« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 21 février 2012

QPC : Garde à vue et libre choix du défenseur

Il fallait s'y attendre. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 17 février 2012, considère comme inconstitutionnel l'article L 706-88 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 14 avril 2011. Ce texte prévoit que, lorsqu'une personne est gardée à vue pour une ou plusieurs infractions liées au terrorisme ou à la grande criminalité, le juge des libertés et de la détention, ou le juge d'instruction peut décider qu'elle sera assistée par un avocat "désigné par le bâtonnier sur une liste d'avocats habilités, établie par le bureau du Conseil national des barreaux". Le décret du 14 novembre 2011 assurant la mise en oeuvre de ces dispositions a, dès sa publication, fait l'objet d'un recours du Conseil national des barreaux, recours pour excès de pouvoir à l'occasion duquel une QPC a été déposée. 

Le libre choix du défenseur

L'atteinte au principe du libre choix du défenseur saute aux yeux, et le Conseil national des Barreaux avait déjà invoqué ce moyen dès octobre 2011, à l'époque de la rédaction du décret. Plus tard, le Conseil d'Etat, transmettant la QPC au Conseil constitutionnel mentionne également que cette disposition "prévoit la faculté pour le juge d'apporter une restriction au libre choix de l'avocat".

On sait cependant que le Conseil n'a jamais formellement consacré la valeur constitutionnelle du principe du libre choix du défenseur. De nombreuses décisions portent sur le droit à l'assistance de l'avocat, particulièrement pendant la garde à vue (décision QPC du 30 juillet 2010), voire sur le droit de choisir d'être assisté par un avocat ou de se défendre seul (décision QPC du 9 septembre 2011). Nul doute que le Conseil aurait pu profiter de cette QPC pour consacrer le libre choix de l'avocat comme un principe à valeur constitutionnelle, et en déduire immédiatement l'inconstitutionnalité de la disposition contestée. 

Certes, il affirme l'existence d'une "liberté, pour la personne soupçonnée de choisir son avocat", mais c'est pour ajouter aussitôt que cette liberté peut "à titre exceptionnel, être différée pendant la durée de sa garde à vue afin de ne pas compromettre la recherche des auteurs de crimes et de délits en matière de terrorisme ou de garantir la sécurité des personnes". Le libre choix du défenseur n'est donc pas un droit constitutionnel, mais plutôt une règle d'exercice des droits de la défense, à laquelle le législateur peut porter atteinte pour garantir l'efficacité de l'enquête. 

Nikolay Dmitrievich Milioti. Portrait d'un avocat. 1934


L'incompétence négative

Au lieu de faire prévaloir le principe du libre choix du défenseur, le Conseil préfère sanctionner la loi pour incompétence négative, c'est à dire la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa propre compétence. Dans une décision du 8 janvier 1991, le Conseil a ainsi censuré une loi fixant une contribution nouvelle, sans en préciser l'assiette ni les modalités de recouvrement. Depuis sa décision QPC du 14 octobre 2011, Association France Nature Environnement, le Conseil admet que l'incompétence négative soit invoquée lors d'une QPC, à la condition toutefois que soit "affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit".  En l'espèce, il ne fait guère de doute qu'un droit ou une liberté est affectée par les dispositions en cause, dès lors que l'absence de libre choix du défenseur constitue une atteinte à l'exercice des droits de la défense. 

Aux yeux du Conseil, le législateur peut légitimement porter atteinte au libre choix du défenseur, à condition de définir lui-même les "conditions et modalités" selon lesquelles une telle atteinte doit être mise en oeuvre. En l'espèce, le législateur s'est borné à renvoyer la mise en oeuvre à un décret, sans prévoir la motivation de la décision imposant une telle mesure au gardé à vue, sans préciser les motifs susceptibles de la fonder. 

Les dispositions sont donc abrogées, et le Conseil constitutionnel n'accorde aucun délai au législateur, jugeant au contraire que cette abrogation s'applique immédiatement, y compris aux affaires en cours. 

Cette apparente sévérité ne doit pas faire illusion. L'incompétence négative permet au Conseil d'imposer au législateur la définition de quelques principes fondamentaux destinés à encadrer cette procédure, sans pourtant interdire la mise en oeuvre d'un régime spécifique gouvernant les droits de la défense durant la garde à vue, dans le domaine particulier du terrorisme. Le Conseil est parfaitement conscient de la nécessité de maîtriser la circulation de l'information dans ce type d'enquêtes. La recherche de l'équilibre entre les nécessités de la défense et celles de l'enquête impose parfois des solutions astucieuses.




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