« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 2 mars 2012

La délinquance étrangère et "réitérante". Le retour des peines plancher

Le 6 mars 2012, l'Assemblée Nationale devrait adopter la proposition de loi présentée par M. Jean-Paul Garraud (UMP Gironde) sur "l'interdiction du territoire et les délinquants réitérants". D'emblée, la formulation surprend, mais un texte qui traite à la fois de la lutte contre la délinquance et de l'éloignement des étrangers n'est-il pas une bénédiction  ? Il permet de mettre en avant des préoccupations qui prennent aujourd'hui valeur de promesses électorales, d'autant que nul n'ignore que la proposition a peu de chances d'être définitivement voté avant les élections. 

Les étrangers : Du bon usage des statistiques de l'ONDRP

Le texte repose sur une affirmation selon laquelle la part des étrangers et des réitérants dans la réponse pénale n'est pas suffisamment prise en compte. Le problème est que cette assertion repose sur des données et des notions particulièrement floues.

La proposition de loi fait référence au rapport 2011 de l'ONDRP (Office national de la délinquance et de la réponse pénale), présidé par Monsieur Alain Bauer, "criminologue" officiel et conseiller du Président de la République.  Cette étude énonce que les étrangers représentent 5, 8 % de la population vivant sur le territoire, mais 13, 9 % de la délinquance non routière. Un autre rapport, de même origine, publié en février 2012, montre que la part des étrangers mis en cause pour atteintes aux biens est passé  de 12, 8 % en 2006 à 17, 3 % en 2011. Elle stigmatise au passage immigrés d'origine roumaine, à l'origini d'une délinquance qui aurait augmenté de 114, 4 % en deux ans.

Ces chiffres sont évidemment destinés à faire frémir le bon citoyen inquiet pour sa sécurité. Si on les regarde de près toutefois, on s'aperçoit qu'ils sont obtenus à partir des statistiques des personnes "mises en cause", car celles des condamnations ne sont pas fiables. Sans doute, mais un criminologue, même moyen, doit tout de même savoir qu'une personne "mise en cause" n'est pas nécessairement condamnée. A moins peut être de considérer que les étrangers ne bénéficient pas du principe de la présomption d'innocence ? Le même criminologue sait également que pour donner l'illusion de lutter contre la délinquance, il suffit parfois d'augmenter le nombre de gardes à vue, et donc le nombre des personnes "mises en causes". En clair, en augmentant les gardes à vue, on augmente aussi mathématiquement les chiffres de la délinquance étrangère.

Récidive et réitération

La récidive se définit comme une circonstance aggravante et répond à des conditions rigoureuses. Elle suppose la répétition d'un comportement illicite de même nature, par exemple deux vols avec violence, ou deux viols. Pour qu'il y ait récidive, il faut qu'au moment où la seconde infraction a été commise, le premier comportement illicite ait donné lieu à une condamnation définitive, c'est à dire qu'aucune voie de recours ne puisse plus être exercée contre elle. La conséquence de cette définition est qu'une seconde infraction ne peut pas toujours être qualifiée de récidive par les juges, soit parce que les deux comportements ne sont pas de même nature, soit parce que le premier n'a pas encore donné lieu à condamnation définitive.

Qu'à cela ne tienne, la proposition Garraud adopte la notion de réitération. En langage policier, elle désigne une succession d'infractions de nature différente commises par une seule personne. Un délinquant "réitérant" est celui qui va par exemple se livrer à un trafic de stupéfiants, avant d'être l'auteur d'un cambriolage, puis d'un vol avec violences etc. Il est vrai que la notion de réitération figure dans la loi du 12 décembre 2005, mais elle apparaît alors comme une notion fourre-tout destinée à contourner la notion de récidive. Elle s'applique un effet en cas de "nouvelle infraction qui ne répond pas aux conditions de la récidive légale". Dans cette hypothèse, la loi interdit la confusion des peines et organise au contraire leur cumul. Pour autant, elle ne définit pas clairement le champ d'application de la "réitération".

Le Récidiviste. Ulu Grosbard. 2007. Dustin Hoffman


Le retour des peines plancher

Elle sert pourtant de fondement au projet de loi qui reprend cette notion pour justifier l'élargissement des peines plancher. Il s'agit en effet de renforcer la peine complémentaire d'interdiction du territoire française (ITF) pour les délinquants réitérants et pour les personnes de nationalité étranger.

Le prononcé de l'ITF devient ainsi obligatoire pour les étrangers en situation irrégulière et ceux qui résident régulièrement depuis moins de trois ans, dès lors qu'ils ont commis un crime ou un délit puni d'une peine de cinq années d'emprisonnement. A l'égard des réitérants, la proposition de loi impose de prononcé de peines plancher pour les auteurs du même type d'infractions. Les seuils de peines minimales sont compris entre un sixième et un cinquième de la peine maximale encourue.

Conventionnalité et constitutionnalité

Les auteurs de la proposition affirment haut et fort la constitutionnalité et la conventionnalité du dispositif mis en oeuvre. Pour garantir la conformité à l'article 8 de la Convention qui protège le droit de mener une vie familiale normale, ils prennent soin d'exclure le prononcé de ces peines pour les étrangers "protégés".

Pour garantir la conformité à la Constitution, ils invoquent une jurisprudence affirmant que les peines plancher ne violent pas le principe d'individualisation des peines, notamment la décision du 16 septembre 2011 rendue à propos des amendes forfaitaires en matière de code de la route. Le principe de nécessité de la peine, quant à lui, fait l'objet d'un contrôle "de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue", formulation figurant dans la décision du 9 août 2007. Y a t il ou non disproportion manifeste ? Il est bien difficile de répondre à cette question.

Quoi qu'il en soit, ce n'est pas tant l'inconventionnalité ou l'inconstitutionnalité de ce texte qui pose réellement problème que la malhonnêteté de ses motifs. Reposant sur des statistiques douteuses et sur une conception purement policière de la récidive, il témoigne d'un dévoiement de la loi elle-même. Celle devient l'instrument d'une politique sécuritaire qui repose sur la manipulation de l'opinion, particulièrement en période électorale.




1 commentaire:

  1. "il suffit parfois d'augmenter le nombre de gardes à vue, et donc le nombre des personnes "mises en causes"."
    Pour info, si vous baissez corrélativement le nombre d'auditions libres, votre nombre total de mis en cause peut rester le même. En gros, en France, ces dernières années, la moitié des mis en cause étaient entendus sous le régime de la garde à vue, l'autre moitié sous celui de l'audition libre.

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