« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 30 octobre 2011

Le Livre Blanc invente la garde à vue à géométrie variable


Le "Livre Blanc sur la sécurité publique" remis au  ministre de l'Intérieur le 26 octobre est passé relativement inaperçu, du moins si on le compare à la grande opération médiatique qui avait entouré l'adoption du "Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale" de 2008. Il s'agissait alors de réfléchir sur de vastes perspectives,  à savoir  "les moyens de garantir la sécurité du pays, assurer la défense de ses intérêts dans le monde et contribuer à l'affirmation de l'Europe sur la scène internationale". Derrière l'ambition officiellement affichée, l'objectif était plus terre-à-terre : mettre en oeuvre la RGPP, organiser la suppression de 57 000 postes dans les forces armées et la fermeture de nombreuses implantations, imposer la réforme à un monde militaire placé dans l'incapacité juridique de protester, et d'ailleurs fort peu associé à la rédaction du Livre Blanc.

Celui sur la sécurité présente un certain nombre de points communs avec son prédécesseur de la défense. Comme lui, il doit offrir une réflexion sur les moyens de garantir un service public, celui de la sécurité, présenté comme une priorité de l'actuel gouvernement... sans toutefois revenir sur la réduction régulière des effectifs et des budgets de fonctionnement. Comme lui, il a été rédigé sans réelle concertation avec les principaux acteurs concernés, en particulier les forces de police et de gendarmerie. Les auteurs sont en effet Messieurs Alain Bauer et Michel Gaudin, tous deux proches du Président de la République.

Un arsenal sécuritaire

On trouve dans le rapport tous les poncifs de la politique sécuritaire, un ensemble d'idées disparates, présentées comme nouvelles, mais déjà bien connues outre-Atlantique : développement des fichiers biométriques de "reconnaissance faciale", possibilité de déposer des "pré-plaintes" en ligne. Le Livre Blanc se prononce également pour la généralisation des "patrouilleurs", système inspiré des pratiques américaines qui consiste à faire de la police de proximité... en voiture. 

L'intérêt essentiel de ce nouveau Livre Blanc réside cependant dans le traitement de la garde à vue. Nul n'ignore que  la réforme instituée par la loi du 14 avril 2011 suscite un certain agacement, en particulier chez les syndicats de police. L'intervention de l'avocat dès le début de la procédure est perçue comme une intrusion inutile mais aussi comme la cause d'un alourdissement considérable des contraintes de procédure. Et il est vrai que le temps passé à organiser ces auditions n'est pas utilisé pour élucider les affaires en cours. Chacun redoute que la réforme ne suscite une réduction du taux d'élucidation, ce qui serait évidemment fâcheux en période électorale. 

Pour pallier ces inconvénients, les auteurs du Livre Blanc, dont on sait que la préoccupation n'est pas tant la réduction de la délinquance que celle des statistiques de la délinquance, ont fait preuve d'une imagination somme toute assez limitée.  Puisque la garde à vue dérange... pourquoi ne pas réduire le champ de la procédure de droit commun ? On sait que celle-ci ne doit pas dépasser 24 heures, renouvelables une fois, soit 48 heures au maximum. Nos auteurs proposent donc, non sans naïveté, de généraliser une garde à vue "plus longue" et de créer une garde à vue "plus courte", toutes deux destinées à faciliter la tâche des enquêteurs. Il suffisait d'y penser.
 
Garde à vue. Claude Miller 1981. Lino Ventura et Michel Serrault

La garde à vue "version longue"

Celle-là existe déjà.  Depuis la loi Perben II du 9 mars 2004, la garde à vue peut durer jusqu'à 72 heures pour un certain nombre d'infractions mentionnées à l'article 706-73du code de procédure pénale et qui regroupent  les atteintes au droit humanitaire ainsi que ce que l'on désigne habituellement sous le vocable de "grande criminalité" : meurtre et vol en bande organisée, trafic de stupéfiants, enlèvement et séquestration, fausse monnaie, trafic d'armes, blanchiment etc... Par ailleurs, la garde à vue peut être encore prorogée, et durer cette fois jusqu'à 96 heures pour les infractions relatives au terrorisme, lorsqu'il existe un risque actuel d'acte de terrorisme.

On le voit, cette garde à vue "allongée" concerne déjà une grande partie des crimes les plus graves. Les auteurs du Livre Blanc proposent de l'étendre encore à l'ensemble des homicides volontaires, ouvrant la voie à une généralisation d'une garde à vue de 72 heures en matière criminelle. 

Cette procédure "allongée" est évidemment plus confortable pour les enquêteurs qui ont davantage de temps pour recueillir des preuves et obtenir des aveux. En outre, on sait que, "à titre exceptionnel", l'OPJ chargé de l'enquête peut demander au procureur le report de l'intervention de l'avocat, pour des "raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête". Le droit commun prévoit que cette intervention de l'avocat ne peut être différée au-delà de douze heures. En revanche, lorsque la peine encourue est égale ou supérieure à cinq ans d'emprisonnement, ce délai de report est étendu jusqu'à la 24è heure.. Elargir le champ de cette procédure "longue" permet donc de revenir à une situation qui n'est pas très éloignée du droit antérieur à la loi d'avril 2011, et offre une enquêteurs une période relativement longue durant laquelle ils échappent à la présence de l'avocat. 

La garde à vue "version courte"

A l'opposé, le Livre Blanc envisage une garde à vue raccourcie à 4 heures. L'idée n'est pas nouvelle, et trouve son origine dans le rapport Léger sur la justice pénale, remis en septembre 2009. Il suggérait une "retenue judiciaire", nouvelle mouture de l'ancienne audition libre durant laquelle la personne acceptait librement d'être entendue, hors la présence d'un avocat. Alain Bauer s'est montré particulièrement attaché à cette proposition, qu'il a défendue dans une tribune publiée par le Figaro le 18 février 2010. Elle a ensuite suscité une proposition de loi qui n'a guère prospéré.. Devant ce succès pour le moins mitigé, il n'est guère surprenant qu'Alain Bauer ait réintroduit cette idée dans son Livre Blanc. 

Le projet initial est cependant quelque peu modifié. Ce n'est plus le fait que la personne se mette volontairement à la disposition des enquêteurs qui est mis en avant. C'est désormais le caractère relativement bénin des infractions qui devrait constituer le fondement de cette "retenue judiciaire". Le Livre Blanc invoque ainsi le vol à l'étalage ou la consommation simple de stupéfiants, et d'une manière générale les infractions assorties de peines inférieures ou égales à trois années d'emprisonnement qui pourraient être concernées par la nouvelle procédure. En tout état de cause, il n'est pas question d'une personne libre de ses mouvements qui accepte de participer à une enquête, mais bien d'une personne retenue contre son gré, car soupçonnée d'être l'auteur d'une ou plusieurs infractions.

L'idée n'est évidemment pas dépourvue d'habileté. Il peut sembler logique d'assouplir les procédures pour les affaires simples, d'autant que rien n'interdit d'achever la "retenue judicaire".... par une mise en garde à vue. Il n'empêche que cette procédure allégée a pour effet de priver la personne de retenue de l'exercice des droits de la défense. Elle offre aux enquêteurs une période de quatre heures durant laquelle une personne est interrogée hors la présence d'un avocat.

Si la manoeuvre est habile, ses chances de succès demeurent cependant limitées. On ne voit pas comment la Cour européenne comme le Conseil constitutionnel pourraient accepter, dès lors que la personne entendue est effectivement soupçonnée d'un délit, qu'elle ne bénéficie pas du tout des droits de la défense. On ne voit pas davantage la différence de nature entre cette "retenue judiciaire" et la garde à vue.. Elle est plus courte, ne concerne que des affaires délictuelles... Certes, mais à l'inverse, lorsqu'il s'agit de crimes particulièrement graves ou de terrorisme, la mise à la disposition des enquêteurs peut durer jusqu'à 72 heures, voire 96 heures... et il n'en demeure pas moins que cette procédure demeure qualifiée de "garde à vue"...En bref, la garde à vue ne se définit pas par les infractions qui la justifient, ni même par sa durée, mais bien davantage par les garanties qu'elle offre à la personne.

Il est vrai que si l'accroissement de la criminalité s'apprécie aussi par l'augmentation du nombre des gardes à vues, la "retenue judiciaire" devrait avoir un effet positif sur les statistiques... 

De quoi plaire aux auteurs du Livre Blanc...


1 commentaire:

  1. En parlant de garde à vue à géométrie variable, c'est particulièrement net dans les mesures de répression dont font l'objet les catholiques indignés du Châtelet,voir le communiqué de Maître Souchon du Barreau de Chartres :
    http://www.contre-info.com/apres-laffaire-doutreau-laffaire-doutres#more-15979

    RépondreSupprimer