridictions pénales internationales et promotion
de la responsabilité de protéger, destinées à répondre à des situations comme
celles qui suscitent aujourd’hui l’indignation de la partie informée des
opinions publiques, notamment occidentales. Les dieux du carnage étaient
invités à regagner les enfers.
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Nicolas Poussin. Le massacre des innocents. 1625 |
Aujourd’hui
qu’observons nous ? L’absence de la Cour pénale internationale face aux atteintes
massives au droit international humanitaire qu’elle a pour objet de
sanctionner. En Libye, Irak, Syrie, à Gaza, champs de violences criminelles,
saisie ou non, la CPI est impuissante. Or le Statut de Rome a été adopté, en 1998
sous la pression de la société civile internationale et des ONG qui s’en
faisaient l’expression. Pourquoi cette absence ? On peut pour chaque
conflit trouver une explication – limites de la compétence de la Cour, défaut
d’universalité de la participation à son Statut, difficulté de mener des
enquêtes, obstacles politiques à sa saisine : imagine t-on par exemple
traduire M. Netanyahou, qui démontre quotidiennement son dédain à l’encontre du
droit humanitaire, devant la CPI ?
Mais le mal est
plus profond. Il tient à la nature même de la CPI, depuis son origine vouée à devenir une nouvelle SdN,
construite sans bases solides et sans moyens d’action. Sans bases solides :
comment une Cour sans appui coercitif d’une police internationale, qui suppose
pour fonctionner la coopération des Etats dont les responsables sont
éventuellement poursuivis, dont la conception même a reposé sur la méfiance à
l’égard du Conseil de sécurité, pourrait-elle être efficace ? Sans moyens
d’action : enquêtes impossibles sur des terrains de bataille, mandats
d’arrêt inexécutés, procédures
transformant chaque procès en interminable feuilleton judiciaire, témoins qui
se dérobent… Bref, sur l’écume des mots les ONG ont bâti un empire de nuages.
Ce n’était pas être
étroit, pessimiste voire réactionnaire que de prévoir un tel aboutissement, et
de ne pas voir dans la CPI une avancée formidable du droit international. On a
critiqué ceux qui en doutaient. Ils se consolaient avec Stendhal écrivant que
tout bon raisonnement offense. Sans glaive et sans balance, la CPI est vouée à
des procès résiduels d’opposants livrés par leurs gouvernements. Avant la CPI,
des Tribunaux pénaux spéciaux, par exemple pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda,
institués par le Conseil de sécurité et appuyés sur son autorité ont fonctionné
et condamné à juste titre – mais leurs incriminations ont visé les vaincus plus
que les vainqueurs.
La justice pénale
suppose une société politique consensuelle, appuyée sur la force publique. D’où
le dilemme de la justice internationale pénale dans la société internationale, société polémique qui peine à devenir
une société politique. Ou bien elle est borgne, justice de vainqueurs qui
intervient après la bataille – glaive sans balance. Ou bien elle est
impartiale, indépendante – mais alors elle est une balance sans glaive,
incapable de se saisir des accusés pour les juger. La CPI cumule ces deux défauts :
si elle fonctionne, elle oublie de regarder à côté du réverbère et les
personnes poursuivies ne sont pas les seules qui devraient l’être. Si elle ne fonctionne
pas, elle est d’une coûteuse inutilité.
C’est bien dommage.
Les victimes collatérales sont le droit humanitaire d’abord, violé sans
réaction, et le droit international ensuite, injustement exposé à l’opprobre
alors qu’il est organisateur de la société internationale et instrument de sa
gestion. Encore faut-il ne pas le confondre avec l’idéologie juridique qui le
fourvoie dans des aventures déclaratoires, improvisées et sans moyens. La CPI
ne peut être une alternative au Conseil de sécurité, mais son complément. Le
droit international est un droit politique, et la politique n’est pas soluble
dans le droit. Construire des institutions sans bases politiques assurées est
voué à l’échec, et c’est bien le triste sort qui menace la CPI. Espérons nous
tromper !
Bonjour,
RépondreSupprimerCe qui serait intéressant à communiquer à vos lecteurs, c'est l'indication des passages du texte qui ont été volontairement occultés par la rédaction du Monde...
Merci de votre suggestion. Les passages supprimés ou modifiés par la rédaction du Monde sont désormais en bleu..
RépondreSupprimerBeau caviardage effectivement.
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