La garde à vue suscite depuis presque deux ans une sorte d'affolement juridique. On sait que la nouvelle procédure, organisée par la
loi du 14 avril 2011, a été contestée dès l'origine. De manière un peu surprenante, les critiques les plus vives ne provenaient pas des forces de police, même si les personnels redoutaient que l'accroissement des contraintes de procédure n'ait un impact négatif sur l'élucidation des affaires. Les critiques les plus aigües sont venues des avocats, ceux-là mêmes qui avaient combattu en faveur de la réforme.
La garde à vue en précarité constitutionnelle
En dépit de toutes ces difficultés, on pouvait penser que la constitutionnalité de la loi du 14 avril 2011 était acquise, puisque précisément ce texte devait satisfaire aux exigences posées par le Conseil dans sa décision rendue sur QPC du 30 juillet 2010. Il n'en est rien cependant, et la procédure actuelle est victime d'une certaine précarité constitutionnelle, d'autant que la loi du 14 avril n'a pas été déférée au Conseil. Nombre de QPC ont été transmises par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, souvent à l'initiative des avocats eux-mêmes.
Sont actuellement visés par une QPC les articles 62 (possibilité d'entendre une personne non suspecte sans avocat), 63-3-1 (désignation de l'avocat par les tiers), 63-4-2 (entretien confidentiel avec l'avocat), 63-4-1 à 63-4-5 (accès au dossier, délai de carence, possibilité de report, obligation au secret..). Le Conseil constitutionnel est donc aujourd'hui invité à apprécier la conformité de la réforme aux principes qu'il avait lui même posés dans sa décision du 30 juillet 2010. Ces QPC reposent le plus souvent sur le droit à un procédure juste et équitable, les droits de la défense, voire le principe de sûreté c'est à dire le droit de ne pas être arrêté ni détenu sans l'intervention d'un juge. Sur tous ces points, le Conseil constitutionnel va devoir se prononcer, en se livrant probablement à un contrôle de proportionnalité entre les droits de la défense et nécessités de l'enquête. On se souvient en effet que la "recherche des auteurs d'infraction" est, en soi, un "objectif à valeur constitutionnelle" (
par exemple décision du 22 avril 1997).
Le libre choix du défenseur
Aujourd'hui, une nouvelle QPC est quasiment annoncée par le Conseil national des Barreaux (CNB). Son président, maître Thierry Wickers, s'est livré, le 21 octobre lors de la Convention nationale des avocats à Nantes, à une attaque en règle contre le dispositif actuel de la garde à vue. Il s'est surtout intéressé, ce qui est tout à fait nouveau, à l'
article 706-88 al 2 du code de procédure pénale qui précise que si une personne est gardée à vue pour des affaires liées au terrorisme et à la grande criminalité, le juge des libertés et de la détention (JLD) ou le juge d'instruction peut décider qu'elle sera assistée par un avocat "
désigné par le bâtonnier sur une liste d'avocats habilités, établie par le bureau du Conseil national des barreaux". Cette liste sera établit par le bureau du CNB, sur propositions des conseils de l'ordre de chaque barreau.
Cet article 706-88 al. 2 cpp devrait faire l'objet d'un prochain décret d'application, mais il n'en demeure pas moins qu'il est plus efficace de mettre en cause la constitutionnalité de
l'article 16 de la loi du 14 avril 2011 qui prévoit cette procédure plutôt que de faire un recours pour excès de pouvoir, une fois le décret entré en vigueur.
La restriction au principe du libre choix du défenseur est évidente, dès lors que la personne gardée à vue perd le droit de choisir son avocat, celui-ci étant désigné par le bâtonnier. Il est vrai que le Conseil constitutionnel ne semble pas avoir accordé valeur constitutionnelle au principe de libre choix du défenseur, sans doute parce qu'il n'a pas été saisi de recours à son propos.
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Cézanne. L'oncle Dominique en avocat |
La position de la Cour européenne
En revanche, la Convention européenne des droits de l'homme le consacre expressément dans son article 6 § 3 : "
Tout accusé a droit notamment à se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix". Il est vrai que la Cour fait une lecture souple de ce principe. Des atteintes au libre choix du défenseur peuvent intervenir lorsqu'il "
existe des motifs pertinents et suffisants de juger que les intérêts de la justice le commandent" (
CEDH, 25 septembre 1992, Croissant c. Allemagne). Concrètement, la Cour admet ainsi une restriction au libre choix de l'avocat, par exemple lorsque les frais de représentation sont supportés par l'Etat dans le cadre d'un système d'aide judiciaire.
L'éventuelle atteinte au libre choix de l'avocat doit donc être justifiée, pour la Cour européenne, si "les intérêts de la justice le commandent". En l'espèce cependant, l'article 706-88 al. 2 ccp reste muet sur les motifs qui ont conduit le législateur à prévoir une liste d'avocats habilités à assister en garde en vue les personnes accusées d'infractions liées au terrorisme ou à la grande criminalité. Il faut se tourner vers le rapport de l'Assemblée nationale sur le projet de loi pour trouver deux justifications : "Le premier risque résidera dans la possibilité que la personne gardée à vue soit assistée par un avocat défendant la même cause idéologique qu'elle ; le risque de fuites serait alors considérable. Le second risque sera, compte tenu de la personnalité, de la dangerosité et des moyens dont disposent certains auteurs d'actes de terrorisme que des pressions soient exercées par les personnes gardées à vue sur les avocats désignés pour qu'ils préviennent leurs complices ou fassent disparaître des preuves". Autant affirmer clairement que le législateur n'accorde qu'une confiance limitée aux défenseurs...
Cette double justification semble surprenante. La première impose en réalité un fichage par les barreaux des opinions politiques de leurs membres, ce qui est évidemment contraire aux principes les plus élémentaires de la législation informatique et libertés. La seconde fait plutôt appel à une analyse des vulnérabilités des avocats... L'"habilitation" à laquelle il est fait référence ressemble alors étrangement à une habilitation à connaître des documents classifiés. La question se pose de manière très concrète, puisque beaucoup de dossiers, particulièrement en matière de terrorisme, reposent sur des informations provenant du renseignement. Mais les barreaux sont évidemment incompétents pour attribuer ce type d'habilitation, comme d'ailleurs ils sont incompétents pour réaliser l'enquête qui la précède...
Bien entendu, il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel n'est pas lié par la jurisprudence de la Cour européenne. Il n'empêche qu'elle est pour lui une constante source d'inspiration... et que les dispositions de l'article 706-88 al. 2 du code de procédure pénale apparaissent bien fragiles face à une éventuelle QPC.
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