Les opposants au décret avaient placé leur ultime espoir dans cette requête et le Conseil d'État met donc fin aux derniers doutes sur l'usage des drones en matière de sécurité publique. La loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure autorise ainsi les services de la police et de la gendarmerie nationales à recourir à la captation d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs, drones, hélicoptères, ballons captifs. Le décret du 19 avril 2023 prévoit le régime juridique de cet usage. Le Conseil d'État estime que les garanties juridiques que cet ensemble normatif apporte sont suffisantes pour assurer l'ordre public en protégeant la sécurité des personnes et des biens.
Des décisions au cas par cas
L'article L 242-5 du code de la sécurité intérieure énonce que l'usage de dispositifs de captation d'images est subordonné à une décision écrite et motivée du préfet, ou, à Paris, du préfet de police. Il lui appartient de s'assurer du respect des règles applicables et la demande qui lui est transmise doit être suffisamment complète pour lui permettre d'exercer efficacement de contrôle. Au demeurant, l'autorisation du préfet doit se limiter à ce qui est strictement nécessaire au regard de l'espace géographie concerné et du nombre de caméras procédant aux enregistrements. D'une manière générale, l'autorisation peut être délivrée pour trois mois lorsqu'il s'agit de lutter contre le terrorisme et la grande criminalité, ou d'assurer le contrôle des frontières. En revanche, la surveillance de chaque manifestation suppose une demande spécifique.
En jugeant que ces dispositions n'entrainent pas une atteinte excessive aux droits des personnes, le Conseil d'État se place dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 20 janvier 2022, celui-ci avait déjà estimé que la liste des circonstances dans lesquelles l'usage des drones était possible était satisfaisante, comme les garanties apportées par le législateur. Il avait ajouté que l'autorisation préfectorale ne pouvait être accordée qu'après que le préfet se soit assuré de l'impossibilité d'utiliser des moyens intrusifs pour la vie privée.
Femme à la fenêtre. Jacques Voyet 1926-2010
Le régime juridique de l'usage des drones
Les associations requérantes contestaient surtout la légalité de la captation et de la conservation de données considérées comme sensibles. Les images captées par un drone pourraient en effet donner lieu à des applications biométriques permettant d'identifier des personnes qui ne constituent, en aucun cas, un menace pour l'ordre public. Les requérants se plaignent donc que les dispositifs embarqués ne donnent pas lieu à une autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
Sur ce point, le Conseil d'État mentionne que le droit positif est désormais relativement élaboré. Les drones ne peuvent ni capter du son, ni comporter des traitements de reconnaissance faciale, principes rappelés dans l'article L 242-4 du code de la sécurité intérieure. La loi de 2022 a posé cette garantie, et on se souvient que le juge des référés du Conseil d'État, dès une ordonnance du 18 mai 2020, était intervenu sur cette question à propos de la surveillance des rassemblements pendant la période de déconfinement après le Covid. Il avait alors suspendu une autorisation d'usage des drones, car aucun dispositif ne garantissait que le drone volait suffisamment haut pour empêcher l'identification des personnes. Or, s'il volait bas pour précisément capter des images identifiantes, il violait le Règlement général de protection des données (RGPD), puisque l'avis préalable de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) n'avait pas été demandé.
Aujourd'hui, le Conseil d'État rappelle que les systèmes embarqués sur les drones n'ont pas, en tant que tels, pour objet de capter et de conserver des données sensibles. Mais ils peuvent néanmoins en capter, en quelque sorte de manière collatérale. C'est la raison pour laquelle une analyse d'impact "cadre" est exigée par l'article L 242-5 du code de la sécurité intérieure. Cela signifie concrètement que les garanties mises en place par le système sont transmises à la CNIl qui rend un avis à leur sujet.
En pratique, ces données sensibles captées par accident sont essentiellement les images de l'intérieur des domiciles. Les associations requérantes espéraient obtenir du Conseil d'État la reconnaissance d'une illégalité globale de ce type de captation. Mais le Conseil se montre très réaliste sur ce point. en observant qu'une telle interdiction pourrait compromettre une opération en cours, alors même que l'atteinte à la vie privée est modeste. En effet, les données ainsi recueillies doivent être détruites dans un délai de 48 heures, ce qui réduit considérablement la menace pour la vie privée. Cette analyse laisse ainsi ouverte l'appréciation contextuelle de l'opération, en laissant à l'administration une certaine autonomie dans son déroulement.
La décision du 30 décembre 2024 était hautement prévisible, car on se souvient que le juge des référés du Conseil d'État avait déjà refusé de suspendre le décret du 19 avril 2023 par une ordonnance du 24 mai 2023. La décision de fond du 30 décembre 2024 valide ainsi, définitivement, le dispositif juridique autorisant l'usage des drones dans le domaine sécuritaire. Les requérants le regretteront sans doute. Mais peut-être pourra-t-on leur apporter une consolation, en leur faisant observer qu'ils ont contribué à fixer un droit positif clair, permettant de sanctionner plus efficacement d'éventuelles violations ?
La liberté de manifestation : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 12, section 1 § 2