« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 2 mars 2012

La délinquance étrangère et "réitérante". Le retour des peines plancher

Le 6 mars 2012, l'Assemblée Nationale devrait adopter la proposition de loi présentée par M. Jean-Paul Garraud (UMP Gironde) sur "l'interdiction du territoire et les délinquants réitérants". D'emblée, la formulation surprend, mais un texte qui traite à la fois de la lutte contre la délinquance et de l'éloignement des étrangers n'est-il pas une bénédiction  ? Il permet de mettre en avant des préoccupations qui prennent aujourd'hui valeur de promesses électorales, d'autant que nul n'ignore que la proposition a peu de chances d'être définitivement voté avant les élections. 

Les étrangers : Du bon usage des statistiques de l'ONDRP

Le texte repose sur une affirmation selon laquelle la part des étrangers et des réitérants dans la réponse pénale n'est pas suffisamment prise en compte. Le problème est que cette assertion repose sur des données et des notions particulièrement floues.

La proposition de loi fait référence au rapport 2011 de l'ONDRP (Office national de la délinquance et de la réponse pénale), présidé par Monsieur Alain Bauer, "criminologue" officiel et conseiller du Président de la République.  Cette étude énonce que les étrangers représentent 5, 8 % de la population vivant sur le territoire, mais 13, 9 % de la délinquance non routière. Un autre rapport, de même origine, publié en février 2012, montre que la part des étrangers mis en cause pour atteintes aux biens est passé  de 12, 8 % en 2006 à 17, 3 % en 2011. Elle stigmatise au passage immigrés d'origine roumaine, à l'origini d'une délinquance qui aurait augmenté de 114, 4 % en deux ans.

Ces chiffres sont évidemment destinés à faire frémir le bon citoyen inquiet pour sa sécurité. Si on les regarde de près toutefois, on s'aperçoit qu'ils sont obtenus à partir des statistiques des personnes "mises en cause", car celles des condamnations ne sont pas fiables. Sans doute, mais un criminologue, même moyen, doit tout de même savoir qu'une personne "mise en cause" n'est pas nécessairement condamnée. A moins peut être de considérer que les étrangers ne bénéficient pas du principe de la présomption d'innocence ? Le même criminologue sait également que pour donner l'illusion de lutter contre la délinquance, il suffit parfois d'augmenter le nombre de gardes à vue, et donc le nombre des personnes "mises en causes". En clair, en augmentant les gardes à vue, on augmente aussi mathématiquement les chiffres de la délinquance étrangère.

Récidive et réitération

La récidive se définit comme une circonstance aggravante et répond à des conditions rigoureuses. Elle suppose la répétition d'un comportement illicite de même nature, par exemple deux vols avec violence, ou deux viols. Pour qu'il y ait récidive, il faut qu'au moment où la seconde infraction a été commise, le premier comportement illicite ait donné lieu à une condamnation définitive, c'est à dire qu'aucune voie de recours ne puisse plus être exercée contre elle. La conséquence de cette définition est qu'une seconde infraction ne peut pas toujours être qualifiée de récidive par les juges, soit parce que les deux comportements ne sont pas de même nature, soit parce que le premier n'a pas encore donné lieu à condamnation définitive.

Qu'à cela ne tienne, la proposition Garraud adopte la notion de réitération. En langage policier, elle désigne une succession d'infractions de nature différente commises par une seule personne. Un délinquant "réitérant" est celui qui va par exemple se livrer à un trafic de stupéfiants, avant d'être l'auteur d'un cambriolage, puis d'un vol avec violences etc. Il est vrai que la notion de réitération figure dans la loi du 12 décembre 2005, mais elle apparaît alors comme une notion fourre-tout destinée à contourner la notion de récidive. Elle s'applique un effet en cas de "nouvelle infraction qui ne répond pas aux conditions de la récidive légale". Dans cette hypothèse, la loi interdit la confusion des peines et organise au contraire leur cumul. Pour autant, elle ne définit pas clairement le champ d'application de la "réitération".

Le Récidiviste. Ulu Grosbard. 2007. Dustin Hoffman


Le retour des peines plancher

Elle sert pourtant de fondement au projet de loi qui reprend cette notion pour justifier l'élargissement des peines plancher. Il s'agit en effet de renforcer la peine complémentaire d'interdiction du territoire française (ITF) pour les délinquants réitérants et pour les personnes de nationalité étranger.

Le prononcé de l'ITF devient ainsi obligatoire pour les étrangers en situation irrégulière et ceux qui résident régulièrement depuis moins de trois ans, dès lors qu'ils ont commis un crime ou un délit puni d'une peine de cinq années d'emprisonnement. A l'égard des réitérants, la proposition de loi impose de prononcé de peines plancher pour les auteurs du même type d'infractions. Les seuils de peines minimales sont compris entre un sixième et un cinquième de la peine maximale encourue.

Conventionnalité et constitutionnalité

Les auteurs de la proposition affirment haut et fort la constitutionnalité et la conventionnalité du dispositif mis en oeuvre. Pour garantir la conformité à l'article 8 de la Convention qui protège le droit de mener une vie familiale normale, ils prennent soin d'exclure le prononcé de ces peines pour les étrangers "protégés".

Pour garantir la conformité à la Constitution, ils invoquent une jurisprudence affirmant que les peines plancher ne violent pas le principe d'individualisation des peines, notamment la décision du 16 septembre 2011 rendue à propos des amendes forfaitaires en matière de code de la route. Le principe de nécessité de la peine, quant à lui, fait l'objet d'un contrôle "de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue", formulation figurant dans la décision du 9 août 2007. Y a t il ou non disproportion manifeste ? Il est bien difficile de répondre à cette question.

Quoi qu'il en soit, ce n'est pas tant l'inconventionnalité ou l'inconstitutionnalité de ce texte qui pose réellement problème que la malhonnêteté de ses motifs. Reposant sur des statistiques douteuses et sur une conception purement policière de la récidive, il témoigne d'un dévoiement de la loi elle-même. Celle devient l'instrument d'une politique sécuritaire qui repose sur la manipulation de l'opinion, particulièrement en période électorale.




mercredi 29 février 2012

Enterrement des lois mémorielles

Par sa décision du 28 février 2012, le Conseil a déclaré inconstitutionnel le texte pénalisant la contestation des génocides reconnus par la loi. C'est une incontestable victoire pour l'Etat de droit et un rappel utile du respect que l'on doit à la loi. Expression de la volonté générale, cette dernière ne peut être instrumentalisée pour satisfaire les intérêts de tel ou tel lobby, ou répondre à des préoccupations purement électorales. 

A dire vrai, l'inconstitutionnalité du texte ne faisait guère de doute, le plus délicat étant d'obtenir la saisine du Conseil. On doit saluer un certain courage des parlementaires auteurs de la saisine, et plus particulièrement celui des membres de l'UMP qui ont encouru les foudres de l'Elysée.

Le refus du contrôle indirect

La décision par elle-même révèle une incontestable sévérité du Conseil. Il aurait pu sanctionner le texte "par ricochet". Celui-ci, qui réprime la contestation d'un génocide reconnu par la loi, aurait été déclaré inconstitutionnel parce que la loi du 29 janvier 2001 qui reconnaît le génocide arménien était elle même inconstitutionnelle.  On sait que ce contrôle indirect est possible depuis la décision du 25 janvier 1985. Dans ce cas, le Conseil pouvait sanctionner son défaut de caractère normatif, voire l'atteinte à la liberté d'expression des chercheurs. 

Le Conseil a pourtant écarté ce contrôle indirect et choisi de déclarer inconstitutionnel le texte même qui lui était déféré, celui qui pénalise le négationnisme de l'ensemble des génocides reconnus par la loi. Il aborde la question de la constitutionnalité des lois mémorielles en tant que telles, dans leur ensemble, sans se référer à l'une d'entre elles en particulier, sans doute pour mettre une fin définitive à cette pratique. 

Le Conseil rappelle que la "loi doit être revêtue d'une portée normative", et affirme qu'"une disposition législative ayant pour objet de "reconnaître" un crime de génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s'attache à la loi". Il ne s'agit pas tant de condamner la loi mémorielle que d'affirmer qu'elle ne doit pas trouver son caractère normatif en elle-même. 

Salvador Dali. Persistance de la mémoire. 1931


Détacher le texte de la loi Gayssot

Cette affirmation permet de détacher clairement le texte récent de la loi Gayssot et d'affirmer la spécificité de cette dernière. Procédant par amalgame, les partisans de la loi déférée au Conseil considéraient qu'invalider la loi sur le génocide arménien revenait à affirmer l'inconstitutionnalité de la loi Gayssot et, implicitement, à autoriser la contestation de la Shoah. Or, la Cour de cassation a refusé, dans une décision du 7 mai 2010,  le renvoi d'une QPC portant sur ce texte, au motif précisément que, dans son cas, la qualification de génocide résulte d'une convention internationale, l'Accord de Londres du 8 août 1945, et d'un certain nombre de décisions de justice rendues à la fois par le Tribunal de Nüremberg et les juridictions françaises. La loi Gayssot s'appuie ainsi sur la spécificité de la Shoah, dont la reconnaissance ne repose pas sur la loi française. 

Une fois écarté l'amalgame, juridiquement infondé, avec la loi Gayssot, le Conseil sanctionne le texte qui lui est soumis pour violation des dispositions combinées des articles 34 de la Constitution et 11 de la Déclaration de 1789. Le premier attribue au législateur la compétence pour "fixer les règles concernant les libertés fondamentales", le second énonce que "la libre communication des pensées et des opinions est l'un des droits les plus précieux de l'homme". 

Le Conseil rappelle que la loi ne peut porter atteinte à l'exercice de la liberté d'expression que lorsque cette atteinte est "nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi". Dès lors que le législateur s'est approprié le droit de définir la frontière entre ce qui est licite et illicite dans la liberté d'expression, le contrôle du Conseil doit être un contrôle de proportionnalité. Et en l'espèce, le Conseil estime, finalement très logiquement, qu'une loi mémorielle porte une atteinte ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée à l'objectif poursuivi. On observe d'ailleurs qu'il ne s'étend pas sur l'étude de cet objectif, sans doute pour ne pas accabler le gouvernement qui, dans son mémoire en défense, mentionnait pêle-mêle, la dignité de la personne, l'incitation à la discrimination et à haine raciale, la réhabilitation d'une idéologie criminelle, toutes formulations bien-pensantes destinées à masquer la motivation bassement électorale du texte. 

En effectuant ce contrôle de proportionnalité, le Conseil conforte, a contrario, la spécificité de la Shoah qui implique une sanction particulière pour un génocide qui a été reconnu par des textes internationaux et non pas seulement par la loi interne. 

Enterrement des lois mémorielles

Qu'on ne s'y trompe pas. C'est le principe même des lois mémorielles qui se trouve mis en question par le Conseil. Certes, il ne condamne pas, en tant que telle, la loi de 2001 qui reconnaît le génocide arménien. Il se borne à en siphonner le contenu normatif en la privant de toute sanction. Tout nouveau texte interdisant la négation d'un génocide risque ainsi de connaître le même sort, et de demeurer dans l'ordre juridique comme une peau de chagrin, un simple avertissement à ceux qui voudraient encore s'aventurer à instrumentaliser la loi.  

Le Président Sarkozy demande aujourd'hui de déposer un nouveau projet de loi pénalisant la négation du génocide arménien. On ne peut s'empêcher de ressentir un peu de compassion pour les juristes chargés de le rédiger. On ne voit pas très bien, en effet, quel artifice juridique permettrait d'assurer la constitutionnalité d'un tel texte, alors que le Conseil vient précisément de sanctionner avec fracas le principe même des lois mémorielles. 


samedi 25 février 2012

Détenus atteints de troubles mentaux : la Cour européenne sanctionne une politique d'abandon

La détention des personnes atteintes de troubles mentaux se heurte à une jurisprudence de plus en plus sévère des juges de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans une décision du 24 novembre 2011, O.H. c. Allemagne, elle a déjà considéré que la rétention de sûreté imposée, à l'issue de leur peine, aux détenus atteints d'une pathologie mentale faisant craindre un risque de récidive, n'est conforme au principe de sûreté garanti par l'article 5 § 1 de la  Convention que si elle s'effectue en milieu hospitalier.

La décision G. c. France rendue le 23 février 2012 par la Cour ne porte plus sur le principe de sûreté, mais sur le droit à un procès équitable (art. 6 § 1) et sur l'interdiction des traitements inhumains et dégradants (art. 3).

Monsieur G. atteint d'une "psychose chronique de type schizophrénique générant des troubles hallucinatoires et délirants". Né en 1974, il alterne, à partir de 1996 et jusqu'à aujourd'hui, des périodes d'internement et d'incarcération. En 2005, alors qu'il est purge une peine d'une année d'emprisonnement pour avoir causé  des dégradations dans un établissement psychiatrique, il partage sa cellule avec un autre détenu atteint de troubles mentaux. Le 16 août 2005, un incendie se déclare dans la cellule, et les deux codétenus sont blessés. M. G. n'est cependant que légèrement atteint, alors que son codétenu ne survit pas à ses blessures. L'enquête attribue la responsabilité de ces évènements à M. G., qui aurait mis le feu à son matelas. Après une expertise psychiatrique qui conclut que, malgré l'importance de ses troubles, M. G. est en état de comparaître devant un juge, la Cour d'assises du Var le condamne en novembre 2008 à dix années d'emprisonnement. Statuant en appel en septembre 2009, la Cour d'assises des Bouches du Rhône le considère finalement irresponsable, et ordonne son hospitalisation d'office. 

Dans la plupart des cas, ce type d'itinéraire suivi par beaucoup de patients atteints de très graves troubles mentaux, donne lieu à des contentieux relatifs à leur responsabilité. La question posée est alors de savoir si l'auteur d'un crime est en mesure de comprendre son geste et d'être atteint par la sanction pénale. Le requérant ne se place pas sur ce terrain, et préfère invoquer la violation de l'article 3, estimant que tant sa comparution devant les cours d'assises que les internements dont il a fait l'objet peuvent s'analyser comme des traitements inhumains et dégradants.

Comparutions devant les cours d'assises

Sur le premier point, le requérant considère que la Cour européenne doit étendre son contrôle au- delà des expertises réalisées  à l'initiative des autorités françaises, et qui considéraient qu'il était en mesure de participer à un procès pénal. Il invoque des éléments de fait, selon lesquels il aurait été tantôt prostré, tantôt excité, incapable de s'exprimer en raison du traitement médical auquel il était soumis. A ses yeux, sa comparution alors qu'il était de troubles mentaux ne répondait pas aux exigences du procès équitable.

La Cour refuse de donner satisfaction au requérant. Il est vrai que sa jurisprudence Stanford c. Royaume Uni du 23 février 1994 considère comme un élément des droits de la défense le fait que l'accusé soit en mesure de comprendre son procès et d'y participer activement. En l'espèce, elle fait observer que les procès verbaux des audiences montrent que M. G. a participé aux débats, et même répondu "avec pertinence". Au demeurant, la Cour d'assises a pu mesurer l'état mental de l'intéressé au moment des faits, mais aussi durant le procès. La juridiction d'appel a d'ailleurs décidé de son irresponsabilité pénale, imposant finalement son hospitalisation d'office.

Sur ce point, la Cour refuse de se substituer aux experts et aux juges nationaux, se bornant à vérifier que des expertises psychiatriques ont été effectuées et que les droits de la défense ont été respectés. Il aurait d'ailleurs été pour le moins étrange qu'elle substitue son appréciation a posteriori de l'état mental d'une personne aux expertises réalisées préalablement aux deux procès.

Vol au dessus d'un nid de coucou. Milos Forman 1976. Jack Nicholson.

L'incarcération du requérant

De 2005 à 2009, c'est à dire durant l'instruction et jusqu'au procès d'appel devant la Cour d'assises, M. G. se plaint d'avoir été incarcéré dans des locaux pénitentiaires la plupart du temps, emprisonnement entrecoupé d'une douzaine de séjours en établissement psychiatrique (plus précisément des services médicaux psychologiques régionaux, SMPR), pour des hospitalisations d'office ne dépassant jamais quelques semaines. Il considère que l'absence de suivi psychiatrique constant a entravé son traitement, et fait observer à ce propos que son état s'est considérablement amélioré depuis que la seconde Cour d'assises l'a placé en hospitalisation d'office. A ses yeux, ces quatre années d'incarcération non assorties de traitement de longue durée sont constitutives d'un traitement inhumain et dégradant.

Dans son arrêt Slawomir Musial c. Pologne du  20 janvier 2009, la Cour a effectivement considéré que l'emprisonnement d'une personne souffrant de graves troubles mentaux, en l'espèce la schizophrénie, constitue un traitement inhumain et dégradant, si deux conditions sont réunies : d'une part, une absence de traitement spécialisé, d'autre part des conditions matérielles inappropriées.

Observons d'emblée que la Cour ne met pas en cause le principe de la détention, mais bien davantage ses conditions matérielles.

La Cour se garde bien de prendre une décision de principe, et s'appuie sur les faits de l'espèce pour estimer que, dans le cas précis de M. G. cette alternance d'hospitalisations d'office et d'incarcération est constitutive d'un traitement inhumain et dégradant, dès lors qu'elle faisait obstacle à la stabilisation de son état de santé. En l'espèce en effet, tous les critères dégagés par sa jurisprudence sont réunis pour parvenir à une telle solution.

Le premier critère réside dans la gravité de la pathologie. Dans sa décision Rivière c. France du 11 juillet 2006, la Cour estimait déjà que le caractère grave et chronique de certains troubles mentaux rendait pratiquement impossible l'incarcération dans des locaux pénitentiaires non adaptés à ces pathologies. C'est particulièrement vrai dans le cas de la schizophrénie, car le traitement est nécessairement de très longue durée et les risques de suicide importants.

Le second critère réside dans l'appréciation du lieu de détention. La Cour fait observer que M. G. était incarcéré à la prison des Baumettes de Marseille, et que la Cour des comptes elle-même reconnaissait dans son rapport 2005-2010 sur l'organisation des soins psychiatriques que "la notoriété de la maison d'arrêt marseillaise (...) n'a d'égale que le délabrement et l'insalubrité de son service médico psychologique régional (SMPR)". En 2010, douze des trente-deux lits étaient fermés et six emplois de soignants étaient vacants. Autrement dit, M. G. s'est retrouvé incarcéré dans les conditions du droit commun, tout simplement parce que la vétusté du SMPR des Baumettes ne permettait pas de l'accueillir.

Le troisième critère est le danger que représente M. G., pour lui-même certes puisque la schizophrénie se traduit souvent pas des tendances suicidaires, mais aussi pour les autres. La Cour s'appuie sur les nombreux rapports médicaux constatant le risque de passage à l'acte du requérant, menaçant ainsi la sécurité de ses codétenus et celle d'un personnel pénitentiaire souvent bien désarmé à l'égard des pathologies mentales les plus graves.

La Cour fait évidemment observer qu'elle est consciente des efforts déployés par les autorités françaises, qui multipliaient les séjours de courte durée en SMPR précisément pour éviter ces passages à l'acte dont le danger ne leur avait pas échappé. Elle ne remet jamais en cause la nécessité d'enfermer M. G. pour le protéger contre lui-même mais aussi pour protéger les tiers. Elle ne s'intéresse qu'aux conditions de cet enfermement, et sanctionne finalement les autorités françaises pour la misère dans laquelle elles tiennent les services chargés, au sein des établissements pénitentiaires, de gérer la maladie mentale.

mercredi 22 février 2012

QPC : Les 500 signatures ou l'art de l'esquive

Tout le monde l'attendait. Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le 21 février 2012 sur la QPC déposée par Marine Le Pen, portant sur la constitutionnalité des dispositions de la loi du 6 novembre 1962, c'est à dire sur le caractère secret des parrainages accordés par les élus locaux aux candidats aux élections présidentielles. Le Conseil a rejeté la QPC, estimant que le droit actuellement en vigueur est conforme à la Constitution. 

Ce recours a certes animé la campagne, les positions de chacun se déterminant, pour l'essentiel, en fonction des préoccupations immédiates liées à la prochaine élection. En revanche, le débat juridique a été cruellement absent, sans doute parce qu'il ne peut se développer que dans la sérénité et non pas dans l'agitation d'une campagne électorale. Pire, l'analyse juridique a pu sembler suspecte, tant il est vrai qu'affirmer l'existence d'un problème constitutionnel dans la mise en oeuvre des parrainages est déjà perçu comme un soutien à Marine Le Pen. Et tant pis pour les autres "petits" candidats comme madame Corine Lepage, dont la revendication est balayée dans l'opprobre générale qui touche le Front National.

Quoi qu'il en soit, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le 21 février 2012, soit trois semaines après la décision du renvoi du Conseil d'Etat. Sur ce point, on ne peut que se féliciter d'une célérité qui permet à la candidate déboutée, et à l'ensemble des autres candidats, de disposer d'encore quelques semaines pour réunir ces fameuses signatures, sans lesquelles ils ne pourront se présenter aux élections présidentielles. 

On ne peut que prendre acte de la décision du Conseil, mais sa lecture n'est pas sans susciter une certaine perplexité.

Le changement de circonstances de droit

Contrairement à ce que beaucoup craignaient, le Conseil ne s'est pas borné à rejeter la question pour irrecevabilité, en considérant qu'il avait déjà statué sur ces dispositions lors de sa décision du 14 juin 1976. Il a au contraire admis la recevabilité en invoquant le changement de circonstances intervenu depuis cette date. La requérante invoquait essentiellement un changement de circonstances de fait, lié aux conséquences des lois de décentralisation et au développement de l'intercommunalité, qui ont eu considérablement politisé la vie politique locale, favorisant les pressions des partis sur les 47 000 élus susceptibles de présenter des candidats.

Fort habilement, le Conseil a préféré s'appuyer sur le changement de circonstances de droit. La révision de 2008 a en effet ajouté un alinéa à l'article 4 de la Constitution, selon lequel "la loi garantit les expressions pluralistes des options et la participation équitable des partis politiques à la vie démocratique de la Nation". Pourquoi pas ? Certains mauvais esprits pourraient objecter que ces dispositions ne changent rien au droit existant, dès lors qu'elles ne font que reprendre une jurisprudence du Conseil, qui contrôlait déjà le respect du pluralisme et de l'égalité des partis, notamment en matière de temps d'antenne disponible dans les médias (décisions du 6 septembre 2000, Pasqua, et du 7 avril 2005 Génération Ecologie). Pour le Conseil, le simple fait d'intégrer sa jurisprudence dans le texte constitutionnel constitue, en soi, un changement de circonstances de droit.

Une fois acquise cette recevabilité, loin d'être évidente, on pouvait penser que le Conseil allait analyser les dispositions en cause au regard de l'ensemble des normes constitutionnelles applicables, et préciser ainsi la place des partis politiques dans l'organisation constitutionnelle. Hélas, les motifs développés par le Conseil n'apportent aucune réponse sur ce point.

La Conquête. Xavier Durringer. 2011.  Denis Podalydès

Les arguments de fond

Sur le fond, le Conseil constitutionnel rejette les arguments développés par Maître Alliot, le défenseur de Marine Le Pen, dans les observations qu'il a présentées en audience publique.

Le premier réside, étrangement, dans le caractère secret du vote, énoncé par l'article 3 de la Constitution : "Le suffrage (...) est toujours universel, égal et secret". Le moyen est surprenant, et le Conseil l'écarte logiquement en faisant observer que la "présentation", terme juridique employé pour désigner le parrainage des candidats, ne saurait être considérée comme un vote. La procédure n'est pas celle d'une opération électorale, et la signature des élus doit être considérée comme une mesure d'organisation de l'élection présidentielle, qui n'est donc pas soumise au principe du secret du vote, ni à celui d'égalité devant le suffrage.

Le second moyen trouve son origine dans l'article 4 al 3 de la Constitution, celui qui a précisément justifié le changement de circonstances de droit. Le Conseil l'écarte tout aussi rapidement, en considérant que la publicité des parrainages vise à favoriser la transparence de la procédure. Une telle mesure ne saurait donc, en elle même, porter atteinte au principe de pluralisme des opinions.

Le troisième argument, plus sérieux, trouve son fondement dans l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 qui consacre l'égalité devant la loi. La requérante invoque en effet une rupture d'égalité entre les élus signataires. Dès lors que les dispositions en vigueur prévoient la publication de cinq cents signatures tirées au sort, il est clair qu'une personne qui a signé pour un candidat ayant obtenu juste cinq cents signatures aura 100 % de chances de voir son nom porté à la connaissance du public, et donc de ses électeurs. En revanche, celle qui a signé pour un candidat qui recueille des milliers de signatures a très peu de probabilité de voir son nom publié.

En l'espèce, le Conseil observe que cette différence de traitement a été précisément voulue par le législateur, dans le but de permettre au Conseil constitutionnel d'effectuer plus facilement sa mission de contrôle des signatures. Dans ses traditionnelles observations après les élections présidentielles, et précisément en 2007, le Conseil s'est pourtant déclaré favorable à l'adoption de nouvelles règles dans ce domaine, dès lors qu'il reconnaît une "différence de traitement entre les citoyens qui ont présenté un candidat". L'administration en place n'a certes tenu aucun compte des observations du Conseil constitutionnel pendant le quinquennat, alors qu'elle avait parfaitement le temps de modifier ces règles.  Le Conseil rappelle que son pouvoir d'appréciation n'est pas de même nature que celui du Parlement, et qu'il ne saurait se substituer à lui pour apprécier l'opportunité, ou l'inopportunité d'une procédure. Il renvoie donc au législateur le soin de modifier le texte, peut être après les élections présidentielles ?

Et l'article 4 alinéa 1 ? 

L'argumentaire juridique s'arrête là, et on est évidemment surpris de voir que la question de la conformité des dispositions contestées au regard de l'article 4 alinéa 1 n'est jamais évoquée. Ce texte énonce pourtant que les "partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage". Est-il acceptable qu'un parti politique constitué n'ait pas accès à l'élection présidentielle et ne puisse "concourir à l'expression du suffrage", pour la seule raison que le candidat (ou la candidate) qui le représente n'a pas obtenu cinq cents signatures ? Le Conseil ne répond pas à cette question, qui était pourtant la question essentielle posée par cette QPC.

Il est vrai que l'avocat de madame Le Pen n'a pas développé cet argument devant le Conseil. Mais il est tout de même surprenant de voir que ce dernier se donne la peine d'écarter formellement le moyen fondé sur le secret du vote alors qu'il aurait pu le juger inopérant et ne même pas le mentionner. En revanche, il n'évoque pas la question de la conformité des dispositions contestées à l'article 4 alinéa de la Constitution.

Chacun sait pourtant que le contrôle de constitutionnalité est un contentieux objectif. Le Conseil ne s'estime pas lié par les termes de la saisine, et il peut soulever d'office des moyens écartés ou négligés par les requérants. Les observations présentées par les avocats lors des audiences de QPC ne lient donc en aucun cas le juge constitutionnel. En l'espèce pourtant, on ne peut s'empêcher de penser que le Conseil s'est limité à écarter les moyens maladroits soulevés devant lui, comme si cette maladresse lui offrait l'opportunité de ne pas se prononcer sur des questions plus essentielles.

Sortir de l'impasse

Comment désormais sortir de l'impasse ? Est-il acceptable que certains candidats ne puissent finalement se présenter à l'élection présidentielle, dès lors que le Conseil reconnait tout de même être favorable à l'évolution de la législation dans ce domaine ? On ne peut alors que renvoyer à l'opinion développée par le professeur Serge Sur, sur LLC, qui propose une formule inédite. Les élus locaux, réunis par exemple au sein de l'association des maires de France, pourraient dresser la liste des candidats qui représentent un parti politique au sens de l'article 4 al. 1 et qui ont besoin de parrainages, et tirer au sort entre eux les signataires. Ces derniers ne pourraient être soumis aux critiques de leurs électeurs, puisque seul le sort aurait désigné ceux qui parrainent Madame Le Pen. Le principe démocratique serait alors respecté, chaque candidat pourrait solliciter les suffrages des électeurs, sans qu'il soit nécessaire de modifier la loi.

mardi 21 février 2012

QPC : Garde à vue et libre choix du défenseur

Il fallait s'y attendre. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 17 février 2012, considère comme inconstitutionnel l'article L 706-88 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 14 avril 2011. Ce texte prévoit que, lorsqu'une personne est gardée à vue pour une ou plusieurs infractions liées au terrorisme ou à la grande criminalité, le juge des libertés et de la détention, ou le juge d'instruction peut décider qu'elle sera assistée par un avocat "désigné par le bâtonnier sur une liste d'avocats habilités, établie par le bureau du Conseil national des barreaux". Le décret du 14 novembre 2011 assurant la mise en oeuvre de ces dispositions a, dès sa publication, fait l'objet d'un recours du Conseil national des barreaux, recours pour excès de pouvoir à l'occasion duquel une QPC a été déposée. 

Le libre choix du défenseur

L'atteinte au principe du libre choix du défenseur saute aux yeux, et le Conseil national des Barreaux avait déjà invoqué ce moyen dès octobre 2011, à l'époque de la rédaction du décret. Plus tard, le Conseil d'Etat, transmettant la QPC au Conseil constitutionnel mentionne également que cette disposition "prévoit la faculté pour le juge d'apporter une restriction au libre choix de l'avocat".

On sait cependant que le Conseil n'a jamais formellement consacré la valeur constitutionnelle du principe du libre choix du défenseur. De nombreuses décisions portent sur le droit à l'assistance de l'avocat, particulièrement pendant la garde à vue (décision QPC du 30 juillet 2010), voire sur le droit de choisir d'être assisté par un avocat ou de se défendre seul (décision QPC du 9 septembre 2011). Nul doute que le Conseil aurait pu profiter de cette QPC pour consacrer le libre choix de l'avocat comme un principe à valeur constitutionnelle, et en déduire immédiatement l'inconstitutionnalité de la disposition contestée. 

Certes, il affirme l'existence d'une "liberté, pour la personne soupçonnée de choisir son avocat", mais c'est pour ajouter aussitôt que cette liberté peut "à titre exceptionnel, être différée pendant la durée de sa garde à vue afin de ne pas compromettre la recherche des auteurs de crimes et de délits en matière de terrorisme ou de garantir la sécurité des personnes". Le libre choix du défenseur n'est donc pas un droit constitutionnel, mais plutôt une règle d'exercice des droits de la défense, à laquelle le législateur peut porter atteinte pour garantir l'efficacité de l'enquête. 

Nikolay Dmitrievich Milioti. Portrait d'un avocat. 1934


L'incompétence négative

Au lieu de faire prévaloir le principe du libre choix du défenseur, le Conseil préfère sanctionner la loi pour incompétence négative, c'est à dire la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa propre compétence. Dans une décision du 8 janvier 1991, le Conseil a ainsi censuré une loi fixant une contribution nouvelle, sans en préciser l'assiette ni les modalités de recouvrement. Depuis sa décision QPC du 14 octobre 2011, Association France Nature Environnement, le Conseil admet que l'incompétence négative soit invoquée lors d'une QPC, à la condition toutefois que soit "affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit".  En l'espèce, il ne fait guère de doute qu'un droit ou une liberté est affectée par les dispositions en cause, dès lors que l'absence de libre choix du défenseur constitue une atteinte à l'exercice des droits de la défense. 

Aux yeux du Conseil, le législateur peut légitimement porter atteinte au libre choix du défenseur, à condition de définir lui-même les "conditions et modalités" selon lesquelles une telle atteinte doit être mise en oeuvre. En l'espèce, le législateur s'est borné à renvoyer la mise en oeuvre à un décret, sans prévoir la motivation de la décision imposant une telle mesure au gardé à vue, sans préciser les motifs susceptibles de la fonder. 

Les dispositions sont donc abrogées, et le Conseil constitutionnel n'accorde aucun délai au législateur, jugeant au contraire que cette abrogation s'applique immédiatement, y compris aux affaires en cours. 

Cette apparente sévérité ne doit pas faire illusion. L'incompétence négative permet au Conseil d'imposer au législateur la définition de quelques principes fondamentaux destinés à encadrer cette procédure, sans pourtant interdire la mise en oeuvre d'un régime spécifique gouvernant les droits de la défense durant la garde à vue, dans le domaine particulier du terrorisme. Le Conseil est parfaitement conscient de la nécessité de maîtriser la circulation de l'information dans ce type d'enquêtes. La recherche de l'équilibre entre les nécessités de la défense et celles de l'enquête impose parfois des solutions astucieuses.




dimanche 19 février 2012

QPC : Prohibition et disparition de l'inceste

Dans une décision rendue sur QPC le 17 février 2012, le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnel l'article L 227-27-2 du code pénal  énonçant que le délit d'atteinte sexuelle  "est qualifié d'incestueux lorsqu'il est commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une soeur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin ou d'un membre de la famille ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait". Issues d'une loi du 8 février 2010, ces dispositions mettent fin à une longue période durant laquelle le droit pénal ignorait la notion d'inceste, préférant sanctionner la qualité d'ascendant de la victime comme circonstance aggravante de l'infraction. Seul le droit civil envisageait l'inceste, pour interdire le mariage entre les membres d'une même famille (art. 161 à 164 du Code civil

Une conséquence de la décision du 16 septembre 2011

La décision d'inconstitutionnalité prononcée par le Conseil est pourtant loin d'être surprenante. Dans une première décision rendue sur QPC le 16 septembre 2011, Claude N., le Conseil avait déjà abrogé l'article L 222-31-1 du code pénal relatif au viol et à  l'agression sexuelle, lorsque ces deux infractions peuvent être qualifiées d'incestueuses. Les formulations étaient parfaitement identiques, et on pouvait raisonnablement penser que l'inconstitutionnalité de l'incrimination criminelle (viol et agression sexuelle) entraînerait celle de l'incrimination délictuelle (atteinte sexuelle). Ce n'était qu'une question de temps, et le parlement aurait peut être pu profiter de ce délai pour abroger cette disposition, avant qu'intervienne la sanction du Conseil. 

Simon Vouet. Loth et ses filles. 1633


La définition de la famille

La loi du 8 février 2010 repose sur une ambiguïté fondamentale. Bien que déclarant poursuivre les auteurs de relations incestueuses, elle ne sanctionne pas l'inceste. Ce texte ne concerne que les actes dont sont victimes des mineurs. Les relations sexuelles consenties entre personnes majeures d'une même famille demeurent donc étrangères à toute répression pénale. De même, un père qui violerait sa fille majeure ou un fils mineur qui violerait sa mère serait certes coupable de viol, mais pas de viol incestueux. Ce n'est donc pas l'inceste qui est poursuivi mais l'abus sexuel sur mineur, lorsqu'il est commis par quelqu'un qui a autorité sur la victime. 

Le champ de l'incrimination n'est cependant pas clairement défini. La loi se borne à viser les violences commises "au sein la famille par un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime". Un oncle ou une tante, un cousin ou une cousine peuvent ils être poursuivis ? Quelle est la proximité familiale au-dela de laquelle les relations sexuelles sont admises ? Toutes ces questions se réduisent à une seule : la définition de la notion de famille, à laquelle la loi se réfère. Or, celle-ci n'est pas définie par le droit et on peut se demander s'il est souhaitable qu'elle le soit. Car la notion évolue, se plie à l'évolution des moeurs, allant de la famille mono-parentale à la famille recomposée. Et si la famille ne parvient pas à définir l'inceste, ce n'est certes pas à l'inceste de définir la famille. 

Le principe de légalité des délits et des peines

Le motif de l'inconstitutionnalité apparait clairement dans les deux décisions du Conseil de 2011 et 2012,  et réside dans la violation du principe de légalité des délits et des peines. Dans sa décision du 20 janvier 1981, le Conseil énonçait déjà : "Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée ; il en résulte la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire". C'est ainsi que, dans sa décision du 27 juillet 2006, le Conseil censure la disposition qui plaçait les logiciels destinés au "travail collaboratif" à l'abri des règles protégeant la propriété intellectuelle. Aux yeux du Conseil, la notion de "travail collaboratif" n'est cependant pas suffisamment définie pour satisfaire au principe de légalité des délits et des peines.

Il est vrai que cette rigueur est atténuée lorsque les dispositions manquant de clarté ont été précisées par des textes ou des décisions jurisprudentielles ultérieures. C'est ainsi que la décision du 2 mars 2004 considère comme suffisamment précises les dispositions sanctionnant les infractions commises en "bande organisée", faisant observer que cette notion existe depuis le code pénal de 1810 et a été reprise par de nombreux textes. 

Comme beaucoup de lois actuelles, celle du 8 février 2010 apparaissait comme largement cosmétique, liée à une volonté d'afficher une volonté de lutter contre l'inceste, sans que la simple définition juridique des termes employés soit précisée. Le principe de légalité des délits et des peines offre finalement un moyen honorable pour faire sortir de l'ordre juridique des dispositions qui n'auraient jamais dû y entrer.